Un mystérieux tombeau de géant à Brandes

Fouilles à Brandes, photo Hippolyte Muller, début XXe siècle. Archives : Musée dauphinois

UN MYSTÉRIEUX TOMBEAU DE GÉANT À BRANDES

Source :  Bulletins de la Société dauphinoise d’ethnologie et d’anthropologie
Date d’édition : Juillet 1899

À la suite d’un article d’Hippolyte Muller, publié dans le bulletin de la Société dauphinoise d’ethnologie et d’archéologie,  diffuse une correspondance animée du XVIIIe siècle autour d’un mystérieux tombeau de marbre blanc renfermant un géant découvert à Brandes.

Nous publions ici à titre de documents et sans commentaires, un certain nombre d’articles anciens sur le sujet qui nous occupe :

Dans la plaine de Brandes, sur les montagnes d’Hues en Oisans, à l’endroit où l’on dit avoir trouvé les ruines de la ville de Brandes, on vient encore de découvrir un superbe tombeau de marbre blanc, orné de cristaux parangons (l’auteur entend sans doute, par cristaux parangons, des cristaux purs et de la plus belle eau. C’est un terme dont les dictionnaires de Trévoux et de l’Académie se servent à propos de la taille des diamants). Ce tombeau a 4 pieds de large et 10 de profondeur ; on y a trouvé des ossements dont quelques-uns ont 2 pieds de long. M. le Curé d’Hues, de qui nous tenons ces détails, croit que ce sont les ossements d’un second Teutobochus (NDLR. Géant légendaire celte). Nous l’invitons à nous faire passer un de ces ossements et de plus amples instructions sur la forme du tombeau ; nous le prions de nous dire s’il y a quelques inscriptions et de nous conserver aussi quelques-uns des cristaux attachés au tombeau.

(Publié dans les Affiches du Dauphiné, 16 juin 1776.)


Dans le tombeau qui a été découvert à l’extrémité orientale de la plaine de Brandes, à l’endroit vulgairement appelé Lon Monlossa, où était le fort qui dominait sur les ruines de la ville de Brandes, on distingue un coronal de 10 pouces* de circonférence ; 2 pariétaux de 12 pouces de largeur et 14 de longueur ; un occipital de 6 pouces dans son milieu ; 2 temporaux aussi de 6 pouces ; un sphénoïde de 10 pouces de longueur ; un ethmoïde de 2 pouces ; un maxillaire de 4 travers de doigts ; une vertèbre de 4 doigts d’épaisseur et autant de longueur ; une omoplate de 8 pouces dans sa base et de 10 pouces de long ; un humérus de 18 pouces de long (NDLR. soit 48,6 pour le bras**) ; un cubitus de 16 pouces de long (NDLR. soit 43,2 cm pour l’avant-bras**) ; un radius aussi long que le cubitus ; un cuboïde de 2 pouces ; un cunéiforme de 1 pouce 1/2 dans sa base ; une phalange de 4 pouces de long et de 3 de large ; un coccyx de 6 pouces ; un ilium de 8 pouces ; un fémur de 2 pieds 1/2 ; un tibia de 2 pieds ; un astragale de 5 pouces., etc.
Dans le fond du tombeau, on voit quantité de lettres, chiffres ou caractères qu’on ne peut ni articuler, ni additionner ; voici les seuls mots que j’ai pu lire : meta to meràkesthai ; avec le temps, on pourra peut-être venir à bout de lire le reste de l’inscription : on ne manquera pas de vous en faire part.

CULET, curé d’Hues.
(Affiches du Dauphiné, 9 oct. 1776.)

*NDLR. sur la base d’un pouce = 27 mm et d’un Pied-de-roi = 12 pouces soit 325 mm pour la fin du XVIIIe siècle en France.

** NDLR. j’ai essayé de calculer la taille du squelette.
Sur la base des mensurations données ci-dessus j’obtiens un homme d’environ 2,3 m en prenant la taille de l’humérus, et 3 m sur la taille du cubitus (en considérant que ces deux os du bras ne sont pas dans un rapport conventionnel pour un squelette normalement proportionné le cubitus devant être plus proche des 30 cm que des 43,2 cm).


