
BRÈVE HISTOIRE DES MINES DE L’OISANS
D’après l’ouvrage de référence :
Histoire des anciennes des mines et gites de l’Oisans d’Anne et Michel LEGROS.
Sur le même sujet :
– Petite histoire des mines d’Huez
– Avec les mineurs de l’Oisans
L’histoire des mines de l’Oisans est un récit passionnant et tumultueux, marqué par des périodes d’activité intense et d’oubli, s’étendant sur plus de 2000 ans. Riche en gisements variés (or, argent, fer, cuivre, plomb, zinc, anthracite, quartz, etc.), cette région a attiré différentes civilisations et époques, des Romains aux Dauphins en passant par les Sarrazins. Elle a vu des personnages importants, comme Marc Schreiber, qui a laissé une empreinte durable par ses travaux d’ingénieur et ses découvertes minéralogiques.
Malgré la présence de richesses, l’exploitation industrielle fut souvent difficile, peu rentable et sujette à la spéculation et aux dangers, faisant de l’Oisans un lieu de défi pour les mineurs et exploitants.
L’Oisans est une région montagneuse qui se caractérise avant tout par sa verticalité, les contrastes marqués entre ses vallons verdoyants et ses cimes imposantes, ses torrents impétueux et ses lacs dignes de cartes postales.
Ce territoire ne présente pas un patrimoine de grands chefs-d’œuvre architecturaux classiques, comme d’autres régions françaises.
Sa renommée aujourd’hui touristique est liée à ses pentes enneigées et sommets légendaires.
En des temps bien plus reculés, c’est une tout autre richesse qui était convoitée par les premiers pionniers : des trésors cachés dans les replis de la terre et ce dédale minéral.
Marqué par des invasions (romaines, sarrazines, lombardes…) et des guerres, ce pays semble apparaître au Xe siècle. Son histoire ancienne et l’époque de fixation des premiers hommes sont nécessaires pour comprendre l’origine des mines et leurs différentes exploitations au fil du temps.
Les premières exploitations
L’histoire de l’Oisans reste très obscure jusqu’au Xe siècle, avec très peu de documents disponibles pour décrire la vie de ce territoire à l’aspect sauvage et inhospitalier. On suppose deux raisons principales à la pénétration humaine dans cette région.
— La première est que, durant l’époque des peuplades primitives et des invasions barbares, l’Oisans servait de refuge. L’instinct de conservation et de préservation poussait probablement les hommes à rechercher dans le sol les matières premières nécessaires à la vie et à la fabrication d’armes, essentielles pour la chasse et la défense, et potentiellement à les troquer contre d’autres matériaux vitaux introuvables sur cette terre presque exclusivement rocailleuse.
— La deuxième raison est liée au fait que l’Oisans offrait l’un des passages des Alpes, certes pas le plus facile, mais le plus rapide et plus court (trois à quatre jours de moins que les autres voies de passage), entre le centre de la France et le nord de l’Italie. Bien que ce passage (appelé « Petite route ») fût difficile, il offrait également l’intérêt d’une route évidente à suivre, car longée parallèlement sur une grande portion de sa traversée du relief, par le torrent de La Romanche.
L’époque romaine et le Moyen-Âge
L’Oisans était particulièrement emprunté pendant la période romaine pour le transport de vivres et d’armées. Il est naturel de penser que les Romains, habiles dans l’extraction des minéraux, se soient intéressés à cette région qu’ils ont occupée assez longtemps. L’ingénieur des mines Scipion Gras, au XIXe siècle, attribuait les travaux d’une mine comme celle de Brandes aux Romains, compte tenu de l’immensité des excavations, de la difficulté à les pratiquer sans poudre, des connaissances métallurgiques nécessaires, et des moyens puissants qu’impliquaient de tels projets. Les Romains auraient certainement exploité les gisements de plomb et de cuivre de l’Oisans. Hormis les traces d’exploitation minière qui leur sont attribuées, au XXIe siècle, deux marqueurs de leur passage sont encore visibles : la Porte de Bons et la Voie en encorbellement de Rochetaillée. Cependant, la plus importante des emprises romaines a presque totalement disparu, la voie romaine, indiquée très explicitement sur la carte de Peutinger. L’immense exploitation à ciel ouvert en tranchées profondes à Brandes relève certainement de leur influence.
Les « Sarrazins » auraient pu marquer leur passage par leur intérêt pour le fer répandu dans la région. Ils sont également crédités de la première exploitation de la mine de la Vaudaine.
Les mines de l’Oisans, ou du moins leur histoire documentée, semblent sombrer dans l’oubli après 1331 pour Brandes et après 1505 pour d’autres, dont l’existence d’exploitation antérieure est prouvée. Pendant plus de trois siècles, ce pays de montagne, qui n’avait que l’attrait de ses mines, semble oublié.
