La Vie d’hiver dans le Haut-Vénéon en 1922

Hameau des Étages

Hameau des Étages, par Eugène Charpenay, Seconde moitié du XIXe siècle. Source Musée Dauphinois.

LA VIE D’HIVER DANS LE HAUT-VÉNÉON EN 1922.

Par Aimée Bigallet, institutrice.

La vie dans un hameau.
C’est une jeune institutrice qui a écrit ce texte avait été nommée au hameau des Étages, commune de Saint-Christophe-en-Oisans, dans la haute vallée du Vénéon, elle relata à cette occasion quel fut l’hiver dans ce village. Ce texte est tiré de la Revue de Géographie alpine, publié en 1922.

L’hiver dont il s’agit est l’hiver 1921-1922.


Le hameau des Étages est situé à 1603 m d’altitude. Ajoutons que la vie n’a guère changé depuis dans ce hameau, malgré des communications plus aisées. Par contre, des villages voisins, comme Venosc et Mont-de-Lans ont été relativement transformés par la vogue du ski.

La neige a duré aux Étages quatre mois et demi cet hiver. Son épaisseur a atteint fréquemment trois mètres près des maisons, à cause de la décharge des toits ; la première victime est le téléphone cette année, la tourmente l’a enlevé le 18 novembre, et on ne l’a rétabli qu’en juin. 
La poste n’est guère mieux partagée. Le facteur ne peut pas circuler tous les jours, à cause de la tourmente et des avalanches.
Dans un mauvais hiver comme celui-ci, ses voyages sont très rares. En janvier, il n’est descendu que trois fois à Saint-Christophe.
 En mars, il n’a pas pu bouger du 7 au 16, et encore du 30 mars au 12 avril. Dans ces conditions, ses tournées sont un événement. Il ne descend jamais seul ; trois ou quatre hommes de La Bérarde, autant des Étages, l’accompagnent ; quand toute la bande remonte le lendemain, on se groupe autour d’eux, au coin du pont. Il apporte le courrier, du pain et de l’épicerie au besoin…
 Cependant, les gens des Étages, si les avalanches leur interdisent d’aller fréquemment à Saint-Christophe ou à la Bérarde, circulent constamment autour du hameau, grâce au ski…
 Quant aux voitures, il n’en faut pas parler. Ils ont bien de petites charrettes, mais on les démonte l’hiver, faute de place où les mettre. D’ailleurs, « la mule » est laissée en pension l’hiver à Saint-Christophe, cette mule qui est la propriété commune de quatre propriétaires « on en a chacun une jambe… »

Le hameau est donc presque constamment coupé du reste du monde, quoi qu’il arrive. En mars, un enfant est tombé gravement malade. On ne pouvait songer à faire monter le docteur. 
Le père est descendu dès qu’il a pu (12 avril), chercher une consultation et des remèdes, mais l’enfant n’a pu être descendu que le 12 mai…
 Un homme des Étages, mort le mardi 31 janvier, dans une semaine de tourmente, n’a pu être descendu au cimetière, à Saint-Christophe, que le dimanche 5 février. À la rigueur, on aurait pu le transporter le jeudi le temps n’était pas trop mauvais ; mais on n’avait pas eu le temps de prévenir les hommes de la Bérarde, dont l’assistance était indispensable, parce que les parents ne doivent pas participer au transport, et qu’en dehors d’eux il ne restait plus assez d’hommes aux Étages. Il fallut donc attendre le beau temps. Le cercueil, placé sur des lattes, fut solidement attaché ; deux hommes à ski le portaient, d’autres accompagnaient pour les relayer. Les femmes en toilette matinale étaient rassemblées au coin du pont pour voir partir le cortège…
Lorsque les communications sont si difficiles, il faut bien s’arranger pour vivre sur soi-même. On fait donc les provisions d’avance, à l’automne, à Bourg-d’Oisans, particulièrement, d’épicerie et de pâtes. Puis chaque maison fait cuire à Venosc environ deux sacs de pain blanc, pour le cas où on serait malade. On le met à la cave pour mieux le conserver, mais quand on en remonte, il tombe souvent tout en miettes. Enfin, en décembre, on cuit pour le pays le pain noir qui fait le fond de l’alimentation. 
Le four, situé au flanc du vallon, n’est pas commode d’accès quand il fait mauvais temps et qu’il y a beaucoup de neige. On cuit donc pour plusieurs mois.

