1785, Voyage de Dhellancourt en Oisans 3e partie

1785, VOYAGE DE DHELLANCOURT EN OISANS
Cahier publié par Paul Guillemin (avec une carte que je n’ai pas retrouvée)
Imprimerie F. Allier Père et Fils Grande-Rue Cour de Chaulnes, 1892

D’autres voyages scientifiques en Oisans : 

Lien : première partie, deuxième partie

Deuxième partie
Graphie du texte original respectée.

En avançant dans la gorge de Maraval, je ramassoi une espèce de kneiss particulière, et dont la nature est intéressante. Il est composé de couches alternatives assez serrées de mica noir et de spath calcaire ; je n’avois vu jusque-là dans cette gorge que le kneiss ordinaire composé de mica et de quartz.
Je ne tardai pas à apercevoir la montagne d’où venoient les pierres qui m’occupoient. Elle étoit aussi élevée que les autres montagnes voisines ; ses couches étoient à peu près horizontales, et plus rarement ondulées et tourmentées que celle des autres montagnes de kneiss. La direction de ces couches et celle de la montagne étoit la même que celle de la gorge.
En quittant cette montagne qui avoit attiré mon attention pendant quelques momens, je commençai à découvrir le mont de Lans ; il semble d’abord une large masse qui obstrue la gorge sans laisser d’issue à la rivière ; mais à mesure qu’on approche, on découvre avec plus de plaisir les détails de cette montagne. Un peu avant d’arriver au pied du mont de Lans, on voit encore des amas schisteux très-considérables qui forment un grand bassin. La Romanche reçoit à cet endroit un torrent par lequel s’écoulent les eaux des faces du mont de Lans opposée au sud-est et au sud.
Ce torrent vient joindre la Romanche à angle droit. C’est lui sans doute qui a occasionné les atterrissemens qui sont dans cette partie, et a forcé la Romanche à changer la direction de son cours, car elle commence alors à couler du sud-ouest au nord-ouest en entrant dans la gorge très resserrée, appelée la balme d’Oris où cette rivière reprend ensuite à peu près la direction du sud-est et nord-Ouest.

La balme d’Oris prend son nom de la montagne qui occupe la rive droite de la Romanche, où est le village d’Oris qui s’étend dans la même direction que cette gorge et la domine en partie. Un des flancs du mont de Lans occupe la rive gauche.
La pierre constituante de la montagne d’Oris est en général le Kneiss ou la roche feuilletée mica et quartz à couches plus ou moins serrées, quelquefois le schori en roche pénétrée de stéatite. Les couches varient infiniment quant à leur direction et à leur inclinaison. Cette montagne est cultivée et riche dans certains cantons surtout autour du village d’Oris, mais elle est très-escarpée dans beaucoup d’autres. Entre le village d’Oris, et celui de Fresney, est une espèce de combe assez creuse formée par la chute des eaux des cimes supérieures des rochers. Cette combe offre beaucoup de schiste dont les couches sont très inclinées ou perpendiculaires. Entre ces couches, il s’en est trouvé de la plus noire que les autres et capables de brûler, mais difficilement. Les habitans on extrait beaucoup de cette matière terreuse, et lui on donné le nom de charbon de terre. Ils viennent même à bout de la faire brûler, et de s’en servir l’hiver en la mêlant avec du bois. Ce schiste noir particulier m’a paru exister principalement dans les endroits où les eaux se sont infiltrées entre les couches perpendiculaires et y ont entraîné diverses matières, et surtout des débris de végétaux que j’y ai encore retrouvés à demi-noirs, pulvérulens et comme dans un état charbonneux ; il me semble que les pyrites sont assez communes dans ces montagnes s’étant décomposées à la faveur de l’humidité et de l’infiltration continuelle de ces eaux entre ces couches de schiste, ont pu charger ces mêmes eaux d’une quantité d’acide vitriolique suffisante pour charbonner les débris de végétaux qu’elles rencontroient, et que ces parties charbonneuses étant déposées et ensuite incorporées dans la couche schisteuse, ont pu produire cette espèce de charbon terreux.

