Adresse non valide

ADRESSE NON VALIDE
Ou les tribulations d’une adresse postale dans un village de l’Oisans. Toute ressemblance avec des personnages existant n’est pas fortuite.

Adresse non valide, adresse non valide…
Ça y est, vous êtes au bout de votre commande sur une boutique en ligne, ou en face d’un commercial dans un grand magasin ou d’un agent de l’administration. Vous êtes sur le point de finaliser votre fiche d’enregistrement… mais non, cette satanée machine refuse de prendre vos coordonnées.
Pour rentrer dans le programme, il faut un nom de rue et parfois un numéro d’habitation, le formulaire est fait comme cela, c’est imparable nos villages sans nom de rue sont  indigestes aux bases de données.
Que faire ?
On essaye de passer en force, on indique « Le Village », ça marche… OUI, NON …la machine refuse. « Chef-lieu », toujours pas. « Lieu-dit »…  après un quart d’heure à batailler avec votre clavier ou votre interlocuteur, vous avez trouvé le sésame. Enfin, c’est ce que vous pensiez… l’adresse rentre dans CE programme, mais le suivant, celui qui dirige votre colis, celui utilisé par le transporteur, celui du centre de tri, va-t-il l’accepter ? Autant d’obstacles à franchir à votre courrier avant d’arriver dans votre boîte.
Après d’infinies précautions, relectures, c’est certain. Tout est réglé. Votre fiche est parfaite. Vous allez recevoir votre commande si durement enregistrée.

La vie est belle.

Faux espoirs.

Plusieurs commandes arrivent sans encombre, mais un jour, un message par mail ou un coup de téléphone on vous informe « Non livrable, adresse non valide ».
Pourtant vous n’avez rien changé. Vous non, mais le programme qui gère les formulaires d’enregistrement, lui oui. Une mise à jour… La version est passée en 5.02 et il y a un champ de plus que la version 5.01. Ce nouveau champ est vide, c’est pour cela que ça ne marche plus. La base de données à un trou qu’il faut combler. Un nouveau mail fait sonner votre ordinateur. Il vous indique que comme le colis était mal adressé, la prochaine livraison se fera avec une majoration de 5%.
Après plusieurs tentatives, vous commencez à désespérer. Adresse non valide, adresse non valide…
Vite un numéro de téléphone, des coordonnées où vous aurez enfin la chance de parler à un être humain doué de raison et de bon sens qui pourra vous comprendre.
Accroché au combiné, le temps passe, 5, 10 minutes de solitude à attendre, bercé par une mélopée guimauve et commerciale.
Une voix à l’accent marqué répond à l’autre bout du fil. Pas toujours facile à comprendre ou se faire comprendre. Vous essayez d’expliquer votre problème.
J’habite un petit village perdu dans la montagne…
Non il n’y a pas de non de rue…
Non monsieur, je n’ai pas de numéro d’immeuble …
Oui monsieur, vous allez me guider par téléphone.
J’ajoute…
J’enlève…
Je déplace…

Excusez-moi, je ne comprends pas ce que vous me dites…
Vider le cache de ma machine pour rafraîchir la page ?

Après une bataille acharnée, VICTOIRE ! On ne touche plus à rien, votre adresse est rentrée dans cette satanée machine. Bon d’accord, dans l’absolu, cette fichue nouvelle adresse est fausse. Un numéro fantôme ou un nom de rue imaginaire, mais c’est le prix à payer pour bien compléter tous les champs obligatoires de la version 5.02.
Avec un peu de chance, vous tomberez sur le facteur ou le livreur habituels de votre village.

Quoi qu’il en soit, il faut vous faire une raison et ça ne va pas s’améliorer !
Les modèles numériques des adresses postales n’aiment pas nos villages sans nom de rue et sans numéro.

