Petite histoire de l’aérodrome de Mont-de-Lans

Vue d’avion de l’aérodrome de Mont-de-Lans (à gauche des maisons). Vers 1950

PETITE HISTOIRE DE L’AÉRODROME DE MONT-DE-LANS
Article extrait de la revue : Les Ailes : journal hebdomadaire de la locomotion aérienne
Date d’édition : 1946-08-24 

C’est dans le Massif de l’Oisans, à 1.700 m., que se trouve le plus haut terrain de France

Créé par la Résistance au temps de l’occupation, le petit aérodrome de l’Alpe de Mont-de-Lans, moyennant quelques améliorations faciles, pourrait constituer le prototype du terrain de montagne.

Terrain de secours, terrain de tourisme, terrain de vol à voile, c’est la triple utilisation que l’on peut envisager pour de petits aérodromes comme celui-là et dont l’aménagement est fort désirable si l’on veut développer les perspectives intéressantes de l’Aviation dans les régions magnifiques des Alpes françaises. N’ayant encore connu jusqu’ici qu’une activité aérienne fort restreinte, le terrain de l’Alpe de Mont-de-Lans n’en a pas moins déjà toute une histoire puisqu’il fut créé, dans la clandestinité, par le courageux effort des Résistants de l’Oisans.

Par la route magnifique qui, de Grenoble, conduit au Lautaret, le long de la Romanche, on arrive au lac-barrage de Chambon, à une douzaine de kilomètres après Bourg-d’Oisans. Tout de suite à la sortie du petit tunnel qui débouche sur le lac, une route se présente à droite ; elle grimpe, en lacets, dans la montagne, en surplombant les eaux vert jade du Chambon.
Sous le soleil ardent de juillet, le parcours est de toute beauté. Le lac est à 1.040 mètres ; quatre cents mètres plus haut, on traverse le hameau de Mont-de-Lans ; la route continue de monter en corniche ; les arbres deviennent de plus en plus rares à mesure que l’on prend de l’altitude ; bientôt, ce ne sont plus que de maigres arbustes qui poussent sur un sol couvert de hautes herbes parmi lesquelles une extraordinaire abondance de fleurs de montagne.
Et la route grimpe toujours, en lignes droites très courtes terminées chacune par un virage serré, d’ailleurs admirablement dessiné.
Un dernier tournant, un dernier regard sur le Chambon, et l’on débouche sur un col verdoyant au creux duquel s’étalent, près de trois ou quatre masures à demi-ruinées, deux hôtels dont l’un, de vastes dimensions, n’est d’ailleurs pas entièrement terminé. C’est l’Alpe de Mont-de-Lans. Nous sommes à 1.700 mètres.

Ce col est orienté Nord-Sud

Au Nord : la route par laquelle nous l’avons atteint et qui s’élève le long de l’un des flancs de la vallée de la romanche ; sur l’autre flanc de cette vallée, c’est une série de sommets, dont celui du Cassini qui a 2.376 mètres.
Au Sud : un « Piper » en vol au-dessus du terrain (12 août 1945) du col, c’est la vallée du Vénéon qui, s’ouvrant près de Bourg-d’Oisans, se termine à la Bérarde ; au-delà de la vallée du Vénéon, la Roche de la Muzelle, encore couverte de neige, barre l’horizon de ses 3.459 mètres. Enfin, latéralement, le col est bordé de hauteurs verdoyantes s’élevant en pentes assez raides à 300 et 400 mètres plus haut que lui.

Nous sommes en quelque sorte dans un large couloir, dont le fond, à peu près plat, commence à l’Alpe de Mont-de-Lans et s’achève, quinze cents mètres plus loin, à l’Alpe de Venosc ; au-delà, c’est l’à-pic sur la vallée du Vénéon. Cette partie plate du couloir a de 200 à 250 mètres de largeur, y compris la route qui la borde du côté Ouest. C’est dans cette partie plate du col qu’a été fait « l’aérodrome » de l’Alpe de Mont-de-Lans qui, se trouvant à 1.702 mètres d’altitude, fut et reste sans doute le terrain d’Aviation le plus haut de France.

Bien que n’ayant eu jusqu’ici qu’une utilisation fort limitée, il n’en a pas moins et déjà toute une histoire ; il a de plus, des possibilités d’emploi qui paraissent intéressantes et qui valent qu’on s’y arrête.