Le réveil au XVIIIe siècle
Au XVIIIe siècle, avec le réveil industriel, un nouvel espoir se lève pour l’exploitation minière en Oisans, notamment pour les gisements ayant déjà produit. C’est une période de fièvres minières qui connaîtra même l’une des plus retentissantes faillites minières et une spéculation scandaleuse sur l’or en France au siècle dernier.
Le point de redémarrage officiel fut l’arrêté du Conseil d’État du 21 mai 1746, accordant au Sieur Quinson le droit d’exploiter et de prospecter les mines de l’Oisans pour 30 ans. Ce droit fut ensuite transféré à Bruno Micoud. Ce personnage comprit la nécessité d’investissements importants et, faute de fonds suffisants pour l’exploitation minière classique, entrevit la possibilité d’exploiter le cristal de roche. L’extraction du cristal était déjà pratiquée librement, de manière artisanale, par les paysans montagnards, appelés cristalliers depuis près de 100 ans. Ils vendaient ces cristaux à des lapidaires en Suisse, dans le Jura et à Briançon pour survivre, notamment en période de guerre. Cette activité, bien que hasardeuse, a pu favoriser la découverte de gisements célèbres.
Micoud échafaude le projet de faire main basse sur les cristaux, argumentant que l’extraction du quartz fait partie du travail minier. Il imagine que les cristallières seraient pour lui plus rentables que les mines, les investissements étant infiniment moindres que pour une mine et les « ouvriers » disponibles dans le pays étant déjà formés pour ce travail particulièrement dangereux. Il obtient, par Édit Royal, la confirmation de son monopole d’exploitation sur l’Oisans en 1753, et par là même, d’interdire la fouille aux gens du pays. Les cristalliers exprimèrent vivement leur mécontentement, ils finirent par obtenir la liberté d’extraction avec plusieurs restrictions : ne pas employer de main-d’œuvre étrangère au pays ; vendre le produit de leur fouille au commis établi à Bourg d’Oisans au prix fixé par le concessionnaire ; si le prix ne leur convient pas, ils peuvent vendre comme auparavant avec l’autorisation du concessionnaire.
La découverte de gisements célèbres et l’âge d’or
Deux gisements majeurs sont découverts au XVIIIe siècle : la mine d’or de La Gardette, découverte fortuitement en 1717, recherchée en 1733 sur ordre du Roi, puis redécouverte en 1765 par Laurent Garden alors qu’il recherchait des cristaux. Il les montre au directeur des Mines, M. Binelli, qui reste indifférent. En 1779, Garden montre d’autres échantillons au nouveau directeur, l’ingénieur saxon Schreiber. Ce dernier, après s’être rendu sur place et avoir comparé les roches, y fit effectuer des recherches et des travaux entre 1781 et 1788 sous l’ordre du Comte de Provence. Bien qu’il y ait trouvé de l’or, la régularité de la concentration n’était pas suffisante, et il conclut que le gisement était économiquement inexploitable et abandonna les travaux. La dépense était largement supérieure à la recette. Néanmoins, en 1786, des médailles commémoratives en or furent frappées avec l’or de La Gardette.
La mine d’argent des Chalanches d’Allemont
Découverte par hasard en 1767 par Marie Payen, une bergère, qui rapporta un bloc de roche très lourd contenant de l’argent pur.
Ce gisement est décrit comme exceptionnel par sa concentration d’espèces minéralogiques. Rickard, un ingénieur américain, a même écrit en 1894 que la collection des Chalanches au Musée de Grenoble valait à elle seule une traversée de l’Atlantique. La découverte des Chalanches, combinée à l’exploitation clandestine par les habitants craignant un décret royal, mena à un accident tragique causant la mort, en raison de leur inexpérience, de seize mineurs clandestins, dans un trou appelé « trou des paysans ». En 1781, le droit d’exploiter les filons secondaires de cuivre et de plomb fut attribué aux habitants de la vallée de l’Eau d’Olle.
Un personnage clé
Marc Schreiber est un personnage central de cette période. Décrit comme un ingénieur des mines très habile, clairvoyant et ingénieux, il fut nommé par le Comte de Provence à la direction de la concession des Chalanches et de toutes ses mines en Oisans. Il resta attaché à la France après la Révolution et fut nommé par le Comité de salut public pour remettre en activité les mines françaises. Il connaissait parfaitement la topographie et la minéralogie de la région. Au-delà de la gestion des exploitations, comme les Chalanches et La Gardette, Schreiber est reconnu comme un minéralogiste exceptionnel. Il a découvert de nombreux minéraux alors inconnus ailleurs. Parmi les plus importants, on peut citer :
— L’anatase (trouvée aux Grandes Rousses).
