Témoignages de Michel

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Jean-François
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Témoignages de Michel

Message par Jean-François » 27 déc. 2007, 14:30

Mon père, Michel, a écrit pour relater la vie dans sa famille, issue d'agriculteurs à Puy Richard, dans le Briançonnais.

Je propose de mettre en ligne quelques extraits.

Ces témoignages pourraient servir de points de comparaison avec la vie des agriculteurs colporteurs de nos communes.

Donc n' hésitez pas à intervenir pour remarquer les similitudes et les différences qui nous permettront d'enrichir la partie paysan de la maison du colporteur.
Nous pourrons ainsi entrouvrir la porte de la grange...

Jean-François
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témoignage de Michel

Message par Jean-François » 27 déc. 2007, 14:33

J’ai eu la possibilité (la chance ?) de partager la vie de ces populations montagnardes au lendemain de la seconde guerre mondiale, à une époque où l’arrivée d’une voiture à Puy Richard constituait un événement en soi.

Je souhaiterais, dans cette troisième partie, présenter aux lecteurs plus jeunes, cette existence qu’il ne leur est pas possible d’imaginer, en évitant tout passéisme, du genre " c’était mieux avant "…

Jean-François
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Message par Jean-François » 27 déc. 2007, 14:37

Bernard Davin (est-ce celui qui donna son nom au fameux couloir descendant des Agneaux à l'aplomb du village du Casset ?) parle d’un temps où le mot « naturel » ne faisait pas partie du vocabulaire mais « de la vie des hommes » !

Existe-t-il phénomène plus naturel que la trajectoire décrite par le soleil de son lever à son coucher, au fil des saisons ?

Pour les habitants de Puy Richard, au solstice d'hiver, le lever du soleil se produit sur la crête de la "Grand Maye" presque au niveau du col des"Ayes" c'est à dire pratiquement plein Sud.
Quelques semaines plus tard, on entendait alors "il se lève déjà à la "Croix de Bretagne".

Cette constatation toute simple, face à un phénomène banal traduisait assez bien l'impatience de retrouver des journées plus longues et plus clémentes. Successivement, le lever se situait au « Lasseron », puis aux "Gondrans", au "Janus" et enfin, au solstice d'été, il apparaissait plein Est au col du "Mt Genèvre " remontant même les pentes du <Chaberton > !

J'avoue bien humblement ne m'être jamais soucié des lieux du lever du soleil tout au long de ma vie professionnelle. Mais peut être suis-je une exception !...

Jean-François
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Message par Jean-François » 27 déc. 2007, 14:38

Par ailleurs, il est à même de déterminer, plusieurs semaines à l'avance, le temps qu'il fera au printemps comme à l'automne, selon qu'il brille ou ne brille pas pour la...Chandeleur ou lors du dernier jour d'Août! "Le souleu si coudja cla le dariè daou,nou zouleun un bel undariè" !

Effectivement la vie se poursuivait au rythme des saisons, ces dernières se succédant de "Rogations" en "Saints de Glace", de Lune Rousse (celle qui suit la lune de Pâques !) en « été de La St Martin » en passant par «l'hiver de La St Jean » …

Jean-François
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Message par Jean-François » 27 déc. 2007, 14:40

Dans cette agriculture vivrière basée sur la polyculture et le petit élevage, toute l’activité était basée sur le calendrier.

Avec l’arrivée des beaux jours, les terres les plus basses, débarrassées en premier de la couche de neige, voient redémarrer l’activité.

Les terres les moins bien exposées, « les Hoches », ou les plus élevées, « La Molière » (à 1750m d'altitude le seigle "vient encore" mais pas le froment !), conservent la neige plus longtemps.

Aussi, pour accélérer la fonte de celle-ci, il faut les « terrer », c’est-à-dire répandre à leur surface une couche plus sombre (des cendres, mais pas n'importe lesquelles, celles du poêle à charbon, car les cendres de bois sont réservées à la ...lessive.)

L’explication du phénomène physique était elle maîtrisée ?

Le résultat en tout cas était là, et conduisait à un véritable « patchwork »de blancs et de noirs fin Mars–début Avril.

