Baptême en 1810 à Mont-de-Lans

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Le premier mai 2013, j’ai été convié à un baptême. La cérémonie, toute particulière, s’est déroulée au village de La Garde. La baptisée s’appelle « Aurélie Nathalie Thérèze ». Quelques jours plus tard, elle fut hissée aux côtés de ses deux sœurs dans le beffroi de l’église Saint-Pierre. Naturellement, ma baptisée est une cloche. Attention, je ne dis pas qu’elle est cloche, je dis bien qu’elle est une cloche de 190 kg, qui donne la note ré quand elle prend le bourdon.

Il y a quelques jours, j’ai pu lire une version très particulière des Mémoires de Grégoire Perrin. 
Publiée pour la première fois dans les années 60 : « Passer les cols, franchir les Alpes : Les campagnes d’un bâtisseur de routes sous le 1er Empire » est la version la plus connue du livre regroupant les notes de Grégoire Anselme Perrin, ingénieur et maître d’œuvre entre autres choses, de la route impériale qui part de Grenoble à Briançon (Petite route de l’Oisans), construite au début du XIXe siècle, sous l’impulsion du Préfet Joseph Fourier.
Quelle ne fut pas ma surprise d’apprendre qu’il existait une deuxième version de cet ouvrage, publiée en 2000 et annotée par Bruno Guirimand, arrière-petit-fils de Féréole Perrin (arrière, arrière arrière petit neveux de Grégoire si je ne me trompe pas). L’auteur indique dans l’avant-propos que la première édition avait été amputée de nombreux paragraphes relatant des moments de vie rurale, religieuse et politique. C’est donc avec un intérêt certain que j’ai relu cette version augmentée et complète des mémoires d’un perceur de tunnel.
Un passage m’a rappelé le baptême d’« Aurélie Nathalie Thérèze », avec la grande différence que dans ce passage, c’est Grégoire que le curé de Mont-de-Lans prend pour une cloche.
Notons que cet ouvrage fourmille de petites anecdotes et informations très intéressantes sur la vie locale Uissane (histoire des fantômes de l’hôtel Perrin du Freney-d’Oisans sur ce site) et aussi des villages voisins. À ce titre, mais aussi pour la qualité de plume de Grégoire Perrin, ainsi que pour la tranche d’histoire racontée, à mes yeux, il fait partie des ouvrages incontournables à lire pour qui s’intéresse à l’Oisans.
Pour conclure et rester dans les cloches, un passage relate de façon très précise, avec toute la rigueur d’un ingénieur du XIXe siècle, la refonte d’une cloche pour l’église du village de Nantes-en-Rattier (voisin de la Mure), d’où était originaire l’auteur.

La cloche du Mont-de-Lans
En 1810 le curé du Mont-de-Lans M. Bouvier, homme sans instruction et sans connaissance, fit l’acquisition d’une cloche pour employer mille francs qu’un nommé Martin de sa commune avait donnés en mourant, à l’église. Le curé et le corps municipal de cette commune désirèrent que je fusse le parrain de cette cloche et madame Bertrand la marraine, je refusai d’abord, mais ils réitérèrent leurs prières si souvent que je finis par accepter leur proposition.
Cette cérémonie eut lieu le 9 septembre 1810, tous les curés de l’Oisans s’étaient rendus au Mont-de-Lans ; M. Col comme archiprêtre fut le célébrant. Un grand dîner eut lieu à la suite de la cérémonie ; ce dîner, bien entendu, fut à mes frais. Lorsque nous fûmes au dessert, il fut question du cadeau qu’en pareille circonstance le parrain fait ordinairement à l’église. Ces messieurs me donnèrent à entendre que j’avais contracté l’obligation de payer le surplus de ce que coûtait la cloche, les mille francs prélevés, ce qui s’élevait à cinq ou six cents francs. Je déclarai alors que je ne voulais rien donner à l’église, mais que je donnerais volontiers semblable somme, pourvu qu’elle fût distribuée aux pauvres de la commune qui, cette année-là, en avaient le plus grand besoin. Les récoltes avaient manqué et plusieurs étaient dans la plus affreuse misère, le seigle valait au marché sept et huit francs la mesure. Je demandai que le curé du Mont-de-Lans conjointement avec le maire dressassent un état des pauvres et qu’ils leur donnassent les billets suivant leurs besoins et à concurrence d’une somme de six cents francs. Ma proposition fut louée par le plus grand nombre, mais le curé Bouvier qui avait envie d’avoir l’argent à sa disposition ne trouva pas à propos de distribuer ainsi cet argent. Je le connaissais assez, et ce fut pour cela que j’ajoutai que les six cents francs seraient déposés entre les mains de madame Bertrand qui payerait les billets aux pauvres à mesure qu’ils se présenteraient. Les autres prêtres trouvèrent qu’on ne pouvait pas donner un meilleur emploi à cette somme, l’abbé Bouvier ainsi que le maire finirent par y consentir ; mais lorsque les pauvres s’adressèrent à eux pour obtenir des billets, ils leur répondirent tous les deux qu’ils ne voulaient pas s’en mêler, que cela ne les regardait pas.
J’en fus instruit, je leur envoyai exprès (et surtout au curé) plusieurs pauvres, il refusa constamment. Je fis alors venir chez moi un homme de chaque village, le plus brave et le plus honnête, nous dressâmes un état, et le dimanche suivant je distribuai moi-même avec madame Bertrand cette somme.
Cette cloche porte mon nom et mes deux prénoms et ma qualité d’entrepreneur des travaux de la nouvelle route d’Italie, elle pèse neuf quintaux moins quelques livres (Note de bas de page).

Note de bas de page : L’inscription campanaire est la suivante « + — Ste Marie Majeure prie pour nous faite par don de Mr Michel Martin — Mon parrain Mr Grégoire Anselme Perrin entrepreneur des travaux de la nouvelle route — Ma marraine Dame Euphroisine Bertrand née Gondrand — Mr Jacques Roux maire — Mr A Bouvier recteur — En août 1810 ».
Marque de Bonnevie. La note de la cloche est un La.

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