• mercredi 10 février 2021

Thérèse Sclafert, (1876-1959).
Extraits simplifiés de la thèse pour le doctorat ès lettres : Le Haut-Dauphiné au Moyen Âge pour une utilisation pédagogique.

Le pays. — L’Oisans est une des régions des Alpes dauphinoises qui a laissé dans les fonds d’Archives les plus abondants souvenirs. Il ne formait au Moyen Âge qu’un seul mandement dont les limites étaient à peu près identiques à celles que lui assignent aujourd’hui les géographes.
Vers l’Ouest, il touchait aux mandements de Séchilienne et de Vizille, à l’Est, il atteignait le Lautaret, au Nord, il était voisin de la Savoie, et si au Sud, les crêtes du Pelvoux le séparaient de la Vallouise et du Valgaudemar, il communiquait très facilement avec le Valbonnais par le col d’Ornon.
L’Oisans comprenait donc le bassin de la Romanche en amont de Séchilienne, c’est-à-dire en même temps que le pays traversé par le torrent principal toutes les vallées qui, à droite et à gauche, viennent lui apporter leurs eaux et dont les principales sont celles de Clavans, de l’eau d’Olle, du Vénéon et d’Ornon.
[…] Il est facile de comprendre que la présence de ces énormes masses montagneuses qui se ramassaient pour ainsi dire sur ce petit pays déterminaient des conditions de vie particulièrement tyranniques et brutales.
 » Notre pays, disaient au XVe siècle les habitants de l’Oisans, est le plus sauvage du Dauphiné. »

L’isolement. — D’abord, le pays était d’accès difficile.
En venant de la dépression subalpine où les communications étaient si aisées, il fallait franchir le défilé étroit, obscur, presque désert de Livet où l’on se sentait perpétuellement en péril. Au moment des grosses eaux, la route qui longeait la Romanche était exposée aux terribles écarts du torrent ; dès que venait le printemps, elle était sous la menace incessante des avalanches et des ruines, bloquée par l’encombrement de leurs dépôts ou éventrée par la violence des eaux sauvages que la montagne lançait avec furie de part et d’autre de la gorge.
À l’issue du défilé, on avait la surprise d’entrer en plaine, et le regard croyait retrouver là, comme en miniature, les traits du paysage qu’il avait laissés derrière lui, dans la dépression subalpine. C’était la plaine d’Oisans, le coin privilégié où la terre était riche et les relations faciles.
Mais, après avoir traversé ces quelques kilomètres de pays plat, il fallait aborder des passages aussi redoutables que ceux de Livet. C’est qu’en effet, tout autour de cette petite plaine rayonnaient les hautes vallées dont l’ensemble formait la partie la plus étendue du mandement, celles qui lui donnaient son véritable caractère et qui faisaient de l’Oisans le pays le plus élevé du Dauphiné.

L’altitude ; la neige. — Plus encore que l’infertilité du sol ou la maigreur des terres, l’altitude est, en même temps que les difficultés d’accès, le trait que les populations se plaisent à relever avec le sentiment très net qu’elle tenait sous sa dépendance le climat, les communications, les cultures, c’est-à-dire la vie économique tout entière.
C’est l’altitude qui faisait de l’Oisans le pays de la neige.
Les habitants de Villard d’Arènes et ceux de Besse donnent des précisions ; en général, disent-ils, c’est dans les derniers jours de septembre, vers la saint Michel, que la neige commence à tomber et elle ne disparaît qu’au début ou au milieu de mai, c’est dire qu’elle reste plus de la moitié de l’année. Dans la révision générale des feux de 1450, les témoins déclarent que, pendant huit mois, elle est maîtresse du pays. Parfois au cœur de l’hiver, elle tombait en chutes si abondantes qu’elle interceptait les chemins à l’intérieur des villages, bloquait chacun dans sa maison.

Déprimante pendant les longs mois d’hiver par sa persistante immobilité, la neige devenait redoutable dès que le soleil retrouvait sa vigueur. Alors, c’étaient, le long des pentes, des glissements formidables ; la lavanche (avalanche) se précipitait au fond des vallées, terrifiant le piéton aventuré dans les chemins, ensevelissant les bêtes qui commençaient à sortir des étables.

Les drayes. — En même temps, des blocs énormes se détachaient du flanc de la montagne, ou des masses de pierre en descendaient roulant comme des torrents, puis se fixaient sur les terres cultivées ou près des maisons, au hasard de leur chute. Ces ruines qu’on appelait aussi des drayes, menaçaient presque tous les villages.

La terre cultivable ne formait sur le roc qu’une couche légère qui glissait le long des pentes, s’amassait dans les parties basses, tandis que le haut, constamment dépouillé ne présentait plus qu’une roche nue. Il fallait prendre la terre descendue, la charger sur ses épaules, remonter avec ce fardeau les pentes rapides et rendre à la roche découverte la chair qu’elle avait perdue. On devine quelle proie facile une couche de terre meuble si mince et si débile pouvait offrir à la violence des drayes et des avalanches.


La difficulté des communications. — Neiges, avalanches ruines, toutes ces causes combinaient leur action malfaisante pour compliquer les relations de village à village que l’altitude, en tout temps, rendait déjà si difficiles. Non seulement les étrangers n’osaient s’aventurer dans les chemins, mais les gens du pays eux-mêmes ne s’y engageaient pas sans terreur.


Aujourd’hui, des travaux d’art considérables ont ouvert l’Oisans au commerce et au tourisme ; la route du Lautaret qui longe la Romanche et traverse le pays dans toute sa longueur assure des relations faciles entre Grenoble et Briançon […] mais le pays demeure, dans son ensemble, de pénétration difficile. C’est que, presque partout, les populations se sont installées fort au-dessus de la vallée principale et elles ne peuvent la rejoindre que par des chemins à forte pente, d’entretien coûteux, difficile, à cause du ruissellement des eaux, de l’encombrement des pierres et des neiges.
Etant données ces conditions et d’après ce qu’on voit encore aujourd’hui, on ne peut songer sans quelque effroi à ce que devaient être, il y a cinq cents ans, ces chemins ou plutôt ces sentiers qui descendaient des hameaux vers la plaine quand le service vicinal était laissé, pour ainsi dire, au bon vouloir des habitants.
Sans doute les voies royales étaient un peu plus hospitalières et les populations riveraines y avaient des obligations définies.
Quoique lourdes, ces charges l’étaient certainement moins que les populations ne tentaient de le faire croire, car chaque fois que les travaux de réparation ou d’entretien ne leur profitaient pas directement, on pourrait presque dire personnellement, elles tâchaient d’y échapper, et l’autorité delphinale avait toutes les peines du monde à les y contraindre, si bien que presque partout routes et chemins présentaient un aspect déplorable.
C’est, du moins, ce que révéla une enquête ordonnée en 1354 et au cours de laquelle les commissaires purent constater qu’abandonnés à eux-mêmes, ni entretenus, ni réparés, les chemins publics de l’Oisans étaient en bien des points presque inabordables et que les communautés qui en avaient la charge se désintéressaient des travaux même les plus urgents.

Thérèse Sclafert

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Categorie: Histoire  | Tags:
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