Jean-François
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Message par Jean-François » 27 déc. 2007, 14:41

Il fallait refaire un mur en pierres sèches, éboulé au pied d’un champ et obstruant un chemin, couper les buissons gênant le passage sur ce dernier, et constituer des fagots ou «faissines » qui, après séchage, constitueraient d’excellents appoints lors de l’allumage du four à pain…

En ces lieux où les cailloux abondent, il fallait éliminer, à la main, ces derniers des champs de luzerne en vue de préserver le" fil" de la faux en Juin prochain. Je dois avouer que cette opération (l’épierrage) me rebutait particulièrement.

Jean-François
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Message par Jean-François » 27 déc. 2007, 14:43

Il était nécessaire également de lutter contre ce fléau qui veut qu’inexorablement la terre des parties hautes du champ soit attirée vers le bas.

« Tirer broue « cela signifiait l’ouverture, au bas du champ, d’une tranchée de 80x20cm d’où l’on extrayait la terre à remonter à l’aide de caisses ou de « banastes » (à bât dans ce dernier cas) vers la partie haute.

Dans les cas les plus défavorables, lorsque par exemple la largeur du champ était trop faible et ne permettait pas la manœuvre de la mule et de sa caisse, cette dernière était remplacée » par le «bayard ».
Il s’agissait d’une caisse à 3 côtés seulement pourvue d’un brancard à chaque extrémité, que portaient 2 personnes !

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Fifette
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Souvenirs

Message par Fifette » 27 déc. 2007, 18:45

Bonjour Jean François,
En lisant les quelques lignes sur la vie des agriculteurs d’avant cela m’a rappelé tout ce que ma grand-mère a vécu petite (née en 1901) son père était colporteur. La vie l’hiver et l’été était très différente dans la famille. L’hiver, elle restait à la maison, elle soignait les bêtes, aidait ses parents. Bref, c’était pas toujours facile.
L’été, elle menait les bêtes aux prés, il fallait faire les foins, et le chemin de Venosc aux 2 Alpes (Alpe de Venosc avant) n’avait plus de secret pour elle et sa mule.
Une petite anecdote que m’a raconté ma grand-mère : elle gardait les vaches à l’Alpe de Venosc et depuis quelques jours une vache du troupeau restait seule dans un coin.
Cette vache le soir, avait très peu de lait. Ma grand-mère, étonnée alla voir en douce la vache seule, et elle s’aperçut qu’une vipère venait téter le pis. C’est une histoire qui m’est restée, j’avais à l’époque 8 ans quand elle me l’a racontée.

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Aubergère
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Vipère

Message par Aubergère » 27 déc. 2007, 20:21

L'histoire de la vipère, je l'ai souvent entendu raconter.
Elle est surement vraie.
Aubergère

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La broue

Message par Aubergère » 27 déc. 2007, 20:33

J'ai souvent entendu aussi parler de remonter la broue !
Après l'hiver la terre est en bas du potager et il faut la remonter.
Le mulet, animal très rustique, est bâté de deux "pariers". Ce genre de récipient a un couvercle. Mais ce couvercle s'ouvre sur le bas si bien que la terre tombe là où il le faut après avoir enlevé la clavette qui verrouille "le plancher-couvercle" de ce récipient.
Me suis-je bien fait comprendre ?
J'ai un parier en décoration, je peux l'apporter un soir à frenétique pour une démonstration.
Aubergère.

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mots

Message par Aubergère » 27 déc. 2007, 20:54

Je vous parle d’un temps où le mot « naturel » ne faisait pas partie du vocabulaire mais « de la vie des hommes » !
Voilà une phrase qui va rester longtemps dans ma tête.
Elle est tellement juste. Elle m’en évoque une autre que j’ai entendu prononcer, il y a assez longtemps, par un homme politique.

« Nous allons tout mettre en œuvre pour que le nouveau mot solidarité soit une priorité. »Mais la solidarité a toujours existé dans nos villages de montagnes et ce mot qui paraissait être nouveau dans le vocabulaire des citadins, sans avoir jamais été prononcé, existait lui aussi naturellement dans la vie des gens d’ici.

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Message par Jean-François » 28 déc. 2007, 15:03

Bravo Fifette et Aubergère pour ces compléments...

Je posterai dorénavant les extraits des témoignages de mon père sous son nom : Michel.
Je le ferai à sa place car il n'a pas d'internet pour l'instant.

