Les pierres volantes de Livet

Pierre_volanteLES PIERRES VOLANTES DE LIVET 
Une très étrange histoire de poltergeist qui se manifeste dans un bois de Livet, durant environ trois jours, sous les yeux d’au moins une dizaine de témoins, puis qui disparait tout à coup. Mythe ou réalité ?

Le Journal de l’Ain, 11 janvier 1843, Rubrique variétés. 

« Depuis quelques jours, des bruits on ne peut plus singuliers s’étaient répandus à Grenoble relativement à des faits qui auraient eu lieu tout près de cette ville. Voici en deux mots ce dont il s’agit :
« Dans la dernière quinzaine du mois passé, deux jeunes filles étaient occupées à ramasser des feuilles dans un bois de la commune de Livet, hameau de Clavaux. Ayant terminé leur ouvrage, elles s’assirent l’une à côté de l’autre pour remplir les sacs qu’elles avaient apportés à cet effet ; tout à coup des pierres tombent sur elles sans qu’elles sachent d’où elles proviennent, et, ce qui est encore bien plus étonnant, sans qu’elles ressentent la moindre douleur du choc. Effrayées, elles perdent la tête, et fuient jusqu’à la maison paternelle, où elles racontent ce qui vient de leur arriver. Les parents ne pouvant croire à un fait aussi extraordinaire cèdent néanmoins aux instances réitérées de leurs enfants et les ramènent sur les lieux. Elles continuent leur ouvrage, aucun effet n’a lieu ; mais à peine leurs vêtements se touchent-ils, qu’elles voient des pierres tomber sur elles, de seconde en seconde, sans toutefois leur causer aucun mal. Les parents, partageant alors l’anxiété de leurs enfants, les prennent par la main pour les entraîner ; mais aussitôt, eux-mêmes éprouvent le même effet. Ils n’aperçoivent des pierres qu’à peu de distance de leur tête, puis tout à coup, elles tombent à terre après les avoir frappés. Épouvantés au dernier degré et bien certains qu’ils n’étaient l’objet d’aucune mystification, ils reviennent au village et racontent à qui veut les entendre ce qui vient de leur arriver.

« Les chefs de la fonderie de Rioupéroux viennent prendre ces deux enfants, vont sur les lieux, et éprouvent les mêmes phénomènes. On se refuse encore à les croire ; des habitants du Bourg-d’Oisans, des ecclésiastiques respectables se mettent en route ; ils reviennent après en avoir été témoins oculaires.
« Ce bruit parvient à Vizille, répété par tant de personnes, qu’un médecin, aussi recommandable par ses talents de personnes que par sa moralité, envoie son fils sur les lieux, bien qu’il en soit éloigné de quinze kilomètres. Ce jeune homme revient bientôt confirmer à son père ce qui depuis quelques jours n’était qu’une seule voix dans le pays. Ce monsieur n’est pas encore convaincu tant ce phénomène lui paraît dépourvu de vraisemblance. Il veut voir de ses propres yeux avant de croire. La mère et lui, donnant donc la main aux deux enfants, se rendent au milieu d’un pré voisin ; ils n’ont pas plutôt fait deux ou trois pas, que le fait se reproduit comme les jours précédents, le docteur, entre autre, est frappé à la joue par une pierre de la grosseur d’un œuf. Il n’en ressent cependant aucune douleur. Une seule personne, lui dit-on, a vu sa main s’enfler légèrement sous l’un de ces chocs.
« Une soixantaine de ces pierres ont été ramassées : on n’a rien reconnu de particulier dans leur nature, sinon qu’elles étaient de diverses espèces. Placées auprès des enfants, elles n’ont donné lieu à aucun effet.
« Ne pouvant en croire ses yeux, le docteur ramène les enfants chez lui ; les mêmes phénomènes se reproduisent encore. Plus moyen d’en douter !!!
« Ces effets, qu’on ne saurait qualifier, tant ils sont au-dessus de la conception de l’intelligence humaine, n’ont duré que quelques jours seulement. Le phénomène qui avait eu lieu du matin au soir, puis dans l’après-midi, et enfin à la tombée de la nuit a fini par disparaitre complètement. »

Que penser d’une telle histoire ?
Dans la majorité des cas, les manifestations de « projections d’objets » font partie de la famille des phénomènes paranormaux appelés « poltergeist » ou « esprit frappeur » ou encore « Tommyknocker » comme les désigne Stephen King dans son livre éponyme.
Ce sont des phénomènes étranges tant qu’ils ne sont pas expliqués, mais il faut le reconnaître, pour la plupart des cas, n’ont rien à voir avec l’au-delà, ils seraient plutôt liés à de savantes mises en scène, montées par d’habiles farceurs, plus ou moins inspirés et bien intentionnés. Une minorité de cas recensés dans le monde résistent cependant à toutes les investigations menées et restent mystérieux sans qu’aucune explication rationnelle n’ait pu être apportée.