Je vois, Monsieur, que le curé de la paroisse d’Hues-en-Oisans, dont vous avez inséré une lettre dans le no 27 de vos feuilles, y parle d’une ville de Brandes et d’un tombeau qu’il dit y avoir découvert. Permettez que je rapporte ici les faits qui me paraissent prouver que Brandes n’est point une ville, et que je hasarde encore quelques conjectures sur le tombeau et sur l’inscription sépulcrale.

Il y a environ deux ans que divers papiers publics proclamèrent que des chasseurs du Dauphiné venaient de découvrir les ruines de la ville de Brandes, dans l’Oisans. Je courus tout de suite à une personne de confiance qui avait dirigé pendant plusieurs années l’exploitation des mines de plomb du Pontet, au Bourg-d’Oisans, et que cette direction avait, mis par conséquent à portée d’en examiner scrupuleusement tous les environs. Sa réponse fut qu’on y reconnaissait en effet une espèce de rue formée par une quarantaine de restes de petits bâtiments isolés et placés en enfilade : que tout près de là, sur un petit bec de rocher, on voyait des restes de tour, que l’on nomme dans le pays le Château des Dauphins ; que ce Brandes tant préconisé n’est réellement qu’un amas d’usines qui servaient anciennement à loger des mineurs ou à l’usage d’une fonderie de plomb et d’argent ; que cette assertion est d’autant plus vraie qu’il existe auprès des ruines de ces bâtiments une esplanade d’environ 12 septérés de 900 toises (soit 1754,1 m), actuellement couverte de tas énormes de gros graviers quartzeux, mouchetés de quelques grains de plomb qui parait contenir de l’argent, et auprès de ces graviers, deux meules de granité qui, dans les XIIe, XIIIe et XIVe siècles, servaient à moudre les mines, car vous savez que dans les siècles précédents on ignorait l’usage des boccambres (NDLR. machine servant à broyer le minerai destiné à la fonte) pour piler et séparer le minerai d’avec la pierre qui l’enveloppe. J’ignore, m’ajouta cette personne, s’il existe quelque renseignement par écrit sur les établissements de fonderies que les Dauphins avaient faits à Brandes et à Argentières, près de Briançon ; là, comme ailleurs, le peuple y rapporte quantité de contes ridicules ; ce qui est certain, c’est que l’on reconnaît en plusieurs endroits les galeries des mines de Brandes. Qu’ayant fait déraciner tout auprès un vieux tronc d’un mélèze (arbre résineux) extrêmement gros, on découvrit au-dessous une espèce de puits où l’on trouva une tète d’homme et une tète de cerf ; son observation critique fut que depuis plus d’un siècle il n’y a point d’arbres sur la haute montagne de Brandes, et que l’on ne voit jamais des cerfs dans l’Oisans ; qu’au reste, il était singulier que l’un eût découvert dans le même trou ces deux têtes-là ; qu’il est vrai que dans le code des chasses des siècles précédents, et même dans le code qui est encore en vigueur dans la Pologne, l’Allemagne, etc., l’on coupe la tête et la main aux hommes convaincus d’être cerficides, liévricides, pigeonicides, etc., et vous sentez alors quelle conséquence il faudrait tirer de Celte découverte des deux têtes.

C’est là, Monsieur, tout ce que je sais sur la prétendue ville de Brandes.
À l’égard du tombeau, des os et de l’inscription que le pasteur d’Hues a trouvés, vous avez, je crois, très bien fait de l’inviter à faire au Cabinet d’histoire naturelle de Grenoble le dépôt des os du prétendu géant, sur lesquels nos amateurs pourront s’exercer. S’il se rend à votre invitation, on renfermera probablement ces précieux restes dans l’armoire où l’on a déposé les os d’un éléphant ou plutôt d’un monstre marin que l’on découvrit dans le Vivarais, près de Valence, il y a quelques années, et une jambe d’enfant pétrifiée que l’on a trouvée depuis peu dans le centre d’une carrière de plâtre de Montmartre, près de Paris.