Michel
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Message par Michel » 28 déc. 2007, 15:05

A ces « petits boulots » succédaient ceux "plus nobles" consistant en la préparation des labours destinés aux semées de printemps d’une part (orge et avoine), à la plantation des patates d’autre part.

Les céréales d’hiver (seigle et froment) avaient été, semées à l’automne précédent (à la St Maurice pour le seigle) c'est-à-dire aux alentours du…23 Août (« pour en avoir à son caprice») !

Michel
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Message par Michel » 28 déc. 2007, 15:51

Les semées d’automne ont passé l’hiver sous la neige, protégées du gel, ou au contraire, pourries par un excès d’humidité, elles sont à refaire.

Il en va de même si, en cas de manque de neige, elles n’ont pas résisté au gel. Pratiquement chaque printemps voit se dérouler un labour particulier...
Il s'agit de signer la fin d'une prairie artificielle (sainfoin ou luzerne) qui a "fait son temps".
"Casser pré", tel est le nom réservé à cette opération, se fait à cette époque de l'année où l'humidité du sol, humidité laissée par la fonte de la neige, facilite ce genre de labour.
Deux mules sont alors attelées à la «grosse charrue » réservée à cet usage et il faut bien cette "double traction" pour venir à bout des imposantes racines de luzerne…


A la même époque, il faut préparer les jardins qui produiront salades, haricots, carottes et petits pois.
Mais "rien ne presse ; tant que la neige est encore au Mélézin, il est trop tôt pour semer".

Et puis, il y a la "lune rousse" dont il faut se méfier, ainsi que des "saints de glace"… Il faudra aussi ne pas oublier les "choulières", ces minuscules parcelles de terre situées à proximité des maisons ; chaque famille en possède une ou deux, voire plus. Au fil des partages successifs elles ont vu leurs surfaces se réduire ; parfois elles ne dépassent pas 30 m² !
Elles accueilleront poireaux, betteraves, carottes rouges, choux...
Et Novembre arrivé, tous ces légumes rejoindront au niveau moins 1 de l'habitation, en pleine terre et à l’obscurité, le"caveau" d'où ils seront retirés au fur et à mesure des besoins.

La préparation des terres devant accueillir les patates, légumes de base de l’alimentation familiale (gens et bêtes confondus), vient ultérieurement.
La plantation des semences, rigoureusement sélectionnées, interviendra début Juin afin de minimiser les risques de gelée.
Toutefois, ces risques ne sont jamais totalement exclus, car il est connu qu’à cette altitude, durant les fatidiques 100 jours nécessaires à leur développement, des gelées sont susceptibles de se produire.
Les semences avaient été conservées pendant l’hiver à l’obscurité, à la bonne température afin que les germes soient « à point ».
Il y avait les « rattes » réputées pour être les meilleures, mais également les plus capricieuses au moment de la récolte ; venaient ensuite « les Bintje » à peine moins réputées mais également « fantasques » en ce qui concernait leur rendement ; les « Belles de Fontenay », de Lacronan, connaissaient une certaine faveur, la" Ker Pondy" constituait une valeur sûre.
La comparaison de leurs mérites respectifs alimentait en tout cas de nombreuses conversations et si la réalité n’était pas à la hauteur des espoirs annoncés par la " bonne façon " ("elles ont de la belle herbe" disait on !) de la partie visible observable pendant … les 100 jours, cela était imputable au " changement de semence" qu’il faudrait pratiquer chaque année…

Si l’altitude en raison des risques de gelées constituait un facteur aggravant, cette même altitude (1600 m) éliminait pratiquement les risques de mildiou et interdisait toute attaque des doryphores !…
Mais il arrivait que ces derniers s’attaquent, quelques 300 m plus bas, aux champs de pommes de terre des grands-parents paternels !

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Fifette
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Message par Fifette » 29 déc. 2007, 20:50

Pour une petite précision des Saints de glace, on les retrouve au mois de Mai, le 11, 12 et 13 mai. Ce qui correspond aux noms suivants :
St Mamert pour le 11
St Pancrace pour le 12
St Servais pour le 13.
Voila juste une petite précision en plus pour les jardiniers "nouveaux" car les anciens......pas besoin de leur apprendre.

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