Un réalisateur

On ne peut parler du terrain ; de Mont-de-Lans sans parler de celui qui en est l’animateur. Cet animateur est M. Tessa1, à la fois entrepreneur de travaux publics et propriétaire de l’Hôtel de l’Alpe. Grand ami de l’Aviation, installé dans la région depuis de longues années, il songea, des 1933, que le col où il commença à édifier son hôtel, pourrait constituer un excellent terrain de montagne ; il fit part, de son idée à diverses personnalités et aux Services de l’Aéronautique, mais, en dépit de promesses réitérées, n’obtint jamais qu’on étudia sérieusement sa réalisation. Au point de vue militaire — la suite d’ailleurs le prouva, — un terrain à l’Alpe de Mont-de-Lans aurait pu rendre de grands services. Certains pourtant l’avaient compris, en particulier des aviateurs de Bron et Joseph Thorot auquel M. Tessa avait présenté son projet et qui, avec l’enthousiasme qu’il manifestait pour tout ce qui concernait l’Aviation de Montagne avait fourni des indications précieuses à l’établissement du terrain projeté. Néanmoins, rien ne fut fait.

Survinrent la guerre et l’occupation. L’Hôtel de l’Alpe de Mont-de-Lans, dont le bâtiment n’avait pas encore reçu son développement actuel, fut fermé et le resta jusqu’au lendemain de la Libération.

On sait le rôle héroïque que devait jouer le Dauphiné et spécialement l’Oisans dans la Résistance. Celle-ci fut magnifiquement organisée dans toute la région et ceux qui la dirigèrent comprirent tout de suite l’immense parti que l’on pourrait tirer d’un terrain de montagne situé au cœur même de l’Oisans. Ce terrain permettrait aux avions alliés d’apporter aux Résistants l’armement qui leur faisait défaut, de réaliser dans les meilleures conditions les parachutages désirables et d’assurer des liaisons aériennes avec les commandements alliés. De là à reprendre l’idée de M. Tessa et à créer un aérodrome clandestin à l’Alpe de Mont-de-Lans, il n’y avait qu’un pas. On le franchit d’autant mieux et avec d’autant plus d’ardeur que, parmi les hommes acquis à la Résistance dauphinoise, se trouvait un éminent spécialiste en la personne de l’Ingénieur en Chef des Ponts-et-Chaussées Hagueneau. Depuis 1922, M. Hagueneau appartenait aux Services de la Navigation aérienne où il avait dirigé l’Infrastructure. Nul n’était donc plus qualifié que lui pour procéder à l’étude du nouveau terrain secret et en fixer les caractéristiques techniques.

Un aérodrome clandestin

Dès le débarquement des Alliés en Normandie, la réalisation du terrain fut décidée et presque aussitôt on passa à l’action.
Ce n’était pas chose facile au temps de l’occupation. Sous le prétexte d’exécuter différents travaux tant à l’Alpe de Mont-de-Lans qu’à l’Alpe de Venosc, M. Tessa et ses ouvriers gagnèrent le col et commencèrent à aménager celui-ci. Avec le concours du chef cantonnier de Bourg-d’Oisans, on avait procédé au levé de plans nécessaires ; on faucha l’herbe ; on nivela le sol en bouchant les trous, en supprimant les bosses…
Bien tôt, une piste très acceptable fut prête à recevoir les avions ; elle s’étendait sur 1.100 mètres de long et 55 mètres de large, « signalisée » par des balises rectangulaires faites de pierres disposées au ras du sol et recouvertes de chaux. Il y a une balise tous les cinquante mètres, celles des extrémités formant équerre pour mieux délimiter la bande d’atterrissages. Dès qu’on s’élève sur les pentes qui bordent le couloir, cette signalisation apparaît ; sa visibilité est parfaite. À plus forte raison, la distingue-t-on nettement en la survolant.

Tout ce travail fut naturellement exécuté à l’insu des Allemands ; pour éviter qu’une reconnaissance le leur révélât, aussitôt qu’une balise était achevée — le terrain en comporte quarante-deux, — elle était recouverte d’herbes coupées. La tâche de M. Tessa et de ses hommes put ainsi être achevée sans incident, mais non sans quelques sérieuses alertes.

À ses débuts, elle avait été facilitée par le fait que l’Oisans ne comportait pas de garnisons allemandes permanentes ; seules, des troupes de passage traversaient la région. Un beau jour, ces troupes ne purent plus passer : la Résistance avait fermé toutes les issues. L’Oisans forma ainsi, pendant un certain temps, une véritable « zone libérée ». Les Allemands en comprirent le danger et se mirent en mesure de la réduire. Ils attaquèrent en quatre points différents et avec un armement incomparablement plus puissant que celui dont disposait la Résistance, assez pauvrement pourvue à cet égard. Ils forcèrent ainsi le col du Lautaret, la Vallée de la Romanche (par Vizille et Bourg-d’Oisans), le col d’Ornon ; les hommes de la Résistance durent se replier, mais non sans ralentir, par une action constante, l’avance de l’ennemi et en lui causant de lourdes pertes dont il se vengea par d’horribles atrocités commises au détriment de la population.

