Histoire du Lac Saint Laurent 3/5

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Christophe TASSIN, Carte de Dauphiné, 1634

HISTOIRE DU LAC SAINT-LAURENT 3/5

Archives André Glaudas.

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La Grande inondation du 9 août 1852

Histoire du Lac Saint-Laurent – 12

Archéologie alpine
Le lac Saint-Laurent
Son histoire
Les Erreurs commises sur sa durée
No 165
Henri FERRAND

Extrait de la revue alpine de Juillet 1909
Tiré par Lyon à 200 exemplaires
Imprimerie et Lithographie à Geneste
71, rue Molière, 71

— 1909 —

Ancienne existence du lac

Mais ce n’est là qu’une donnée, et la moins intéressante du problème. Est-il vrai que comme l’énonce si nettement quelques-uns des auteurs que nous avons analysé ci-dessus, comme il a été admis depuis lors, que le lac Saint-Laurent se soit formé, le 10 août 1191, par le reflux de la Romanche qu’arrêtait dans son cours l’éboulement simultané des rochers de la Vaudaine et de l’Infernet ? Est-il vrai surtout que ces eaux aient alors recouvert et submergé une plaine antérieurement fertile et cultivée ? Est-il vrai que l’agglomération principale inondée ait été obligée de se reconstruire contre eau et ait pris alors le nom de Saint-Laurent du Lac ? Est-il vrai que ce non de Saint-Laurent ait été donné au lac du nom du saint patron du 10 août, jour de sa formation ?

Ces questions se posaient anxieuses, car depuis l’échafaudage de cette histoire les progrès de la géologie étaient venus singulièrement battre en brèche l’hypothèse de la constitution initiale du lac pendant les temps historiques.
L’aspect de cette plaine allongée de plus de 13 kilomètres, large de plus de deux, d’une horizontalité parfaite (715 mètres d’altitude au Pont-Rouge, route d’Allemont, et 723 mètres au confluant du Vénéon, à 12 kilomètres de distance), ne pouvait concorder avec la théorie du creusement des vallée, ni avec celle des dépôts torrentielles. C’était manifestement un lieu de sédimentation, une petite mer dans la tranquillité de laquelle s’étaient patiemment déposées les parcelles arrachées aux rochers de son bassin et dont l’œuvre n’avait pas pu être accomplie en vingt-huit ans, ni même en quatre siècles. C’est ce qu’énonçait notamment M. Dausse dans son Essai sur la forme et la constitution de la chaîne des Rousses en Oisans, publié en 1834.

Mais cette évidence que proclamaient tous les géologues n’était pas suffisante pour renverser la tradition, car, à tout prendre, il n’était pas impossible que le lac géologique se fût asséché comme tant d’autres, sinon avant l’apparition de l’homme sur la terre, du moins avant les temps historiques, et, qu’après une longue existence à l’état de plaine, il n’eût été de nouveau submergé par suite de l’accident de 1191. La nature ni la science ne pouvait à cet égard fournir aucune certitude.

Si l’on s’en était occupé, on aurait cependant pu remarquer que Mgr Bellet, dans ses Notes pour servir à la géographie et à l’histoire de l’ancien diocèse de Grenoble, publié en 1883, signalait que vers 1115, la paroisse du Bourg-d’Oisans était déjà désignée sous le vocable de Sanctus Laurentius de Lauso, Saint-Laurent-du-Lac, ce qui excluait ce baptême de 1191, résultant des circonstances.

On aurait pu également constater combien de documents uniques, base de toute cette histoire, étaient entachés de suspicion. Cette Pièce, qui se trouve aux archives de l’Isère cataloguée : B 2958, cahier 109, et qui est rapportée par Nicolas et par Albert (ut supra [ci-dessus]), est en fort mauvais état et présente de nombreuses lacunes. La date notamment en est absente, mais comme elle relate un autre désastre de 1465, elle est évidemment d’une époque postérieure, donc établie à trois cents ans de l’évènement qu’elle rapporte. D’autre part, c’est une demande collective de dégrèvement de tailles, adressée au Roi Dauphin, et il est facile de comprendre que, pour intéresser à leur sort, les solliciteurs pouvaient très bien ne pas se croire tenus à une exacte vérité, alors qu’il eût été laborieux de trouver des documents pour les contredire. Voici le texte du passage en question : « Deux abymes et lieux ruineux… descendent souventes fois grandes ruynes, tant en horribles et grosses pierres que autrement ainsi… le cours et passage de ladite Romanche se trouve absourbé et restreint tout ledit plain du bourg… l’an mil cent quatre-vingt-onze en tant que ledit bourg demeura péri environ 30 ans et plus… l’an 1219 l’impétuosité des dites eaux rompit la dite closure, dont s’ensuivit tant de maux que plus ne pourrait non… la mare de là jusques à la mer, mêmement en cette ville qui fut presque péri, le pont détruit, et toutes écritures noyées et perdues, qui est chose pitoyable a raconté. Derechef advint ladite restauration l’an 1465, qui noya la plupart du plan du bourg, plusieurs habitations, maisons illec étant enfouies péries, comme de ce est encore bonne mémoire : encore et derechef est advenue cette année, et le dernier jour de juillet que les ruines sont tellement descendues que le cours de ladite Romanche est estreint et sursis, et la plupart dudit plan mis en lac… » C’est là sans nul doute le document dont Aymar du Rivail avait eu connaissance (vers 1535), et l’on voit qu’il faut beaucoup de bonne volonté, et peut-être l’aide d’une tradition incontrôlable, pour faire de ce rappel des malheurs de l’Oisans découler la submersion de toute une plaine en 1191.

L’accident s’est reproduit, disent les suppliants en 1465 ; il s’est encore reproduit l’année même de la supplique, et il ne semble cependant pas en être résulté un arrêt sensible dans l’assèchement progressif du lac. La base de la légende de la submersion de l’Oisans en 1191 était donc bien faible : nul n’en avait remarqué la date. Mais l’histoire était si bien enracinée qu’il eût été téméraire de l’attaquer sans d’autres armes. Ces armes, que l’érudit Emmanuel Pilot de Thorey avait entrevues, mais dont il ne sut ou ne voulut pas faire usage, la récente publication par M. G. Collino du rarissime Cartulelaire d’Oulx dans la Bibliothèque de la Société d’histoire subalpine (1908), les a mises entre les mains de tous les chercheurs. Nous allons dans ce cartulaire trouver diverses pièces qui viennent jeter un jour décisif sur cette question, en même temps qu’elles apportent une curieuse contribution à l’étude de l’étymologie de certains noms de lieux.

À suivre…

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