Hameau des ÉtagesHameau des Étages, par Eugène Charpenay, seconde moitié du XIXe siècle.
Source Musée Dauphinois.

Avec le pain noir, ils mangent du salé (ils vendent tous leurs chevreaux) et des pommes de terre à peu près tous les jours. On ne fait qu’un seul plat par repas. Les enfants n’ont jamais que du pain sec à leur goûter…
 Dans ces conditions, comment les gens passent-ils l’hiver ? 
Il y a d’abord ceux qui s’en vont. Des jeunes filles se placent l’hiver dans le Midi, à Grenoble ou à Bourg-d’Oisans. Habituellement, plusieurs hommes s’en vont ainsi dans l’Ardèche, le Gard, faire le métier de marchands de drap, de lainages, etc. 
Cette année par les tourmentes, il se trouve que presque tous les hommes étaient ici.
Ils n’ont pas fait grand-chose. Ils ont « bricolé », arrangé des outils, fait des tables. Les femmes ont fabriqué des galoches pour leur famille…
D’autre part, on prend beaucoup d’exercice. Les jeux en plein air ont grand succès…


Route de la Bérarde. La Route de La Bérarde au début du xxe siècle.
Venosc et Bourg d’Arud à l’arrière-plan.

Source : Wikipédia.

Le jour du Mardi gras, un bonhomme de paille habillé est promené dans les ruelles du hameau. Le dimanche suivant, la fête continue. Au clair de lune, les jeunes gens sont allés à ski allumer des feux au flanc de la montagne, des gerbes de paille qu’on fait tourner lentement on tire des fusées. Puis trois ou quatre, les uns sur les autres, se sont « tourbillonnés », en roulant ensemble dans la neige, du haut en bas du vallon…
Cette vie au grand air entraîne une vraie sociabilité. Les hommes des Étages ont leur place publique, sur laquelle ils passent beaucoup de temps ensemble ; c’est le pont, qui traverse le Vénéon devant l’école. C’est le seul endroit plat du village, le seul, où l’on puisse enlever la neige complètement et où l’on ait un peu d’espace, en comparaison des petites ruelles. Les hommes y sont presque continuellement,les jours de beau temps, en rond, ou couchés à plat ventre, ou les jambes pendantes au-dessus du torrent. Ils vont là « se soleiller », ou «écouter le soleil» : ils arrivent et s’en vont avec lui (de 10 à 13 heures en février)…
Ils y jouent du fifre : d’ailleurs, ils aiment beaucoup la musique et, en général, le bruit. Le soir, la vie de société reprend dans une maison où on se réunit pour la veillée. Les hommes jouent aux cartes, les femmes filent. On raconte beaucoup d’histoires et de dictons, sur l’ancien temps, sur les autres villages.
Voici qu’enfin, dans la première quinzaine de mai, la vie si active, la vie laborieuse de l’été va reprendre. Déjà, on mène le matin les moutons à la montagne et on va les chercher le soir bientôt, ils passeront la nuit dehors. On fait sortir les chèvres.
De grand matin, au cri de « Au pont !», on les amène en hâte au berger qui les conduit au pâturage et les rentre le soir ; chaque homme, à tour de rôle, remplit cet office de pasteur ; c’est la corvée ou le jour de chèvres. On va couper les avalanches et pratiquer un chemin de piétons bientôt, on commence les tunnels sous la grosse, celle de Péméon, qui a 20 mètres. On charrie du fumier dans des corbeilles déjà, depuis six semaines, on le menait à pied d’oeuvre avec des luges. On commence à remonter la terre du bas en haut des champs on travaille aux jardins des l’Endroit. On remonte les charrettes, qui seront traînées à bras tant que la mule ne sera pas revenue de Saint-Christophe, puisque les vaches affamées n’ont encore rien à brouter ; les hommes, pour s’occuper, vont planter des pommes de terre et semer de l’orge pour le compte des propriétaires du chef-lieu. On va chercher le bois coupé en automne, et que le mauvais temps a presque toujours empêché de traîner au coeur de l’hiver, comme d’habitude. Les femmes sortent maintenant elles travaillent à coudre toute la journée au soleil…
… Dans six semaines se montreront les premiers touristes, et dès lors tous les hommes seront prêts à abandonner tous leurs travaux pour ces fonctions de guides et de porteurs dont ils sont si fiers…

Fin
Aimée Bigallet

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