Une Petite Route de l’Oisans exclusivement estivale ?

Livet, gravure de Victor Cassien, publiée en 1835 dans Album du Dauphiné.

UNE « PETITE ROUTE » DE L’OISANS EXCLUSIVEMENT ESTIVALE ?

Auteur : Thérèse Sclafert, (1876-1959).
Extrait de la thèse pour le doctorat ès lettres: Le Haut-Dauphiné au Moyen Âge
Édition : 1926

Le Bourg-d’Oisans, lieu de passage.
Centre commercial du mandement d’Oisans, le Bourg était en même temps un lieu de passage et un point de relais sur la route de Lyon à Turin par la vallée de la Romanche, le Lautaret, Briançon et le [Mont] Genèvre. Cette voie offrait sur celle qui contournait le Pelvoux vers le Sud et imposait au voyageur un long détour par le Champsaur, Gap et la vallée de la Durance, l’avantage d’être plus courte environ d’une journée, mais elle n’était accessible que pendant quelques mois de l’année seulement ; c’était exclusivement une route d’été qui se fermait dès que venaient les mauvais jours. Aussi, quand on voulait utiliser ce raccourci, il fallait choisir son moment et procéder comme les évêques de Grenoble quand ils visitaient les églises du mandement, ou comme les Dauphins quand ils se rendaient au Bourg-d’Oisans. Ils se mettaient toujours en route en été entre mai et septembre.

Mais même pendant la belle saison, la route du Lautaret présentait bien des difficultés ; en dehors de celles qu’on trouve dans tous les pays de montagnes, chute de terres et de pierres qui barrent le passage et mettent en danger la vie du voyageur, effondrements du chemin provoqués par la violence des eaux d’orage, elle s’enfermait dans des gorges étroites, obscures, presque désertes comme celles de Livet ou de Malleval où l’on n’avait d’autre voisinage que les rochers et le torrent, et où les bêtes de somme ne pouvaient par endroits s’aventurer sans péril.

Au début du XVIe siècle, le roi Louis XII constatait avec tristesse que : a l’ocasion du très dangereulx, pénible, estroit et rudde chemin et passage qui est en la montagnie d’entre Visille et le Bourg doysens plusieurs gens… allans et venans della les montz, cregnans le dangier de leurs personnes et, biens se soyent diverti et détourné du dit chemin et pour evicter la longueur de l’autre chemin du cousté de la Mure ayent pris et prennent ordinairement leur chemin par la Savoye.

Venue de Vizille et de Séchilienne, la route du Lautaret s’engageait dans la gorge de Livet, où comme aujourd’hui elle franchissait la Romanche au pont de l’Aveynat, longeait le torrent, traversait la plaine d’Oisans de part en part puis remontant au Mont-de-Lans, elle descendait ensuite au Freney où elle rattrapait la Romanche qu’elle suivait dans la gorge de Malleval jusqu’à La Grave, Villard d’Arènes et le Lautaret.

Déserte et silencieuse en hiver, la route du Lautaret, dès que venait la belle saison, était animée par le va-et-vient des muletiers et des voyageurs, comme elle l’est aujourd’hui et toutes proportions gardées, par les allées et venues des touristes. Mais le touriste, impatient d’aller toujours plus loin pour trouver les fortes émotions qu’il attend des paysages de la haute montagne, plus pressé et surtout mieux outillé que le voyageur du Moyen-Âge, ou brûle l’étape du Bourg-d’Oisans, ou ne s’y arrête que très peu de temps. Les muletiers d’autrefois, après un trajet difficile et fatigant dans les gorges de Livet ou de Malleval avaient besoin d’une halte assez longue qui leur permît de réparer leurs forces et de reposer leurs bêtes ; leur présence attirait les paysans qui venaient volontiers s’entretenir avec eux dans les auberges ; et eux s’attardaient facilement dans ce milieu où ils trouvaient toujours à glaner quelque renseignement utile à leur commerce.

Toute cette vie qui, en temps ordinaire, s’agitait autour des muletiers et des voyageurs devenait particulièrement intense quand de grands événements historiques comme la présence de la Cour pontificale à Avignon, ou les expéditions des rois de France en Italie, entraînaient des déplacements de populations et stimulaient l’activité des marchands. Alors on eût pu répéter pour le Bourg-d’Oisans ce qu’au XVIe siècle les manants du Mont-de-Lans disaient de leur village :
assis en bon et fertil pays, à l’entour duquel y a de fort bonnes et belles commodités, passent et repassent ordinairement plusieurs marchands et grand nombre de peuple, pour estre assis sur le grand chemin, roule rendant de Lyon à Grenoble, du Bourg d’Oysens à Brianson grand chemin de Piedmont et aussi ès bonnes villes et bons bourgs d’icelluy pais du Daulphiné.

Mais en temps ordinaire, dès que les premières neiges menaçaient de bloquer le Lautaret et de couper les communications avec Briançon, le Bourg-d’Oisans retrouvait la tristesse et l’isolement de ses longs hivers.

Nota : dans son livre « L’Oisans au Moyen-Âge »,  publié en 1929, André Allix modèrera sur cette affirmation d’une « Petite Route » exclusivement accessible durant la belle saison : « Il est probable, comme l’attestent [les archives], qu’on passe surtout en Oisans pendant l’été ; cependant, nous savons déjà que des guides spéciaux ou « marrons », aux XIVe et XVe siècles tout au moins, se chargent d’aider même pendant l’hiver les voyageurs en convois qui franchissent le col du Lautaret. »

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