Malgré le peu d’éléments dont nous disposons, notre histoire, de par son récit et les éléments qui la composent, a le profil parfait, d’un récit trafiqué de toute pièce par la « rumeur populaire ».

Vous souvenez-vous de l’étrange affaire de l’église de Delain ? Tranquille petit village, non loin de Dijon qui, en 1998, avait vu en son église, l’apparition d’une vague de phénomènes inexpliqués. Des cierges qui se fendent par la hauteur, des coupelles et statues volantes, des objets qui disparaissent sous le regard médusé de M. le curé, des paroissiens, des gendarmes et de M. le maire. Très rapidement, « l’Affaire » prend un retentissement national, puis international, alimentée par une presse plus attentive au scoop et aux témoins pittoresques, cramponnés aux irrationnelles superstitions et croyances de leurs campagnes, qu’à une véritable investigation journalistique.
Une affaire qui défraye la chronique, jusqu’au jour où le masque du mystificateur tombe, à la surprise générale de tout le village. M. le Maire, en mal de notoriété pour sa commune avait monté cette « farce », qui rapidement avait pris une ampleur qui l’avait dépassé.
Là où l’histoire devient troublante, c’est quand on constate que, bien que démontés par l’enquête et les aveux de M. le maire, ces « faits extraordinaires » trouvent toujours un écho susceptible d’intéresser une assistance prête à croire à cette histoire et à trouver les bons arguments pour « re-mystifier » la démystification et dévaloriser le travail des enquêteurs. La faute aussi a une presse souvent très propice à faire un bon papier qui fait vendre, mais moins exigeante pour apporter un démenti qui ferait alors passer les grands reporters et autres investigateurs des manchettes nationales, pour des zozos aussi crédules que les pauvres gens qu’ils ont harcelés durant toute la durée du-dit phénomène.
Ainsi, au départ, les témoins sont peu nombreux. S’ils sont discrets ou peu loquaces (comme c’est souvent le cas dans ces petits villages), on les flatte, on les pousse un peu, on les « fabrique », ils ne s’en rendent peut-être pas compte, mais ils ont vu quelque chose…
Chacun y va ensuite de sa petite déclaration, sans penser à mal. Si le voisin a vu quelque chose, pourquoi n’aurais-je pas vu moi aussi ? « De mes yeux vus, ça, c’est presque passé devant moi… », « Ça m’a même terrifié », « c’est le Diable, je vous dis ! ». S’ils n’ont pas assisté, ils connaissent très bien quelqu’un, voire, privilège suprême, l’un des acteurs de l’étrange affaire. Ils sont dans le secret de l’Affaire !
Petit à petit, le mythe prend la place de l’histoire, les faits à l’origine se retrouvent lentement poussé à l’extérieur du récit, puis remplacé par une rumeur qui trouvera toujours plus d’oreilles complaisantes pour l’entendre et de bouche pour la répéter, la déformer, l’amplifier. On agrémente le récit de détails, des nouveaux personnages, souvent irréprochables, dont l’intégrité de par leur fonction ou leur seul nom, ne peut être mise en doute dans les faits.
L’histoire initiale perd tout écho, elle n’a plus grand intérêt, seule l’amorce est conservée pour étayer la rumeur qui la remplace dorénavant.
Tous les ingrédients de la recette de l’histoire mystérieuse sont réunis.
Au départ, quand l’histoire se propage, un manque de documentation et de témoin. Puis une période propice pour une diffusion par la rumeur. Enfin un fait douteux qui devient réel, aux yeux de l’opinion même qui l’a colporté, car elle le voit relégué par la voie d’une presse consentante et peu regardante sur les faits établis et la recherche de la vérité.
Alors, une simple histoire, un peu curieuse, devient un mystère inexpliqué.