— Le fer natif (au-dessus d’Oulle dans le Cornillon).
— La préhnite (sur la Rivoire au-dessus de la Rampe des Commères).
— L’axinite (sur Auris dans le rocher de l’Armentier). Ce minéral, dont le nom vient du grec et signifie « hache » en raison de la forme de ses cristaux, est décrit comme le minéral de l’Oisans par excellence et a contribué à sa gloire minéralogique, car les plus beaux cristaux connus au monde proviennent de cette région. Le gisement de la Rampe des Commères a fourni les meilleurs échantillons d’axinite jamais connus.
Schreiber a méticuleusement recensé et décrit les gisements et découvertes dans ses comptes-rendus, contribuant à accélérer les connaissances en minéralogie et à enrichir les collections nationales. Sa collection d’échantillons des Chalanches est particulièrement fabuleuse.
XVIIIe et XIXe siècle
La fin de l’exploitation des Chalanches fut causée par divers facteurs, dont l’arrêt de l’extraction de plomb des mines voisines (qui facilitait la fonte du minerai des Chalanches), l’exil de « Monsieur » et la nationalisation. Mais la raison principale était financière : l’argent (fonds de roulement) pour payer les dépenses courantes ne revenait pas de Paris où étaient acheminés les lingots, et les fournisseurs étaient payés en assignats. De plus, il n’y avait pas assez de fonds pour de nouvelles recherches.
Pendant le Directoire (1795-1799) et une partie de l’Empire (1804 et 1815), toutes les mines de l’Oisans furent travaillées pour le compte de la nation, puis vendues en 1808 et abandonnées en 1814. En 1805, Napoléon tenta de relancer l’industrie minière, et Héricard de Thury visita l’Oisans et La Gardette, constatant que les habitants y cherchaient encore de l’or.
L’exploitation
Historiquement, l’énergie utilisée dans les mines était principalement la force humaine. Les mineurs utilisaient des outils simples, comme des pics, des pointerolles, des coins de bois gonflés à l’eau ou le dépilage par le feu (l’usage du feu pour chauffer la roche, puis projeter de l’eau froide pour la faire éclater).
À partir du XVIIIe siècle, la technologie minière progresse. Les mines sont équipées de machines pour l’aérage, le pompage de l’eau, l’extraction du minerai et le transport intérieur. L’emploi des explosifs se généralise. Diverses machines utilisant l’eau, le gaz, l’air comprimé ou l’électricité sont développées. Pour l’abattage, des perforatrices remplacent le havage manuel. Si le front est haut, on exploite par gradins successifs. Le transport par câble s’impose sur certains sites difficiles d’accès et plus particulièrement pour certaines exploitations spécifiques, comme l’ardoise et le charbon.
Le travail minier était difficile et dangereux. Les mineurs manquaient de sécurité, d’air pur, et étaient exposés aux noyades par venues d’eau (pour cette raison, certaines mines étaient exploitables que l’hiver pour limiter ce risque), aux glissements de terrain, aux éboulements, aux accidents liés à la poudre et aux explosifs.
Plus insidieuse, l’atmosphère dans les galeries de retour d’air pouvait être chaude et humide, favorisant les maladies pulmonaires telles que la silicose. La mine de
La Mure était sujette à des dégagements de gaz (coup de grisou) et des incendies souterrains. Les travaux de préparation et d’exploitation devaient prévoir des mesures de sécurité et la possibilité d’isoler les quartiers en cas d’incidents.
La découverte d’une mine est souvent due au hasard, mais la recherche s’appuie sur l’étude de la géologie, des indices de surface, de l’étymologie locale et des légendes. L’évaluation de la richesse d’un gisement nécessite des travaux de recherche (puits, travers-bancs, galeries) et des estimations du volume de minerai utile. Les frais de démarrage d’une exploitation sont énormes (voies d’accès, déblais, installations, logements, transport). Les travaux d’exploitation ne commencent qu’après ces études.
Le traitement du minerai ne s’arrêtait pas à son extraction ; il consistait généralement à séparer le minerai utile de la gangue (stérile), par lessivage et flottation après concassage.
Autres gisements importants
Outre La Gardette et Les Chalanches, plusieurs autres sites et régions d’Oisans et des environs sont mentionnés :
— Combe de la Vaudaine/La Fare : exploitation attribuée aux Sarrazins, puis visitée par Schreiber en 1778. On y trouvait de la galène argentifère, de la chalcopyrite, de la sidérite et de la limonite.
— Rochetaillée : ancienne exploitation du milieu du XIXe siècle sur un énorme filon de quartz blanc. On y récoltait pyrite, limonite, stibine (rare), stibiconite, hématite, soufre.