Depuis quelques années déjà, j’ai renoncé à faire appel aux services des transporteurs de renommée internationale, incapables de livrer le moindre colis à mon adresse personnelle et avec de grosses difficultés sur mon lieu de travail. Les colis sont bloqués dans un va-et-vient perpétuel entre le camion de livraison et le centre de tri de ces sociétés jusqu’à réception d’un message m’informant de la situation.

Aujourd’hui un nouvel échelon vient d’être franchi. Certains colis ne passent plus les premiers centres de tri. Quand ils y parviennent, c’est pour être confrontés à la disparition des receveurs dans nos villages, la centralisation des services de tri en sous effectifs et le remplacement au pied levé de nos coutumiers facteurs et factrices par un personnel versatile méconnaissant le secteur qu’il doit couvrir, snobant les habitants qui y vivent. — Seuls les calendriers bénéficient d’une distribution sans faille et nous octroie le plaisir de voir enfin le gracieux visage du nouveau facteur (identifiable jusqu’à ce jour par la distribution d’avis de passage injustifié…) —
Oublié le temps des Léon, Paul, Jean-Baptiste, Marcel et Albert, facteurs qui, par tous les temps, enjambaient les montagnes pour porter les enveloppes et colis.

Mais la résistance s’organise !
Petit à petit des initiatives heureuses fleurissent sur les murs des maisons. Des plaques aux noms empreints d’une culture locale ou d’une histoire oubliée ponctuent les rues de quelques villages.

Ainsi, confronté à ces problèmes d’adresses, mais aussi à celui de la confusion de nom avec l’Alpe de Venosc et Venosc village et également aux  nombreuses complications de courriers, livraisons, mais aussi à l’intervention des secours, le Conseil Municipal de Venosc a opté pour un système métrique rayonnant depuis un point central, la Mairie.
Cette méthode de numérotation évite d’intercaler des numéros Bis et Ter pour d’éventuelles nouvelles constructions.
Depuis cet été, vous pouvez redécouvrir le village de Venosc à la recherche des noms des rues, la route de la Rose Bleue, attachée à la légende de cet enfant du pays, colporteur partit en Russie vendre une hypothétique rose bleue au Tsar, ou la Montée du Câble qui mène à la Place des Ardoisiers, rappelant qu’à cet emplacement un câble descendait depuis l’Ardoisière ; autant de noms choisis et validés par un conseil de sages et d’anciens, racontant l’histoire du village

À Auris, ce sont les desseins du BIC (Boite à Idée du Cert), hameau de la commune qui a quant à lui, proposé de baptiser « pour aider le facteur » les noms de rue. Le conseil Municipal a ensuite proposé à chaque hameau de choisir ses noms de rues. Une réunion a ensuite été organisée avec les habitants et un plan de chaque hameau. Mines inépuisables de l’histoire locale, les anciens ont eux aussi participé à cette belle aventure. C’est ainsi que depuis le 31 juillet 2010, Rue Saint Antoine, Chemin de Sôcougne, La place dou Quârt, l’Impasse des Jaillets enorgueillissent les murs des maisons du hameau de La Balme d’Auris. Ces très belles plaques ont la particularité d’avoir été toutes réalisées par les habitants du village. Implications de savoir-faire pour la découpe des plaques, leur décoration, le vernissage (4 couches de vernis marin) et enfin la fixation sur le mur des maisons par les services techniques de la commune.

Notre époque beigne dans une technologie qui s’avère parfois contraignante. Certains modèles numériques ne fonctionnent pas chez nous, mais nous sommes contraints de les adopter. Au milieu de ces bases, données, concaténations, statistiques, le bon sens et le raisonnement ont du mal à trouver une place.
Le progrès est une Boite de Pandore qui nous plonge inexorablement dans un asservissement qui nous rend dépendant et peut-être esclave.
Rarement une petite porte s’ouvre au milieu de cette environnement numérique froid et déshumanisant. Ce petit espace de liberté s’affichera peut-être un jour sous la forme des plaques de rues empreintes de la poésie et de l’histoire de nos villages, que nous indiquerons, non sans fierté, dans ce fichu formulaire en ligne.

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