La Conspiration Didier, épisode 9

FEUILLETON HISTOIRE
LA CONSPIRATION DE GRENOBLE — 1816
Texte de Auguis. Publié dans le journal Le Temps en 1841.

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Épisode 9

Une proclamation du 13 mai annonça au nom du général et du préfet qu’en vertu des pouvoirs discrétionnaires qui leur étaient conférés, grâce pleine et entière était accordée à tout individu impliqué dans la sédition, qui livrerait ou ferait livrer les chefs de la révolte.

Une dépêche télégraphique porta, à Paris, le recours en grâce ; quatre jours après, une autre dépêche télégraphique transmit en ces termes le refus du pardon demandé.

Le ministre de la police générale, au général Donnadieu.

« Je vous annonce, par ordre du roi, qu’il ne faut accorder de grâce qu’à ceux qui ont révélé des choses importantes.
» Les vingt-un condamnés à mort doivent être exécutés sur-le-champ, ainsi que David.
» L’arrêté du 9, relatif aux receleurs, ne peut pas être exécuté à la lettre.
» On promet vingt mille francs à ceux qui livreront Didier.

» Signé Decazes. »

Ainsi le ministre était impitoyable pour ceux que la cour prévôtale et le conseil auraient voulu épargner. Ces juges terribles lui avaient signalé des hommes qui semblaient dignes d’indulgence, et lui qui ne pouvait apprécier leurs motifs, répond : tuez-les sur-le-champ.

Des hommes que la pairie de la Restauration a légués à la pairie d’un autre règne, ont prétendu que le conseil de guerre avait présenté comme simplement excusables, les victimes de sa précipitation, au lieu de déclarer franchement son erreur et leur innocence. Mais n’était-ce donc pas un exemple dont il fallait déjà déplorer l’énormité, que celui de seize vies humaines frappées par le bourreau ou par le plomb des soldats ? Si encore il se fût agi du cours de la justice entourée de toutes ses formes protectrices ; mais le tribunal qui avait condamné était illégal, rien ne pouvait en justifier l’existence, il était une violation de la Charte, dont l’article 65 interdisait expressément au gouvernement l’établissement des commissions et des tribunaux (extraordinaires. Sur seize citoyens, quatorze avaient péri sans jugement préalable ; car on ne pouvait qualifier de jugement la décision d’hommes sans caractère officiel ; le meurtre de ces quatorze citoyens n’était pas même un assassinat judiciaire ; c’était, s’il est possible, quelque chose de plus hideux, c’était l’emploi aveugle et passionné de la force brutale contre des êtres faibles et sans défense ; c’était la vengeance inepte qui s’assouvissait au hasard. Eh bien ! le ministre qui, de loin, devait être calmé et de sang-froid, se montre plus implacable que eux même qui ont contribué activement à réprimer la sédition, et quand ils reconnaissent que leur animosité les a entraînés au-delà des limites, il leur dit : « N’importe, innocents ou coupables, tuez, toujours ; surtout tuez vite ; » et cet ordre barbare, ce n’est pas par la voie ordinaire qu’il le fait parvenir, elle eût été trop lente ; c’est par le télégraphe que M. Decazes envoie la mort. On ne peut se figurer l’effroi dont furent saisis les habitants de Grenoble quand ils connurent cette atroce dépêche ; et les malheureux qui avaient compté sur leur innocence et la clémence du roi… il leur fallut se résigner. Leur exécution fut fixée au 15 mai.

Toute la garnison prit de nouveau les armes ; mais cette fois, point de curieux, point de cri de vive le Roi ! Les juges semblaient eux-mêmes épouvantés de leur justice : ceux qui passaient près du cortège se détournaient promptement ; ou ne pouvait, sans se sentir le cœur navré, arrêter sa vue sur la tête blanchie de ce vieillard de soixante ans, Noël Allouart, dont les traits profondément altérés, et le regard d’une fixité impassible, ne trahissaient qu’un seul regret, qu’une seule douleur ; la mort de ses deux fils, fusillés cinq jours auparavant sur l’esplanade!… Et Maurice Miard, ce jeune martyr de seize ans, lui aussi il allait à la mort, calme, courageux et seulement étonné, comme si c’eût été un rêve.

