La Cheminée d’Auris en Oisans

LA CHEMINÉE D’AURIS EN OISANS

Parmi les innombrables chemins pédestres de l’Oisans, quelques-uns seraient à classer au patrimoine local et mériteraient une attention toute particulière tant ils sont porteurs d’une histoire forte et riche implicitement liée à la vie du village auquel ils sont rattachés.
La Cheminée d’Auris
fait partie de ces chemins mythiques.
Pendant des siècles, ce sentier spectaculaire était la seule connexion du village d’Auris. Entre 1895 et 1902 la vertigineuse route (praticable par des voitures à moteur) qui passe par la Roche de l’Armentier-le-Haut, hameau de la Garde est ouverte jusqu’à Auris. La Cheminée devient une voie secondaire, de moins en moins fréquentée.

La Cheminée ressemble à un empilement de Z de plus en plus étroits que l’on pourrait croire gravés à la pointe d’un sabre à même la falaise. Quand on regarde cette succession de lacets les seuls mots qui viennent à l’esprit : « allez courage ! ».
Du courage, il en fallait pour affronter cette montée.
J’imagine les voyageurs, institutrices, évêques venus pour la Confirmation, aréopage d’officiels de la grande ville, le docteur appelé en urgence et bien souvent trop tard… déposé au pied du chemin à la « gare d’Auris » par la diligence assurant le service entre Grenoble – Briançon, je les imagine levant les yeux au ciel, scrutant le chemin à gravir pour la première fois, au fond des yeux comme une prière : «  Seigneur, donnez-moi la force ».
Au siècle dernier, une maison située départ du « chemin général » (autre nom donné à la Cheminée à l’époque où elle demeurait l’unique moyen d’accès au village d’Auris), proposait sa mule pour monter les bagages des voyageurs. (Le nom de famille Ribot dit « Riboutine » apparaît souvent dans les textes consultés sans apporter la confirmation qu’il assurait lui-même ce service aux voyageurs).

Un peu plus loin, c’est le pont dit « Romain ». Ce pont n’a de Romain que le nom, André Allix explique que s’il y a eu un pont romain, ses vestiges doivent être recouverts par des dizaines de mètres de sédiments et alluvions charriés par la Romanche.
Le Pont actuel a été construit au XIXe siècle. Marius Hostache donne dans son livre « Souvenir des montagnes de l’Oisans » un terrible faits-divers sur l’origine de ce pont :
« Le pont sur la Romanche fut conçu par mon arrière-grand-père, alors Maire d’Auris. Il y perdit la vie en se noyant dans la Romanche en voulant la traverser avec sa jument, très belle paraît-il. Le courant étant très fort ce jour-là les emporta tous les deux. Il traversait la Romanche pour recevoir une délégation de la Préfecture de l’Isère au sujet d’une subvention à accorder pour la construction du pont »

L’ascension peut commencer alors.
Les habitants qui l’empruntaient fréquemment avaient donné un nom à chaque particularité de l’ascension, l’aiguillot, la Vira ruanda, la garde-robe, Socri
À cette époque, le chemin était entretenu par tous. Il était suffisamment large pour accueillir une mule bâtée. Les braves bêtes chargées sans complaisance, montaient et descendaient sans relâche. Le propriétaire agrippé à la queue de l’animal se laissait tirer une bonne partie de l’ascension et criait ses ordres quand la mule faisait sa tête.
La Cheminée était pendant des siècles la seule et unique artère pour le village d’Auris. Tout passait par ce chemin. Notamment, les matériaux nécessaires à réparation et à l’agrandissement de l’église d’Auris (la chaire, les autels, les marbres et ardoises) sont passés par-là, sur le dos des mulets. À la fin du XIXe siècle, la plomberie, zinguerie, sanitaires et vitres, furent acheminés par cette voie pour le chantier de l’école et la mairie.