La montagne d’Oris offre beaucoup de choses intéressantes pour les cabinets de minéralogie. On a trouvé dans différents endroits de la balme d’Oris, entre les couches du rocher un séchoir violet rhomboïdal, le même octaèdre ; mais ce dernier est beaucoup plus rare ; le séchoir vert, en faisceaux d’aiguilles prismatiques, terminés par des pyramides obtuses tétraèdres. Auprès du village d’Hwes (Huez) on trouve du fer micacé en segmens de prisme hexagone, attirable à l’aimant, enfin l’espèce de pierre en macle, d’un blanc laiteux, éclatant et regardé par quelques naturalistes comme feld-spath et par d’autre comme schori blanc. Tous ces différents cristaux se trouvent dans les cavités ou fentes des roches et souvent dans l’argile entre deux couches d’un rocher en schori pénétré de stéatite. On rencontre aussi quelques cristaux de roche contenant de la stéatite verte ou blanche, des cristaux de fer micacé, des pyrites, du spath pesant, du séchoir vert ou violet.
La montagne d’Oris s’étend jusqu’à là plaine de l’Oisans et la Romanche la suit en conservant la même direction à quelques petites sinuosités près.

Revenons à la description du mont de Lans qui occupe par une de ses faces la rive gauche de cette rivière et se termine aussi à la plaine d’Oisans, à la jonction de la Vener (Le Vénéon).
La vue se repose délicieusement sur le côté de cette montagne, opposé au sud-est et à la gorge de Maraval. De beaux bois et des terres cultivées qui se présentent comme en amphithéâtres sur une pente très-étendues, contrastent bien avec les rocs arides et déchirés de la gorge Maraval.
La pierre constituante de la montagne à la base, de ce côté, est un kneiss à couches assez grossières recouverte de schistes en quelques endroits et incliné vers la gorge de Maraval. Sa direction est du sud-Est au nord-ouest au tiers à peu près de la hauteur de la montagne sur la face opposée de la gorge Maraval. On trouve au-dessus des terres cultivées un beau village qui court comme la montagne, le nom de Mont-de-Lans. Après avoir traversé ce village, en continuant de monter, on côtoye un petit ruisseau dans le lit duquel on remarque des granites roulés. On arrive enfin à une pelouse dont la pente est assez douce, et on aperçoit alors à sa gauche, vers le sud-ouest une cime granitique qui s’élève à une grande hauteur. Cette cime est recouvert de banc calcaires. A droite, vers le nord-est on voit des couches de la montagne s’élever le long du cours de la Romanche. Elles forment alors dans la balme d’Oris, de grands escarpements à Pic. Si on continue sa marche vers le nord-ouest, on se trouve dans une vallée assez vaste, à l’extrémité de laquelle sont construites une cinquantaine d’habitations. Elles appartiennent à des pâtres qui y demeurent pendant l’été afin d’être plus à porter de veiller aux troupeaux nombreux qui sont entretenus dans les pâturages de cette montagne. Ces pâtres ne pourroient pas y rester l’hiver à cause de la trop grande quantité de neige qui s’amasse sur ce plateau. Auprès de ce hameau est une espèce de marais dans lequel on extrait de la tourbe ; on ne voit aucuns vestiges d’arbres autour de ce marais, ni même sur toute cette partie de la montagne. Cependant la tourbe qu’on extrait contient beaucoup de tronc de bois de 2 à 3 pouces de diamètre, et ces bois ne sont que pénétrés d’eau. Ils ont conservé leur couleur. Les paysans que j’ai questionnés à cet égard n’ont jamais vu de bois sur toute cette plate-forme et n’ont jamais entendu dire qu’il en ait existé ni qu’aucun évènement les ait ainsi enfouis ; peut-être ces bois étoient-ils sur l’une des pentes qui dominent cette vallée au sud-ouest ou au nord-est et alors ils ont pu être entraînés par des avalanches et entassés confusément dans cet endroit.

Après avoir travers le hameau et cette prairie qu’on a rencontrés avec surprise à cette hauteur, on aperçoit plus devant soi que des sommets de montagne nue et chargée de glaces à leur cime, on a à ses pieds une gorge très-profonde à laquelle on ne voit point d’issue ; si on veut visiter cette gorge, on descend pendant deux heures à travers de grands bancs de schiste qui occupent le flanc de la montagne vers le nord-est. Cette partie prend le nom d’Alpe de Venosque, à cause du village de même nom situé au pied de cette face de montagne en tournant vers l’est. Au fond de la gorge coule le Veneo. Cette rivière reçoit les eaux de la montagne même de Venosque et encore toutes celles qui viennent des montagnes au nord-ouest et nord.
Au-dessus du village de Venosque et sur toute la partie de la montagne du même nom, qui s’étend vers l’est et le sud-est, le schiste a disparu et on retrouve les couches de Kneiss. J’ai remarqué aussi quelques blocs de granite et quelques morceaux de grès micacé, mais ils parroissent y avoir été transportés.
Les habitants de Venosque exploitent aussi dans cette montagne de prétendus filons de charbon de terre. La manière d’être ici de ces filons me semble encore venir à l’appui de ce que j’ai déjà dit plus haut sur les formation. Ils se trouvent entre les couches perpendiculaires de Kneiss. Il y en a plusieurs à peu de distance les uns des autres. Leurs directions sont parallèles, et ces filons qu’on peut suivre depuis le haut de la montagne jusqu’à la base paraissent très sensiblement s’être formés dans les filons produits par l’écoulement des eaux entre les couches perpendiculaires de Kneiss. J’ai trouvé aussi entre les couches beaucoup de végétaux en partie pulvérulents et noirs. Ces filons sont tous très-étroits. Le plus large que j’ai vu avoit à peine 10 pouces de puissance.
Ces espèces de charbonnières avoient été annoncées comme des ressources très importantes pour le Pays d’Oisans et qui méritoient qu’on encourageât leur exploitation. Il est heureux sans doute que les habitants de Venosque trouvent là une matière utile à leur chauffage en l’employant avec leur bois ; mais je ne crois pas qu’on puisse compter sur la consommation du pays d’Oisans, sur le produit de ses filons qui me semblent, par leur propre nature et par celle de la montagne dans laquelle ils existent, ne pas promettre une suite avantageuse.