Si l’on regarde l’article publié en 1843, tous les éléments qui le construisent laissent à penser que notre histoire de pierres volantes a été parfaitement coulée dans le moule du récit contrefait, réécrit par la rumeur puis reléguée par une presse qui avait une page à boucler.

Voici la recette pour faire une belle histoire mystérieuse :
L’un des nombreux ingrédients qui accompagnent copieusement ce type de récit est le grand nombre de témoins. Ainsi pour notre histoire on peut au moins dénombrer une dizaine de personnes plus ou moins « identifiables » en témoins directs, et par propagation un groupe de vingt à trente personnes, qui selon le récit, auraient assisté aux faits extraordinaires.

Les acteurs :
— dans un premier temps, les deux jeunes filles, qui n’ont aucune crédibilité et sont seulement victimes des faits.
— dans un second temps, les parents, des gens simples sans autre fiabilité aux yeux de l’opinion publique que leur statut social et qu’ils sont des personnes simples et respectables, mais cela permet d’ajouter un peu de poids au récit des jeunes filles.
— Dans un troisième temps, on injecte les gens du village puis les chefs de la fonderie, ces derniers étant des personnages dont le statut est reconnu par une communauté, on monte d’un nouveau cran.
— dans un quatrième, cinquième et sixième temps, des habitants du village voisin, des ecclésiastiques, puis le fils du docteur et enfin le docteur (personnage clé), que l’on ne peut absolument pas déboulonner de ce genre d’histoire, car, ils sont les cautions spirituelles et scientifiques qui rendent le récit inattaquable par les auditeurs. Les ecclésiastiques ne peuvent pas mentir, et s’il y a un scientifique pour confirmer ce ne peut être qu’une histoire vraie, c’est sûr !
Forte de tous ses ingrédients savamment distillés, l’histoire devient un fait avéré, que l’on ne contestera pas.

La nature et le déroulement des faits :
Là encore, le phénomène comme il est décrit laisse supposer que l’histoire est manipulée. Alors que la précision est assez poussée dans la description des phénomènes : les vêtements qui se touchent, le contact par la main avec les deux jeunes filles, les pierres qui volent, elles touchent des visages, sans les blesser, une soixantaine de pierres, de la taille d’un œuf, une main qui enfle, des pierres mesurées et analysées… on observe, qu’à contrario, la durée, la localisation, le nombre exact et les personnes —« plusieurs jours, un bois du hameau de Livet, des chefs de fonderie, des ecclésiastiques, des gens des villages »—, demeurent dans un flou malicieusement orchestré. Dès que le récit apporte des précisions, il devient vite confus ou illogique, par exemple, l’histoire se passe initialement dans un bois, à deux reprises, ils retournent dans le bois, mais la mère décide d’amener le docteur et les deux enfants, « au milieu d’un pré voisin ». Pourquoi ne pas l’avoir amené dans le bois ? Nous pouvons aussi constater, comme très souvent dans ce type d’histoire, que les faits vont crescendo, pour arriver à un seuil paroxysmique, puis tout à coup, ils s’évaporent totalement, sans autre explication que la chose s’est passée, puis elle a disparue… voilà c’est tout.

D’autres articles de la presse locale de l’époque racontent la même histoire avec plus ou moins de détails, mais avec le même déroulement des évènements.
Il existe toutefois, au moins une version, qui m’a été signalée par mon ami Gérard Dionnet de l’Association Coutumes et Traditions de l’Oisans, où au moins trois des acteurs principaux sont nommément désignés. Ainsi les jeunes filles seraient Marguerite Pinel, et Marie Genevois (des cousines) et le praticien de Vizille le bon Docteur Bonnardon, figure vizilloise.
Une histoire mystérieuse, qui, comme toutes les histoires, a sans doute un fond de vérité, réécrit sous la plume d’une rumeur qui n’est pas le propre d’une époque lointaine, mais plutôt d’une inconscience collective émanant des profondeurs de la nature humaine.

Pour terminer sur la note d’un mystère toujours entier : les recherches qui m’ont permis de rédiger cet article, m’ont fait découvrir une histoire non élucidée, similaire à la nôtre sur de nombreux points. Les faits se seraient déroulés en 1963 à Arcachon dans la clinique du docteur Cuénot. Des pierres qui volent et frappent les patients de la clinique sans les blesser, de nombreux témoins et aucune explication rationnelle pour expliquer le phénomène.

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