Le chemin est raide, certes, mais il offrait et offre toujours l’avantage d’être praticable toute l’année, hiver comme été. Très ensoleillé, la neige n’y tient pas très longtemps et les seuls dangers redoutés par ses usagers étaient l’étroitesse de certains virages, les ascensions de nuit sans lune, ou le gel qui s’installait par grands froids. L’histoire de la cheminée raconte que les ouvrières de la soierie de Sarenne, près du Bourg d’Oisans, remontaient retrouver leurs familles au village d’Auris chaque fin de semaine. L’hiver, la Cheminée était parfois glacée, elles préféraient quitter leurs galoches bien que cloutées pour marcher sur la glace avec leurs chaussettes de laine qui avait l’avantage de bien moins glisser.
Très souvent les familles attendaient à la fontaine de la Balme. Elles envoyaient sur le chemin les plus jeunes à la rencontre des ascensionnistes pour les aider et les encourager à affronter les derniers virages.

La fontaine de la Balme, vous êtes arrivé !

Aujourd’hui, la cheminée reste un chemin agréable à découvrir et à redécouvrir. Il semble au premier abord vertigineux, mais il est suffisamment large sur toute sa montée et offre toute la sécurité nécessaire lors de son ascension. Sa descente peut cependant provoquer quelques désagréments à des personnes sensibles aux grandes hauteurs.
Le premier tiers de la randonnée est ombragé et la pente n’est pas trop agressive. À la moitié du chemin, un panorama grandiose s’offre à vous. Le chemin est ponctué de lavande odorante, d’œillets, joubarbe et plus tard dans la saison d’été d’hysopes. Lézard vert, larmuses, papillons et coléoptères s’écarteront à l’écho de vos pas. Le dernier tiers, la garde-robe et la Cheminée, succession de virages étayés par des murs en pierres sèches, seront, sans nul doute, les plus fatigants. La vue de l’oratoire Saint Christophe vous indique la presque fin de l’ascension. Évitez les heures où le soleil est le plus fort, car les abris ombragés sont rares. Penser à prendre de quoi vous protéger du soleil. Des chaussures de montagne sont fortement conseillées, car, bien qu’accessible et marchant, le chemin n’en est pas moins caillouteux. Dans votre sac, de quoi boire en quantité suffisante (il est possible de remplir votre gourde à la fontaine au centre du hameau de la Balme d’Auris) et de quoi vous alimenter pour reprendre des forces.
Ce chemin contentera tous les marcheurs, les compétiteurs, comme ceux qui participent à la Vertical Kill, les marcheurs à la rechercher d’un point de vue magnifique et incomparable et les promeneurs qui souhaitent glisser leurs pieds dans les galoches de nos aïeux et ainsi comprendre un peu mieux comment la vie pouvait être différente autrefois.
Le sentier peut se prendre depuis le tunnel des Commères qui autorise un parking improvisé à l’amont.
Comptez alors 1h30 de marche tranquille pour arriver à la Balme d’Auris.
Il est aussi possible de faire une boucle en partant du Freney d’Oisans, comptez alors 5 à 6 heures de marche dans la journée pour faire le tour. Départ du Freney, monter à Bons, direction le Ponteil ou la Faurie, suivre à la descente le Garcin ou/puis la Rivoire, marcher environ 500 m sur la RD 1091, prenait le chemin de la Cheminée, arrivée à la Balme, suivre la direction des Châtains, puis les Cours. Prendre le chemin du facteur en direction de Puy-le-Haut et enfin redescendre au Freney. C’est la boucle que j’ai choisi de faire. Elle vous semblera sans doute longue, mais elle vous permet de visiter les petits hameaux, chapelles et oratoires, discuter avec les habitants dans un espace-temps différent qui laisse une place à la découverte, la contemplation et au plaisir.

Sources :
Marius Hostache, Souvenirs des montagnes d’Oisans
Louis Cortes, Oisans Recheches historiques
Pierre Barnola, Nom de lieux quelle histoire !
Bernard François Mémoire du Bourg d’Oisans Tome I
Coutumes et traditions de l’Oisans, Bulletins no 13, 26 et 34


Chemin de la Cheminée d’Auris en Oisans Google Earth (fichier zippé)

 

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