Il serait, au reste, à désirer que l’on décrivît exactement le fond et la forme du tombeau de Brandes ; que l’on copiât très scrupuleusement les prétendus chiffres ou plutôt l’inscription grecque ; et que M. le curé voulut envoyer, s’il est possible, la pierre même sur laquelle est la gravure ; car il parait singulier que l’inscription soit dans l’intérieur du monument, et qu’elle soit, Grecque dans le Dauphiné. Si l’on avait ce monument dans Grenoble, on pourrait découvrir facilement si l’épitaphe est ancienne et ce qu’elle signifie. Les vrais antiquaires ont des règles sûres pour découvrir la fausseté des monuments et des chartes, en observant la forme des caractères, la nature des abréviations, le style, etc. Les antiquaires sont communément des savants précieux à l’État et respectables aux yeux des hommes qui connaissent le prix des talents. Permettez-moi de vous citer une anecdote qui prouve la nécessité d’avoir sous les yeux le monument dont on prétend parler. Vos concitoyens ont cru pendant trois siècles que l’épitaphe d’Étienne Laplonce, Théologal, qui est gravée en caractères dorés sur le pilastre, à la gauche en entrant, du portique de Notre-Dame de Grenoble, avait été inscrite lors de la mort de Laplonce, en 1300 ; mais depuis quelques années, des antiquaires ont observé que les caractères syriaques, hébraïques, grecs ou romains que la vanité a employés dans cette inscription n’étaient point du XIIIe siècle ; enfin le savant et laborieux chanoine qui vient d’arranger parfaitement les archives de la cathédrale de votre ville a découvert la délibération du chapitre qui permit à un ecclésiastique du XVe siècle de faire graver ce monument. — J’ai l’honneur, etc.

(Affiches du Dauphiné, 15 nov. 1776.) UN ABONNÉ.


Un particulier d’Hues en Oisans a découvert, en fouillant les archives de cette communauté, des instructions sur le pays de « Brandes », qui viennent à l’appui de ce qu’on en a dit dans votre feuille du 15 novembre dernier. Quelques lambeaux d’une reconnaissance du XIVe siècle prouvent d’abord que ce lieu était du domaine des Dauphins. La dénomination de VILLE DE BRANDES y est employée ; mais on sait que dans l’ancien temps presque tous les lieux étaient qualifiés « villes ». Il y est question de divers albergements, et entre autres de celui d’un « four banal, ayant appartenu au dauphin Guigues ». Il y est dit que les habitants de Brandes sont hommes liges (soumis, inféodé, serviteur) du seigneur, et lui doivent hommage ; qu’ils ne sont point taillables, mais que « toutefois le seigneur leur demandant ce que bon lui semble, entre eux sont d’accord ». Que la juridiction haute, moyenne et basse appartient au seigneur, « excepté toutefois les articles qui appartiennent à L’ARGENTERIE, dans les cas desquels on vient pardevant les Consuls ». Que la cinquième partie de tout l’argent qui sort de quelconque cros ou pertuis appartient audit seigneur. Que les seuls habitants de la ville de Brandes ont droit de faire « un cros neuf » ou « pertuis » dans l’argentière, à moins que l’étranger obtienne la permission du « Baillif » et du seigneur, et qu’il « fasse expérience devant le Baillif. » — C’est le sieur Robert, de la communauté d’Hues, qui s’est appliqué à la recherche de ces écrits et qui les a fait déchiffrer. Il ajoute que le sens qu’ils présentent s’accorde très bien aux traditions qui existent dans le pays. Ces traditions rapportent encore que la route de Grenoble à Briançon passait à Brandes, lorsque le lac du Bourg-d’Oisans existait, et avant qu’il se fût « échappé dans la plaine ».

(Affiches du Dauphiné, 18 avril 1771.)

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