Les condamnés sont agenouillés : Piot, l’ancien grenadier de la garde reste seul debout ; il parle aux soldats du peloton qui va les foudroyer : mais le roulement du tambour couvre sa voix, et il tombe comme les autres, percé de plusieurs halles. Maurice Miard, ce pauvre enfant qui n’est que blessé chez qui la vie est forte, s’agite sans crier ; il remue un bras ; après de nouveaux coups de fusil, il lève encore la tête ; enfin on parvient à l’achever : plusieurs cris de pitié se font entendre, même parmi les exécuteurs. Les cadavres sont portés en terre, auprès de ceux de Drevet et de Buisson, auprès des quatorze.

Le peuple, ému de compassion, pleurait sur tant de cadavres, et dans son cœur s’augmentait l’horreur du gouvernement qui les avait frappés. Le général Donnadieu comprit enfin le danger de laisser s’envenimer cette haine qui couvait en silence. Dès le soir même du 15 mai, il écrivait à ce sujet au ministre de la guerre. Notre impartialité nous fait un devoir de rapporter sa lettre.

» Monseigneur, » Aujourd’hui à quatre heures, les sept des vingt-un condamnés à mort le 9, dont l’exécution avait été suspendue jusqu’à ce jour, ont subi leur jugement. Demain matin, le nommé David, qui avait été également suspendu, subira le sien.

» Monseigneur,

autant ces châtiments produisent un effet salutaire lorsqu’ils suivent avec la rapidité de la foudre le crime qui les a appelés, autant ils peuvent produire un effet contraire dans l’esprit des hommes, alors que le calme est rétabli et que l’idée du crime s’efface pour faire place à la commisération qu’inspirent des misérables, entraînés par de grands criminels sur qui seule doit tomber désormais toute la sévérité des lois. C’est pour répondre, Monseigneur, à des ordres reçus aujourd’hui que leurs excellences les ministres de la Justice et de la police, provoquant les mesures les plus sévères d’exécution envers tous ces misérables, que j’ai l’honneur d’adresser ces réflexions à votre, excellence.

» Ces ordres, adressés au procureur général et aux autres premières autorités, pouvant être mal interprétés dans les intérêts essentiels de majesté, je crois extrêmement nécessaire et utile à son auguste service, que des interprétations justes soient données, pour que les châtiments à exercer à l’avenir ne tombent absolument que sur la tête des principaux chefs ; qu’enfin, un zèle mal dirigé, et qui n’est exalté souvent qu’alors que le péril a cessé, ne fasse pas imaginer que c’est en faisant couler des ruisseaux de sang qu’on peut servir une cause aussi juste et qui ne peut êtres étayée que sur des principes de honte et de douceur, et non sur une cruauté inutile. »

Le général Donnadieu ignorait-il qu’aucun des sept condamnés à l’exécution desquels il avait été sursis n’avait fait partie de l’insurrection ? Le prévôt et le préfet ignoraient-ils également qu’il n’existait contre David que des présomptions qui s’étaient dissipées depuis son jugement ? Comment purent-ils alors sacrifier leur conviction à une injonction ministérielle qui ne pouvait avoir de motifs, à moins que l’ami du ministre, M. Bastard de l’Étang, ne lui eût écrit qu’il ne fallait point faire de grâce, ce qui est assez vraisemblable, puisqu’après le 4 mai, lorsque tout était rentré dans l’ordre, il poussa l’exagération de la sévérité jusqu’à vouloir déterminer le général Donnadieu à faire renfermer dans la citadelle de Grenoble tous les officiers à demi-solde de la division. L’homme capable de conseiller une mesure aussi dangereuse, et qui en avait fait la proposition en présence du premier président et du procureur général, ainsi que des magistrats de la cour prévôtale, ne devait certes pas pencher vers la clémence. Quoi qu’il en soit, le général Donnadieu et les autorités n’eurent seulement pas la pensée d’une résistance qui leur eût épargné un crime; et ce crime fut consommé jusqu’au bout.

Il ne restait plus à exécuter que David, condamné par la cour prévôtale ; l’échafaud se dressa encore pour lui. Comme il était de l’Église réformée, il n’eut point de prêtre pour l’accompagner : mais il trouva dans une conscience pure et une grande force d’âme, le courage de mourir avec dignité. David était le vingt-quatrième qui tombait ainsi. Quand sa tête eut roulé, aucune acclamation ne se fit entendre.

Le 17 mai , on afficha, dans toutes les communes du département, une liste des individus signalés comme complices de Didier.

La suite demain… 

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