La défense, cependant, se poursuivait, aidée par la nature du pays, et animée par des chefs magnifiques dont l’Histoire conservera le nom : MM. Perrin — « Paradis2 » dans la clandestinité et désigné aussi comme le « Gouverneur de l’Oisans », — Marguet, Lanvin, etc. Toutefois, la position des Résistants, acculés dans le fond de quelques vallées comme celle du Vénéon, paraissait assez critique lorsque, brusquement, l’ennemi abandonnant la lutte, reflua vers le Nord et l’Est, repassant par les points où il avait envahi l’Oisans, notamment par la Maurienne… C’était la conséquence du débarquement allié sur la côte méditerranéenne et de la rapide avance qui suivit.

Dans l’attente des Alliés

Le terrain de l’Alpe de Mont-de-Lans était pratiquement terminé et prêt à recevoir les avions alliés quand les Allemands déclenchèrent leurs attaques sur l’Oisans. L’équipage d’un bombardier américain descendu dans la région de Gap et qui, lui-même, avait été recueilli et soigné à l’hôpital clandestin de l’Alpe d’Huez, après avoir sauté en parachute, vint voir le nouvel aérodrome et manifesta pour celui-ci un vif intérêt : n’était-ce point, pour cet équipage, l’espoir qu’un avion-ami pourrait venir s’y poser et le ramener dans les lignes américaines ? C’est sur les instances du dit équipage que le terrain qui, primitivement, était un peu moins long, fut porté à 1.100 mètres, sa longueur actuelle.

D’autre part, la Résistance réalisa une notice sur le modèle des « avis aux navigateurs aériens » que la Direction de l’Aéronautique marchande diffusait en temps de paix lorsqu’un nouvel aérodrome était ouvert à la circulation aérienne. Cette notice, très développée, très complète, contenait tous les renseignements utiles aux usagers éventuels : position et accès du terrain, obstacles, etc. Elle fut transmise par les organisations de la Résistance aux commandements alliés.

Bref, tout était prêt à l’Alpe de Mont-de-Lans pour l’utilisation de l’aérodrome quand l’attaque allemande de l’Oisans, puis la rapide retraite de l’ennemi et, enfin, la Libération du pays vinrent bousculer le plan établi. Le terrain, sous sa forme clandestine tout au moins, n’avait plus de raison d’être. La Résistance, dans l’Oisans, avait joué son rôle.

Les Allemands eurent-ils jamais connaissance de la réalisation de ce terrain ? Ce n’est pas certain. Toutefois, il semble qu’ils furent au courant des travaux effectués à l’Alpe de Mont-de-Lans et que ceux-ci les intriguèrent quelque peu. Cependant, ils ne tentèrent aucune intervention. Quand ils envahirent l’Oisans, ils montèrent jusqu’au village de Mont-de-Lans, mais ne le dépassèrent pas. Heureusement, d’ailleurs, pour M.Tessa, dont l’hôtel abritait alors une quarantaine de personnes parmi lesquelles les ouvriers qui travaillaient à l’établissement de l’aérodrome mitoyen : lui et les siens eussent certainement passé un mauvais quart d’heure !

L’Aviation en montagne

Conçu dans la clandestinité et pour le service de la Résistance, le terrain de l’Alpe, de Mont-de-Lans a-t-il terminé sa carrière avant de l’avoir commencée ?
— Nous ne le pensons pas. Nous pensons, au contraire, que moyennant quelques aménagements faciles, mais indispensables, il peut ; représenter le type même du terrain de montagne, à la fois terrain de secours et terrain de tourisme.
Il est resté tel qu’il était en août 1944 ; une piste de 55 mètres de large, longue de 1.100 mètres, bien protégés des vents de côté par les hauteurs qui la bordent.
Le 12 août 1945, une petite fête — que Les Ailes ont rapportée — fut donnée sur ce terrain : deux Piper, un Fieseler — « Storch » et un planeur « Minimoa » y évoluèrent longuement, décollant et atterrissant avec aisance. Quelques jours plus tôt, l’équipage d’un avion militaire de reconnaissance — un Fieseler — « Storch » — passant au-dessus de l’Alpe, découvrit, par la présence de ses balises, le terrain qu’il ne connaissait pas. Intrigué, il s’y posa, y reçut un excellent accueil, et en repartit sans difficulté en dépit des 1.702 mètres d’altitude. Ce fut le premier avion qui s’y posa ; retenons la composition de son équipage : le Lieutenant Lelandais et le Capitaine Monloup de Mont-cluel.