La Veneo (le Vénéon) qui coule d’abord du sud-ouest au nord-est au bas de cette montagne est forcée à demi-lieue de Venosque de changer de direction par un torrent qui descend avec impétuosité des montagnes de glace à l’ouest et au nord, et qui l’oblige à courir du nord-ouest au sud-est dans la gorge profonde qui porte le nom de gorge de Venosque. Entre les sommités des montagnes qui bordent cette gorge, il se trouve au pied des glaciers, plusieurs lacs ; la plupart sont en partie glacés eux-mêmes ; l’un des plus considérables de ces lacs est appelé le lac Lovetat (Lac Lauvitel). Il arrive quelquefois lorsqu’une fonte considérable de neige ou de glace vient grossir tout à coup les eaux de ces lacs, que ceux-qui débordent, et rompant une partie des digues qui les retenoient, inondent toute la gorge de Venosque et vont porter la dévastation jusque dans la plaine d’Oisans, où la Veneo, à la Romanche, à l’endroit nommé Lapis, au pied de la face du mont de Lans opposée au sud-sud-est. La Romanche sort alors de la balle d’Oris où nous l’avons quittée pour faire le tour du mont de Lans. La face du mont de Lans, au pied de laquelle ces deux rivières se joignent, offre de grande couche de la roche de schori très compacte pénétrée de stéatite et coupée à pic. C’est vers ce côté du mont de Lans, à l’entrée de la balme d’Oris que se trouve le schori blanc demi transparent et de forme rhomboïdale aplatie, en cristaux souvent empilés les uns sur les autres. Le père Angélique, récollet, qui a bien voulu m’accompagner dans cette course de montagnes, m’a dit que c’était lui qui avait fait cette découverte. Ces cristaux sont trouvés entre deux couches d’un schori en roche très dure et très serrée ; une argile jaunâtre enveloppe ces cristaux. Ils se trouvent quelques fois entremêlés sur le même morceau avec des schoris violets, ou d’autres de même forme, mais encroutés d’une espèce d’ocre qui les empêche d’être brillants et transparens.
La Romanche après avoir reçu la Veneo à l’issue de la gorge de Venosque, coule dans la plaine d’Oisans en suivant une direction moyenne du nord-ouest au sud-est.

La plaine d’Oisans à dans cette même direction 3 à 4 lieues de longueur à environ une lieue de largeur. Elle est cultivée en grande partie et les terres y sont assez fertiles ; mais souvent le laboureur voit ses moissons dévastées au moment où il étoit près de recueillir.
La plaine d’Oisans est terminée au nord-est et au sud-ouest par une suite de montagnes très élevées et escarpées contre lesquelles sont adossées souvent des couches calcaires. Je n’ai pas eu le temps d’observer assez ces montagnes pour entreprendre de les décrire.
Celle de la Gardette et celle des Chalanches qui en font partie et qui me sont bien connues ont été décrites d’une manière très intéressante par M. Schreiberg (Outre les articles de Schreiber(g) dont parle Dhellancourt, on connait une série d’écrit de la même époque concernant le Haut-Dauphiné. Les plus remarquables sont dus à Bernard Binelli, Bournon, Coquebert de Montbrey, baron de Dietrich, Dorthes, Guettard, Héricart de Thury, Monnet, Mongesz, Prunelle de Lierre, Sage, Villars, etc.) directeur des mines de Monsieur, à Allmon.

En fin d’ouvrage une carte : Cliquez sur l’image pour consulter la carte sur Gallica. 

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