Grave accident au Barrage du Chambon en 1930

GRAVE ACCIDENT AU BARRAGE DU CHAMBON EN 1930

La construction du Barrage du Chambon fut endeuillée à plusieurs reprises par de terribles accidents de chantier. De ces accidents nous ne savons que peu de chose, cet article du Petit Dauphinois de 1930 nous retrace l’un d’eux.  

Le Barrage du Chambon fut l’un des plus grands chantiers européens de son temps. Une ruche humaine bourdonnante. Plus de 900 ouvriers, de 14 nationalités différentes, se mêlant dans un environnement hostile, jalonné d’explosions, de tonnes de terre et de cailloux, de grumes, de ferraille, de bruits assourdissants, de fatigue et de froid. À 1000 mètres d’altitude, par toutes les saisons, ces hommes gagnaient durement leur vie, certains la perdirent, et de leur histoire, il ne reste que deux stèles, une au cimetière du Freney-d’Oisans et l’autre à Mizoën. Treize noms, gravés dans le marbre, parfois avec maladresse, comme Florindo Strappazzon, premier décédé du chantier en juin 1930, dont l’histoire nous avait été racontée par ces enfants, Elvire et Jourdan. Florindo devenant pour les marcheurs des allées gravillonnées, « Florido Strapazzon », un fantôme qui n’existe que sur la pierre blanche, dont le corps fut déchiqueté en une fraction de seconde par une mine, dont le nom fut écorché pour l’éternité par une maladresse humaine.
 Treize hommes, 13 noms, 13 destins broyés sur l’autel de notre histoire, aux noms de nos industries, de notre progrès.
13, ce nombre est-il exhaustif ?

De ce pan de notre histoire locale reste un monolithe de 320 000 tonnes de béton, et, accroché à lui, une légende tenace semble résister, qui passe de bouche en bouche au fil des générations, sans la moindre altération. L’histoire est tellement horrible, mais semble si lointaine, qu’elle choque à peine ceux qui l’écoutent et acquiescent toujours avec horreur, mais sans aucune réprobation.

« Quoi de plus normal… à cette époque ».

« Des ouvriers seraient tombés vivants dans le béton liquide lors de la construction du barrage, ils seraient morts noyés sans que l’on puisse arrêter la coulée déversée par les blondins, sans que l’on puisse les secourir. »
Quelle horreur cette histoire !

Horrible ! mais totalement fausse au regard de tous les documents techniques, de la méthode de construction par palier de un mètre, et des rares documents vidéo. Avec un dosage en ciment allant de 150 kg /m3 à 250 kg /m3 par mètre cube de béton cyclopéen, les ouvriers spécialisés, « griffeurs » et « signaleurs », marchaient littéralement sur le béton au fur et à mesure de l’avancement de la coulée.
 
Les accidents étaient, pour la plupart, situés sur le site de la carrière, provoqués par des tirs de mines, comme cela se produisit tragiquement pour Florindo Strappazzon.
Le plus meurtrier de tous fut consécutif à l’effondrement de dizaines de mètres cubes d’alluvions, provoqué par la rupture de la retenue des batardeaux, sur des ouvriers situés en aval, au plus bas des fouilles, dans une marmite glacière, un gouffre abyssal qui devint leurs funestes et éphémères tombeaux.
D’autres accidents étaient provoqués par l’habitude de gestes répétés, dix, cent, mille fois. 
Une mécanique bien huilée où vient se glisser un grain de sable mortel, comme cela s’est produit en cette fin de journée, ce lundi 22  décembre 1930, effroyable moment qui coûta la vie à M. Derraldji Koudja. L’autre accidenté grave, M. Kerbato Abd-el-Kader s’en sortira après une longue convalescence. 
 

Le Petit Dauphinois 
Lundi 22 décembre 1930

Grave accident au Barrage du Chambon. 

Un ouvrier est tué. − Deux autres sont blessés, dont un très grièvement. − Dix-sept autres ouvriers faillirent être ensevelis

Nous avons, il y a deux jours, publié la photographie du barrage du Chambon. 
Ce barrage, dont la construction est loin d’être achevée, va couper la Romanche, au-delà du Freney-d’Oisans. Il créera un lac de six à sept kilomètres de long, d’où partiront de puissantes chutes d’eau destinées à alimenter de nombreuses usines de la région. 
Ces énormes travaux, commencés depuis plusieurs années, sont effectués par MM. Campenon et Bernard. La plus grande partie des ouvriers qu’ils occupent est d’origine étrangère.
Un très grave accident s’y est produit, ce soir, vers 19 heures. 
Sur un des côtés de la route est installé un tremplin sur lequel arrivent les matériaux montés par une benne tirée elle-même par un câble. 
Trois ouvriers se trouvaient sur ce tremplin. 
La benne, en montant plus violemment que de coutume, le fit basculer. 
Deux des hommes furent projetés dans le vide d’une hauteur de quarante mètres environ. 
L’un d’eux nommé Koudja, algérien âgé de 31 ans, fut horriblement broyé et tué sur le coup. 
Le deuxième, Kerbato Abd-el-Kader, âgé de 29 ans, a été très gravement blessé. On l’a transporté à l’hôpital de Grenoble dans un état désespéré. 
Le troisième Remollo Pizollo, 22 ans, sujet italien, avait eu le temps de sauter, en (et) ne s’est fait que des contusions.
Dans la fouille au-dessous du tremplin, se trouvaient dix-sept autres ouvriers. Ils furent frôlés par les matériaux tombés du tremplin, et on les crut tous ensevelis. 
C’est d’ailleurs, ainsi, par le plus grand des hasards qu’ils ont échappé. Les blessés ont reçu les soins de M. le docteur Faure, de Bourg-d’Oisans. 
Les constatations ont été faites par les gendarmes Blanc et Arnaud, du Freney-d’Oisans.

Sources : 

Archives André Glaudas

1930-A.Glaudas- § 20 – article-Le Petit Dauphinois-Lundi 22 décembre 1930

Mémoire :
Historique, de la construction du Barrage du Chambon mémoire

Présenté par Jean-François Obled

Sous la direction de Mme A. Dalmasso
 Année 1997-1998

Dossier Vicat : 

Société de Régularisation, Forces Motrices de la Vallée de la Romanche le Grand Barrage du Chambon
 

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