1923, Souvenirs d’une institutrice.

1923, SOUVENIRS D’UNE INSTITUTRICE
Émilie Lambert, institutrice à l’école de Puy le Bas, de 1922 à 1923.

En 1999, Roger Canac publiait « Ces demoiselles au tableau noir, Souvenir d’institutrice en Oisans de 1921 – 1961 ».
Ce livre, inscrit au patrimoine des bonnes lectures uissannes, rassemblait sous la forme de 28 témoignages, les souvenirs émus de ces jeunes filles, qui, une fois sorties de l’École normale prenait la direction de petits villages perdus au fin fond d’une vallée reculée des montagnes d’Oisans.

C’était une tradition. Le premier poste de ces jeunes institutrices, une école qui souvent se limitait à une modeste salle de classe regroupant tous les élèves, dans un environnement qu’elles ne connaissaient pas et qui semblait si terrible sur le papier, infligeait bien souvent des angoisses et parfois des pleurs à ces jeunettes d’à peine 18 ans.
Dans cet ouvrage, Mme Janine André raconte son passage dans notre village dans les années 50. Dans les pages de notre site, Mme Perrin, raconte ses « Souvenirs d’Institutrice à Puy-le-Bas de 1942 à 1945 pendant l’Occupation (cliquez sur le lien). Des témoignages rares et précieux.

C’est donc avec un plaisir non dissimulé que je souhaite vous faire partager le récit inédit de Melle Émilie LAMBERT, institutrice au Freney-d’Oisans, à l’école de Puy-le-Bas durant l’année 1923.
Ce texte est mis en ligne avec l’aimable autorisation de Rirette Guillemard, fille d’Émilie Lambert, Colette Guillemard petite fille d’Émilie et nièce de Rirette, que je tiens à remercier chaleureusement, par ces quelques lignes.
Le texte, quant à lui, a été rédigé par Raymond († 2010), frère de Rirette, et papa de Colette. Il est écrit avec simplicité, car il le destinait à ses petits-enfants qui apprenaient alors à lire.
La description de ce premier contact, avec le Freney-d’Oisans et ses habitants, résonne comme essentiel. Un souvenir marquant qu’une jeune institutrice a voulu faire durer et, par ce témoignage, offrir la chance de nous le faire partager.

Avant de commencer la lecture, quelques informations vous permettant de contextualiser le lieu dans son époque.
Au début du XXe siècle, les deux hameaux des Puy avaient leur petite école située à Puy-le-Bas.
– Le recensement de 1906, nous apprend que les hameaux comptaient respectivement : 43 maisons, 23 ménages,
85 habitants pour Puy-le-Bas, 22 maisons, 8 ménages et 29 habitants pour Puy-le-haut.
– La route d’accès aux hameaux, commencée en 1882 terminée en 1889, était utilisable pour les carrioles et charrettes. Les autres accès passaient par les chemins muletiers qui sont toujours praticables de nos jours et dont les tracés n’ont guère changé.
La petit école de Puy-le-Bas fermera définitivement ses portes en 1946.

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1922, 1923, Souvenirs d’une institutrice.

« -Tu sais, Raymond, quand un jeune débute dans cette carrière, on l’envoie toujours dans le coin le plus reculé du département, celui où les conditions de vie sont difficiles, et où personne ne veut rester longtemps.

Quand mon tour est venu, un vieil inspecteur m’a dit que j’étais nommée dans la petite école du Puy du Freney, où j’aurais en charge une douzaine d’élèves, du cours préparatoire à l’année du certificat d’études. Il m’a indiqué qu’un car pourrait m’emmener de Grenoble au Bourg d’Oisans, qu’un autre, plus petit, m’acheminerait ensuite jusqu’ au Freney. Il allait écrire pour que, là, quelqu’un m’attende pour m’emmener au Puy, à cinq kilomètres plus loin, en pleine montagne.
« -Vous débutez ce lundi qui vient » m’a-t-il dit en mettant fin à notre entrevue.
« -J’ai entassé dans une pauvre valise et dans un sac mes modestes affaires, et je suis partie à l’aventure. Jusqu’ au Freney, le voyage s’est bien passé. Je regardais de tous mes yeux ce paysage que je ne connaissais pas du tout, et qui allait devenir le mien pour une année au moins. Au Freney, j’ai attendu patiemment, à la descente du car, que quelqu’un vienne me chercher. Au bout d’un très long moment, il a fallu me rendre à l’évidence: la lettre de l’inspecteur n’avait pas dû arriver, personne ne m’attendait.

J’étais jeune et vigoureuse, je décidai donc de rejoindre le Puy à pied. Je demandai mon chemin à des gens qui commençaient à s’étonner de me voir plantée là depuis si longtemps. J’empoignai ma valise, mon sac, et… en route ! Le chemin montait, en se tortillant comme un ver au bout d’un hameçon. J’eus vite chaud. La valise et le sac pesaient de plus en plus au bout de mes bras.

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Mais qu’importe, je continuais. Les cinq kilomètres me parurent interminables. De temps en temps je posais mes bagages à terre, pour souffler un peu. Malgré la fatigue, j’en profitais pour admirer les montagnes qui m’entouraient. C’était tellement inhabituel pour moi, tellement grandiose, que ça me rendait un peu de courage pour reprendre ma progression.