— La Rampe des Commères/Rivoire/Auris : célèbre pour avoir fourni les meilleurs échantillons d’axinite au monde, mis à jour notamment lors du traçage de la route. Schreiber découvrit l’axinite et la préhnite dans ce secteur.
— Oulle : mines travaillées depuis fort longtemps, rattachées à l’exploitation d’Ournon en 1746 pour le plomb argentifère. Schreiber y travailla la galène vers 1785 pour aider à la fonte du minerai des Chalanches. La Société des Mines d’Allemont et des Hautes Alpes y travailla au XIXe siècle. L’origine de la production reste une petite énigme, mais le filon Hercule fut exploité.
— Le Pontet : mines connues depuis le Xe-XIe siècle pour le plomb argentifère. Schreiber y prospecta mais renonça à cause de la roche dure et du peu de minerai. Elles furent reprises par diverses sociétés au XIXe et début XXe siècle. Le gisement contient un énorme filon de quartz avec plomb argentifère et or natif, mais l’or n’y porta jamais chance aux propriétaires, et Schreiber le jugea économiquement inexploitable.
— Brandes : important centre minier au Moyen Âge, actif jusqu’en 1331. Scipion Gras attribue les travaux aux Romains. Malgré des tentatives de reprise au fil des siècles, aucune ne réussit, Schreiber jugeant également inutile une reprise. L’exploitation était probablement à ciel ouvert initialement, suivant les filons. On y traitait la galène argentifère mêlée de quartz et de barytine.
— Secteur de l’Alpe d’Huez/Saint-Féréol : mines exploitées pour le plomb argentifère et le cuivre.
— Secteur Vaujany et Oz : témoignages de très anciens travaux pour le cuivre.
— Alpe du Villar d’Arène : petit gisement de cuivre et de galène argentifère, exploité notamment au XIXe siècle par la Société des Mines d’Allemont et des Hautes Alpes.
— Montagne de l’Homme : petit gisement de cuivre (chalcopyrite et galène) exploité par la Société des Mines d’Allemont et des Hautes Alpes au XIXe siècle.
— Les Ardoisières de l’Oisans : exploitation de schistes liasiques et de calcaires argileux pour les ardoises. On y trouve aussi pyrite et quartz.
Aux frontières de l’Oisans et au-delà
— Mine du Chardonneret (près de Névache) : exploitée par la Société des Mines d’Allemont et des Hautes Alpes.
— Massif du Taillefer : présence de gisements de fer.
— La Matheysine : région riche en minéraux variés. Le bassin de La Mure est connu pour ses mines d’anthracite. La mine du Villaret était encore en activité récemment. L’exploitation de charbon est documentée depuis 1261. Schreiber y effectua des recherches sans grand succès. La Compagnie des Mines d’Anthracite de La Mure produisit d’énormes quantités. La mine se modernisa constamment pour améliorer sécurité et productivité. Le charbon de La Mure contient divers métaux, et la mine a fourni de beaux minéraux aux collectionneurs (blende, bournonite, tétraèdrite, pyrite, gypse, etc.).
— Région de Mens/Montagne des Mines : travaux anciens pour le fer, le cuivre, le zinc, le plomb. On y trouve sidérite, limonite, chalcopyrite, pyrite, bournonite, malachite, smithsonite, galène.
— La Triève : région connue pour ses gisements de gypse, bien que leur concentration soit trop faible pour une exploitation industrielle. Le gypse s’y trouve en cristaux de formes variées, parfois avec inclusions.
— Champrond-Vif : un gisement de platine natif découvert au XIXe siècle. L’exploitation moderne de la carrière de chaux rend difficile de retrouver ce platine.
— Région de Vizille et de Laffrey : nombreux filons exploités principalement pour le fer, le plomb, le zinc et un peu d’argent. On y trouve divers minéraux comme galène, blende, pyrite, dolomie, chalcopyrite, azurite, malachite, cuivre gris. Les mines de fer (Pierre Plate, Montchafrey, Le Parc) furent également travaillées.
— Région de Vienne : gisements (principalement plomb, zinc, fer) exploités, mais souvent avec une rentabilité faible et des travaux épisodiques, notamment à cause des crues du Rhône et des difficultés d’accès aux terrains.
— Région d’Allevard : important centre minier comprenant d’innombrables concessions, notamment pour le fer, fouillé systématiquement depuis l’époque romaine.
L’ère de la grande exploitation minière est terminée, mais l’Oisans demeure un lieu exceptionnel pour les minéralogistes et un témoin de cette longue histoire à travers ses anciens sites, ses haldes (déchets miniers en sortie de mines) et les minéraux qu’on y trouve encore. Ce qu’il faut retenir, c’est la profonde richesse minérale de l’Oisans, son histoire minière longue et difficile, l’importance de figures comme Schreiber, et la transition actuelle vers un patrimoine géologique et minéralogique à préserver et étudier.