Une savoureuse aventure de Napoléon Albertazzo !

La Meije, par Henri Ferrand, 1885.

1884 UNE SAVOUREUSE AVENTURE DE NAPOLÉON ALBERTAZZO, GRAND GUIDE ET CHASSEUR DE CRISTAUX EN OISANS

Figaro Édition du 29 septembre 1884
Les contrées les plus riches au point de vue minéralogique sont les environs du Bourg d’Oisans, dans l’Isère, ceux de Chamounix, en Savoie, et les volcans éteints de l’Auvergne ; dans chacune de ces régions, on trouvera des guides spéciaux qui ont fait de la recherche des minéraux une étude particulière et pourront diriger les collectionneurs dans leurs explorations; ce sont, au Bourg-d’Oisans, M. Albertazzo; à Chamounix, M. Venance Payot, et à Clermont-Ferrand, M. Fouilhoux. En s’adressant à des hommes compétents, comme ceux que je viens de citer, on sera certain d’être renseigné exactement et d’éviter des mésaventures comme celle arrivée à certains minéralogistes trop crédules de Grenoble.
Ce minéralogiste, désireux de former une riche collection locale, interrogeait volontiers les paysans montagnards sur les gisements qu’ils pouvaient avoir trouvés, et payait grassement leurs indications. Un jour, un individu viennent lui dire que dans une roche située au-delà d’un des glaciers les plus inaccessibles de la Meije, il a vu une veine de cristaux bleus énormes, parfaitement transparents, et qu’il ira volontiers en chercher si on lui paye bien sa course. Que pouvaient être ces cristaux bleus ? À coup sûr quelque rareté insigne ! Et notre minéralogiste versa la somme demandée. Trois, jours après, le paysan revenait et déclarait que l’état des neiges ne lui avait pas permis d’aborder la roche aux cristaux, mais qu’il était prêt à recommencer la tentative un jour plus favorable. Le minéralogiste paya le nouvel essai, qui ne fut pas plus heureux que le premier, puis un troisième et un quatrième. À la fin, las de payer toujours sans rien voir, il, exigea du paysan qu’il se laissât accompagner dans une nouvelle ascension par le guide Albertazzo.
Le soi-disant découvreur de cristaux parut contrarié, mais n’osa refuser, et le lendemain, dès l’aube, les deux voyageurs se mettaient en route. Ils marchèrent longtemps. Albertazzo, méfiant, ne quittait pas de vue son compagnon, qui le menait intentionnellement sur les escarpements les plus difficiles, comme s’il eût voulu le lasser. Mais Albertazzo est infatigable, et il suivait l’individu pas à pas, sans se laisser distancer. Enfin après seize heures de marche, le paysan, harassé, se décida à s’arrêter au milieu des glaciers, en annonçant qu’on était arrivé, puis se mit à fureter de droite et de gauche, comme s’il cherchait sa roche ; Albertazzo, convaincu d’avance de la mauvaise foi du montagnard, le laissa quelque temps faire son manège et s’aperçut bientôt qu’il cherchait à s’éloigner peu à peu, avec l’intention évidente de s’esquiver aussitôt dissimuler derrière quelques blocs.
Il fallait en finir et il lui intima l’ordre de montrer le gisement sur un ton tel que l’honnête homme comprit qu’il devait s’exécuter, déclara que la mémoire lui revenait subitement, et menant au bord d’une crevasse le guide qu’il croyait sans cloute aussi naïf que le minéralogiste, lui montra, tout au fond, les cailloux colorés en bleu par le reflet des glaces. Albertazzo était si furieux, qu’il se releva d’un bond, pour lui lancer un coup bien appliqué de son bâton ferré, mais l’autre avait compris le mouvement, et galopait déjà comme un chamois au travers des rochers, laissant le guide seul au milieu des glaces.

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