Enfin, j’arrivai au Puy du Freney. L’école, solide bâtiment, était bien reconnaissable au milieu des autres maisons. Au rez-de-chaussée était la salle de classe. Au premier étage, ce devait être mon logement. Emue, je m’approchais et poussais la porte. Elle ne s’ouvrit pas : elle était fermée à clé et, bien sûr, la clé n’était pas sur la serrure. Désespérée, je m’assis sur une marche, entre mes bagages. Dans la maison voisine, une fenêtre s’ouvrit, une silhouette féminine apparut :
– Etes-vous la nouvelle institutrice ?
– Oui
-On ne vous l’a pas dit ? Vous auriez dû prendre la clé en bas, au Freney. On l’a déposée pour vous à la mairie »

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Toute la détresse du monde s’abattit sur mes épaules. Comment, fatiguée comme je l’étais, redescendre au Freney, prendre la clé, et remonter.. Impossible, d’autant plus que la nuit allait bientôt survenir. Toujours assise, complètement désespérée, j’éclatai en gros sanglots.
La voisine ouvrit sa porte et vint vers moi:
– Il ne faut pas vous mettre dans cet état, Mademoiselle
En hoquetant, je tentai d’expliquer :
– Mais je suis morte de fatigue, perdue, je ne sais même pas où dormir.
– Allons, venez chez moi, je vais vous faire un café bien fort. Et puis, les hommes vont rentrer des champs dans un instant. Ensemble, nous trouverons bien une solution »

Son mari arriva à la tombée du jour. Il se mit en colère contre « ces messieurs de la ville » qui avaient si mal organisé l’arrivée de « la maitresse ».
– Je serais allé vous chercher, bien sûr, mais personne ne m’a dit que vous veniez, Vous allez manger avec nous. Nous ne sommes pas grandement logés, mais nous allons installer une paillasse et des couvertures sur le foin, dans la grange. Vous y dormirez comme une reine. Et demain, j’attellerai le cheval à la carriole, et nous descendrons chercher cette fameuse clé. »

Les choses se passèrent comme il avait dit. Je pus enfin entrer « chez moi » et préparer la salle pour la première journée de classe.

Ma malheureuse arrivée fut vite oubliée. Dans ce petit hameau, les enfants se montrèrent dociles, pleins de bonne volonté, et leurs familles me témoignèrent beaucoup de chaleur humaine. Ils m’invitaient chez eux à la veillée, me donnaient du lait, des légumes, me descendaient avec eux, pour me distraire, quand ils allaient au chef-lieu.
Finalement, j’ai passé là une de mes plus belles années. »

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Rirette nous apporte quelques précisions sur sa maman, Émilie Lambert ainsi que quelques anecdotes :
Melle Émilie Lambert est née à Merlas (Isère) où son père était instituteur.

Environ la moitié des enfants qui constituaient l’effectif de l’école étaient mis en pension dans les familles paysannes. Émilie Lambert leur donnait un surnom ou un nom « Bocaccio (orthographe indéterminée) ». (Je n’ai rien trouvé sur ce sujet, peut être un nom de famille !

Les travaux des champs et les beaux jours mobilisaient les enfants qui manquaient alors souvent l’école pour aider les familles.

Durant l’hiver, Émilie était souvent invitée à passer de longues veillées en compagnie des habitants du hameau.
Les hivers étaient très rigoureux. Il neigeait souvent plusieurs jours de suite. La neige s’accumulait, les hommes ne faisaient la trace que lorsqu’elle cessait de tomber. Pendant cette période, pas d’élève et pas de contact avec le reste de la population.

L’étable était composée : à gauche du couloir l’entrée, la cuisine à droite, ces deux pièces étaient chauffées par la chaleur de l’étable. (Rirette se souvient  : J’ai connu d’ailleurs les derniers moments de ces réalités à Besse vers 1965 ; j’étais toujours étonnée, lorsque le troupeau collectif traversait le village en rentrant de la pâture, de voir les vaches quitter spontanément le troupeau devant « leur » maison et entrer par l’entrée des hommes.)

La balade traditionnelle des jeunes (dont Émilie) les conduisait au plateau d’Emparis (par le chemin de Puy le bas à Clavans, par Notre-Dame-du-Follet).
(Rirette se souvient : « Ayant découvert moi-même ce plateau en 1966, j’en avais parlé avec maman. Elle me disait qu’ils montaient au col qui domine les Puy, puis au col de Sarenne, puis Clavans, Besse, Rif Tort et le plateau. Je ne me souviens pas, mais je ne pense pas qu’ils aient pu faire le voyage en une journée ! Sans doute couchaient-ils à Clavans où l’instituteur était une amie de maman. Ce qui m’étonne c’est qu’ils n’aient pas pris le chemin que j’ai emprunté en 90, il devait bien exister. »

De son école, la nuit, maman pouvait voir la lumière à l’école de Mont-de-Lans, de l’autre côté de la vallée.
Petite anecdote  : dans sa chambre au premier, un jour il y a eu un serpent, sans doute tombé d’un char de foin passant devant l’école.

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Documents annexes et photos par ordre d’apparition :
La nomination d’Émilie Lambert à la petite école de Puy d’en haut, où elle resta 2 années.
Photos prises en 1923 devant l’oratoire Saint-Servant, en arrière plan, la plaine du Dauphin avant la construction du Chambon.
Vue sur le Freney-d’Oisans en 1923.
Émilie Lambert, à droite de l’image, auprès d’une famille du village (?).
École en 1967. (Quand Rirette a montré la photo à sa maman, cette dernière n’a pas reconnu l’école dans laquelle elle avait travaillé, et elle lui a indiqué que son école se trouvait à Puy le haut. Mes investigations ne m’ont pas laissé supposer qu’une autre école se trouvait à Puy-le-Haut en 1922-1923.)

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