Quelles améliorations conviendrait-il d’apporter au terrain, dans son état actuel, pour en faire le prototype du terrain de montagne et lui accorder la consécration d’une existence officielle ?
Peu de choses, apparemment : assécher une partie du terrain, ce qui permettrait d’élargir considérablement la piste d’atterrissage et de la porter jusqu’à une centaine de mètres ; effectuer quelques travaux d’aplanissement pour atteindre le même résultat ; enterrer ou détourner une fraction de la ligne électrique qui longe la route en bordure du terrain, aux endroits où sa présence peut gêner l’accès de la piste ; doter, enfin, celle-ci d’un balisage normal, bien que celui qui existe actuellement présente, nous l’avons dit, d’excellentes qualités de visibilité.

Tout cela, d’ailleurs, est du domaine des améliorations ; tel qu’il est, le terrain pourra être utilisé dès que le seul véritable problème que pose son emploi régulier aura été résolu.

Attention aux câbles !

Dans cette région, on récolte les foins à très haute altitude, jusqu’à quelque 200 mètres au-dessus du col, sur les pentes de celui-ci. Les foins fauchés, mis en balles, sont descendus au moyen d’une petite poulie glissant sur un câble d’acier jusqu’au fond du col ou de la vallée. C’est évidemment très pratique pour les agriculteurs, mais très dangereux pour la navigation aérienne. Trois de ces câbles descendent ainsi de la montagne près du hameau de l’Alpe de Venosc, dans le prolongement du terrain ; l’un d’eux barre complètement l’accès Sud de la piste ; à peu près invisible tant que l’on n’est pas dessus, c’est un véritable piège pour avions.
La suppression de tels câbles, tout au moins leur déplacement ou leur abaissement — ils ne servent qu’une quinzaine de jours par an, au moment de la fenaison — est absolument indispensable.
La signalisation systématique des câbles de toutes sortes (téléphériques, remonte-pentes, lignes de force), qui abondent dans les Alpes, est d’ailleurs une mesure générale qui s’impose si l’on veut développer dans cette admirable région le tourisme aérien de montagne.

Répétons-le : nous exprimons le vœu que le terrain de l’Alpe de Mont-de-Lans reçoive les aménagements nécessaires, puis qu’il soit officiellement ouvert à la circulation aérienne. Ce peut être un très utile terrain de secours et aussi un terrain qui permettra aux touristes de gagner par air un très beau centre d’excursions et de sports d’hiver. Le vol à voile lui-même y trouverait des possibilités intéressantes et, à ce point de vue, la prospection aérologique de l’endroit vaudrait d’être entreprise : à la fête du 12 août 1945, un planeur « Minimoa » fit mieux que d’atteindre une altitude double de celle du point de départ puisqu’il monta à 3.700 m d’altitude sans que l’atmosphère ait été particulièrement favorable ce jour-là. Le tourisme aérien, pratiqué par des particuliers ou des entreprises de transports à la demande, paraît appelé à prendre un réel développement dans le Sud-Est et il serait souhaitable que des efforts comparables à ceux de M. Tessa fussent accomplis un peu partout et encouragés par les Pouvoirs Publics pour doter cette admirable région d’un réseau suffisant de terrains3.

Georges HOUARD.

Nota : 

1/ Au début de l’année 1932, le maire de Mont-de-Lans propose à Rodolphe Tessa, alors ouvrier au barrage du Chambon, de réaliser la construction d’un refuge sur l’Alpe. Jamais payé pour ce travail, le père Tessa deviendra, par la force des choses, propriétaire du chalet qu’il inaugurera le 4 décembre 1932.

2/ Durant la Seconde Guerre mondiale, le maquis de l’Oisans s’organise en deux secteurs : 
– Secteur V sous la direction du séminariste Joseph Perrin dit « Paradis », il couvre une zone géographique située dans la vallée du Vénéon et haut Vénéon.
– Secteur I sous la direction du capitaine André Lespiau dit « Lanvin » plus mobile, il couvre le reste du territoire et plus particulièrement la basse Romanche où il a ses cartiers. Au début de l’été 1944, Lanvin « annexe » le secteur V, et prend sous son commandement un millier d’hommes, soit six groupes mobiles.

3/ À partir de 1973, la création du Parc national des Écrins limitera drastiquement les conditions de survol du massif voisin de la station, et par là même l’intérêt de l’aérodrome de Mont-de-Lans qui disparaitra définitivement quelques années plus tard.

Un très bon article, très complet, sur l’aérodrome de Mont-de-Lans : Anciens aérodromes

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