Livet 1835

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Illustration de Victor CASSIEN et DEBELLE, et société de gens de lettres Grenoble

LIVET – UNE  DESCRIPTION DE 1835,
Précédente publication, 10 septembre 2013, mise à jour le 15 janvier 2023.

Ce texte est tiré d’un recueil de textes et de dessins intitulé « Album du Dauphiné » qui fut édité en 4 volumes en 1835. Pour chaque ouvrage, textes et illustrations cohabitaient, les textes n’étant pas toujours en rapport avec les illustrations qui les suivent.
Bien que les gravures soient toutes très belles, elles ne sont pas toujours très fidèles des lieux qu’elles sont censées représenter (ce qui n’a pas empêché certains brocanteurs de les désolidariser des ouvrages pour les vendre individuellement comme gravures).
Les deux illustrateurs, Cassien et Debelle, travaillaient d’après description et aussi d’un peu d’imagination pour le reste.
Je vous laisse apprécier la plume de M. Jules Taulier, auteur du texte sur Livet. Sa conclusion est pour le moins empreinte d’une certaine philosophie. 

Source : Album du Dauphiné ou recueil de dessins, de sites, villes, bourgs, églises, châteaux et portraits.
Éditions : Prudhomme, Imprimeur librairie, rue Lafayette – 
Illustrations : Victor CASSIEN et DEBELLE, et société de gens de lettres Grenoble
Date d’édition :
1835 – Page 99

LIVET

La neige a blanchi les toits de chaume de l’humble village; un profond silence, interrompu seulement par le bruit de la rivière qui se brise contre les rocs dont son lit est encombré, règne dans la vallée de l’Oisans, et les sommets élevés des montagnes environnantes ont presque disparu sous un brouillard glacé au travers duquel le soleil essaie en vain de faire pénétrer quelques pâles rayons.
Au milieu de cette nature sauvage et morte, ces maisons éparses, pauvres et chétives habitations recouvertes en paille, c’est Livet; cette rivière qui coule au pied des rochers, c’est la Romanche aux ondes impétueuses, s’irritant des obstacles qui arrêtent son cours; et ces monts arides dont la cime surmonte à peine le brouillard, ce sont les pics de Vaudaine et de l’Infernet.

La commune de Livet est d’une étendue assez considérable, et parmi les villages ou hameaux qu’elle renferme, on distingue Gavet, le clos de Gavet, Rioupérou, les Clavaux et Livet, dont le nom a prévalu, et qu’habite une population de près de mille âmes.

L’origine de Livet et Gavet est fort ancienne. Du temps des Romains, la route militaire qui conduit en Italie passait à Gavet, alors nommée Catorissum, et ce bourg formait une station militaire. Nul autre souvenir historique ne se rattache à Livet, et le moyen âge a passé sur lui, indifférent et froid, sans laisser de traces. Tout le pays est montagneux et triste, couvert de forêts ou de rochers stériles; à peine, dans les vallées qui serpentent entre les montagnes, l’œil peut-il se reposer sur quelques rares indices de culture.

Les pics les plus élevés qui se font remarquer aux environs de Livet sont, comme il a été dit plus haut, ceux de Vaudaine et de l’Infernet. Ce sont des rochers sauvages garnis de bois de sapins d’un côté, de bois de hêtres de l’autre; çà et là, autour d’eux, se dressent des aiguilles de roc dont quelques-unes ont une hauteur prodigieuse. Du haut de l’Infernet, un point de vue magnifique dédommage le voyageur de la fatigue de la montée. Son œil embrasse à la fois tous les glaciers de la vallée de la Romanche, les bassins de la Mure et du Drac, le vallon d’Entraigues et les mille coteaux qui se pressent autour de lui.
Des flancs de Vaudaine et de l’Infernet descendent deux torrents qui se précipitent dans la Romanche et qui, lors des grandes pluies ou de la fonte des neiges, font déborder cette rivière dans les plaines du Bourg-d’Oisans, et ajoutent, par leurs ravages, à ce que le pays offre de désolant par lui-même. Le long du torrent de Vaudaine, on peut remarquer encore les traces d’un mur que fit construire Lesdiguières, pour empêcher ses eaux de se réunir à celles de l’Infernet, et prévenir par là les ravages terribles que causaient ces deux torrents réunis, lorsque leurs eaux venaient à s’accroître extraordinairement.
La montagne de Vaudaine se couvre, dans la belle saison, d’une incroyable quantité de violettes que les enfants vont ramasser et qui entrent dans le commerce de la droguerie. Mais ce qu’il y a de plus remarquable dans ce pays maltraité par la nature, ce sont les habitants. Grands, forts et vigoureux, ils sont d’une habileté extraordinaire pour courir dans les rochers et sur le bord des précipices. Hardis chasseurs, nul danger ne les arrête, la crainte n’a pas de prise sur leur âme, ils sont insensibles à la fatigue, au froid, aux privations, quand il s’agit de poursuivre le gibier, qui rarement échappe à leur patience et à leur adresse.

Mais si le pays de Livet a été privé de ce charme pittoresque qui donne tant de prix en général aux pays de montagnes; si l’œil n’y rencontre pas ces vallons verdoyants et fleuris, ces ruisseaux paisibles aux ondes claires et limpides, ces belles moissons, en un mot, ces trésors de végétation que la nature a prodigués aux autres parties du Dauphiné, d’autres richesses le dédommagent, et l’intérieur des montagnes fait oublier ce qu’elles ont d’aride et de nu à leur surface.
Jamais pays ne fut plus abondant en mines; de tout côté l’œil aperçoit des galeries ouvertes, des travaux commencés à côté d’anciennes fouilles dont l’époque s’est perdue dans la mémoire des habitants de Livet.

Au sommet de l’Infernet est une mine de cuivre gris et plomb sulfuré, riche en argent; mais la grande élévation du filon en empêche la facile exploitation. Dans le plateau du Grand-Galbert se trouvent de nombreux filons de mines de plomb, riches en argent et anciennement exploités; ailleurs, on trouve des indices de mines de cuivre pyriteux; au mont Taillefer, à Vaudaine, sur les deux versants de l’Infernet, du côté de Livet et du côté d’OulIe, partout le fer, le plomb, le cuivre, l’argent, dédommagent les hardis travailleurs qui ont forcé la terre d’ouvrir ses entrailles pour suppléer à la stérilité de sa surface.
Et dans ces travaux, dans ces fouilles, dans ces longues galeries qui serpentent sous la terre et qu’éclaire à peine la lueur tremblante de la lampe du mineur, il y a des souvenirs du passé, des espérances de l’avenir, des pensées qui ont aussi leurs charmes. On se prend à admirer le génie et l’activité de l’homme, la bonté du créateur et la prévoyance de la nature, car la nature sait plaire à l’homme sous toutes les formes, et partout la main bienfaisante du créateur a prévu les besoins de la créature, a fourni des ressources à son industrie, des aliments à son activité, et des récompenses à ses travaux.

Jules Taulier.
Né à Grenoble le 6 novembre 1808, il devient professeur et enseigne dans divers collèges.
Membre dès 1838, puis le secrétaire perpétuel de l’Académie Delphinale.
Il est mort à La Tronche le 9 décembre 1888.
(Une nécrologie plus complète sur en cliquant sur ce lien)

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