À l’assaut de la Meije en vol à voile !

La Meije, reine de l’Oisans.

LE VOL À VOILE EN HAUTE MONTAGNE A L’ASSAUT DES CIMES, EN AIR-100
Source :  Gallica
Revue : Les Ailes 
Date d’édition : 15 mai 1954

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Comment un jeune pilote de l’Aéro-club du Dauphiné, Jean-Louis Perrier, s’est attaqué à la Meije, le plus haut sommet de l’Oisans

ACTIVITÉ fébrile par cette matinée du 14 avril à l’Aéroport Jean-Mermoz, à Grenoble. Les vacances pascales, un fort vent Nord-Est, ont déchaîné la Section de Vol sans Moteur de l’Aéro-Club du Dauphiné. De très bonne heure, « Milan » et « Emouchet » présidaient déjà aux ébats dés skieurs sur les pistes de Chamrousse.

À la Météo, Jean-Louis Perrier — 21 ans — étudiant, hésite entre les 300 km. que lui déconseille le chef-pilote Giraud, et l’épreuve d’altitude du brevet E. Un gain de 3.000 m. en vol de pente paraît une gageure en tout autre lieu qu’à l’Aéroport Jean-Mermoz. C’est pour cette performance que, cependant, J.-L. Perrier se décide.
L’Air-100 est en piste. Départ au treuil…

Laissons maintenant au compte rendu de Perrier toute son éloquence dans sa sobriété.
— À 11 heures, lancer normal. Les forts de Montavit et des Quatre-Seigneurs sont atteints en moins de dix minutes.
« A 11 h. 20, altitude 2.200 m. Je survole les Lacs de Laffrey et le plateau de la Matheysine. La, grosse tête de sphinx de l’Obiou me semble un objectif incertain. Je reviens sur le Taillefer (2.668 m.). Accrochage difficile à 1.600 m. au-dessus de La Morte. Je peux néanmoins contourner le Massif et atteindre la face Nord-Est où le vent me donne l’ascendance maximum. Le variomètre oscille entre +4 et +5 mètres-seconde. Très vite, le sommet est atteint.
« A 12 h., altitude 3.000 m. Je m’octroie quelques instants de répit pour jouir du spectacle unique qui m’est offert. La Romanche, à 2.500 m. en-dessous, me semble un fil d’argent. Cette nappe de brume au loin, c’est Grenoble. Au Nord-Est, le Mont-Blanc ; plus près, les Rousses et les Aiguilles d’Arves ; au Sud-Ouest, l’Obiou et son gros nez ; plus modeste, le Mont-Aiguille et les Monts du Vercors ; les Lacs de Laffrey, miroirs de poupées et là, tout près, dans un chaos indescriptible, pêle-mêle, accumulés, pics et glaciers de l’Oisans, du Pelvoux, la Muzelle, les Rouies reconnaissables à leur grosse tache blanche, les Bans, Aile-froide, les Écrins, et, bien à l’Est, l’orgueilleuse Meije avec ses 3.987 m (Sic). dressés comme un défi…
« Au fait, pourquoi pas La Meije ?… Aucun planeur n’a jamais encore exploré la partie des chaînes.
Que vais-je rencontrer dans cet enfer ? La Meije, si cruelle aux alpinistes, sera-t-elle plus clémente aux vélivoles ?…
« Badin à 120 km.-heure. J’avance péniblement en direction de Bourg-d’Oisans que j’atteins à moins de 2.000 m. La vallée se resserre, l’air est de plus en plus agité ; le planeur, tel un bouchon sur des vagues invisibles, monte, s’incline, s’effondre, repart, à un tel point que j’éprouve le besoin de resserrer les sangles avant de continuer la lutte. Et je n’accroche toujours pas contre cette paroi hostile !
« Je survole maintenant le barrage de Chambon. L’altimètre marque 1.700 m. Vais-je échouer lamentablement ? Je regarde, angoissé, la nappe liquide, seule zone — possible d’atterrissage. La route de Briançon m’apparaît bien proche et je suis à 50 km. du terrain. Comble de malchance, de gros nuages gris apparaissent et courent avec rapidité au-dessus de ma tête.
« J’essaie du thermique vers un cirque étroit encore ensoleillé. Les remous sont effroyables de violence et d’intensité. Les deux mains crispées sur le manche, je résiste de toutes mes forces à cette coalition des éléments déchaînés. Hurrah ! je monte : 1 mètre/seconde, puis 2 mètres/seconde, puis 3 mètres/seconde.
Je spirale toujours dans cette cuvette exiguë. Les turbulences s’atténuent au fur et à mesure de la progression.
« 14 heures : 2.700 m. J’atteins la crête de la falaise qui borde le glacier du Mont-de-Lans. Ouf ! malgré le froid, je respire mieux. La pente du glacier est bien orientée ; je m’y engage résolument, droit vers la Meije dont les arêtes déchiquetées m’apparaissent bien proches. Mais le ciel se couvre de plus en plus. Je découpe les dents du Rateau à 3.300 m. ; le vallon de la Selle me semble presque accueillant avec son tapis de neige immaculé.
« 14 h. 30 : altitude 3.400 m. Les nuages s’effilochent aux aiguilles de La Meije. Je chute un peu dans la trouée de la Brèche, pour reprendre sur les Enfletchores. Je longe la paroi Nord de La Meije qui ne m’a jamais aussi impressionné. Je grignote péniblement quelque cent mètres, mais le plafond s’abaisse toujours et des rafales de neige et de pluie cinglent ma petite nacelle.
« A 30 ou 40 m. du planeur, le Doigt de Dieu élève son glaive de granit. N’est-ce pas téméraire de persister dans cette lutte inhumaine ?
Une mèche ouatée, qui passe sous l’aile de l’Air-100, met un terme à mon hésitation. Demi-tour !
« Je reprends le même chemin en sens inverse, glanant de ci, de là, quelques ascendances. Inutile de compter sur Chamrousse par la vallée de la Romanche ; je ne passerai pas. Je retourne, en louvoyant, au Taillefer où le vent, moins violent, me permet néanmoins de remonter à 2.400 m. Grenoble, au loin, semble bénéficier des écluses célestes. Qu’importe, je suis sûr de rentrer.
« Une longue ligne droite, un banal tour de piste et l’Air-100 arrête dans les pâquerettes de l’aéroport. Mes camarades se précipiter sur le barographe qui accuse 3.40 » m., soit 3.600 m, d’altitude exacte. On me harcèle de questions. Je reste là, hébété, fourbit. N’ai-je pas eu un peu peur ? Eh bien soit ! mais, je te promet, Meije, que nous nous retrouverons… »

Il n’y a rien à ajouter à la relation de Jean-Louis Perrier, dont un romancier ferait trois cents pages de texte, si ce n’est que la flamme qu’anime le Président Matussière et qu’entretient avec passion le sympathique Giraud et ses dévoués collaborateurs Collot et Lizère, n’a jamais brillé d’un plus vif éclat.
Concluons, toutefois, en souhaitant que l’équipement des planeurs de performance soit complété par un poste radio permettant de rester en contact avec la base de départ ou une voiture accompagnatrice afin de rendre plus efficaces et plus prompts les secours en cas d’atterrissage en liante montagne.

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