Histoire du Lac Saint Laurent 1/5

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Lac Saint-Laurent par Jean de Beins, carte dessinée en 1617

HISTOIRE DU LAC SAINT-LAURENT 1/5

Archives André Glaudas.

Nota : Henri Ferrand aborde dans ce texte (découpé en 5 parties) le lac Saint-Laurent, également connu sous le nom de lac de l’Oisans. Il explore son histoire, son historiographie et ses impacts sur l’Oisans et sur le Dauphiné.

Bien que discutable voire contestable sur certains points de son analyse de documents historiques, notamment sur les cartes anciennes (cartographie de chambre) ainsi que son analyse géologique, Ferrand sera le premier à vouloir clarifier l’évolution géographique du lac depuis l’époque antique jusqu’au XIXe siècle. Son étude éclaire également les controverses toujours d’actualité, autour de la voie romaine.

Son analyse et surtout sa conclusion seront critiquées et réfutées par des travaux postérieurs (R. Blanchard quelques années plus tard en 1914 ; A. Allix en 1929 ; M. Bailly-Maitre, G. Montjuvent Guy, V. Mathoulin en 1997 ; et plus récemment C. L’Hutereau en 2020). Cependant, son travail expose bien la transformation progressive du lac, avant et après la débâcle de 1219, mais aussi le rôle crucial qu’il a joué dans le développement local. Ferrand sera donc un pionnier par cette étude, il va ainsi enrichir par une approche historique et scientifique notre compréhension d’une catastrophe qui a marqué cette région et un grand chapitre de son histoire.

Sur le même sujet : 
– Survol du lac Saint-Laurent
– Infographie sur le Lac Saint-Laurent

Archéologie alpine
Le lac Saint-Laurent
Son histoire
Les Erreurs commises sur sa durée

No 165

Extrait de la revue alpine de Juillet 1909
Tiré par Lyon à 200 exemplaires
Imprimerie et Lithographie à Geneste
71, rue Molière, 71

— 1909 —

Tous les ouvrages qui ont traité avec quelques détails de l’histoire ou de la topographie du Dauphiné ont parlé du lac Saint-Laurent, dont les eaux occupèrent jadis la plaine de l’Oisans, mais les renseignements qu’ils ont donnés sur lui ont toujours été fort succincts, et même parfois contradictoires. La plupart ont été erronés.
Ce lac s’était imposé à l’attention de tous par la terrible inondation du 14 septembre 1219, qui détruisit en partie la ville de Grenoble, et dont le mandement de l’évêque Jean de Sassenage, en date du 19 septembre, traduit avec une éloquente émotion les désastreuses conséquences (« Diluvium et destructio civitatis Gratianopolis et diversio pontis supra isaram 1219, mensis septembris ». L’inondation et la destruction de la ville de Grenoble et le détournement du pont sur l’Isère, 1219, au mois de septembre [voir le texte de ce mandement dans Guettard. Minéralogie du Dauphiné, II. P. 452 et dans Albert, Essai descriptif de l’Oisans, appendice, p. IX.])

Le cataclysme, qui coûta la vie à plusieurs milliers de personnes, eut à l’époque un tel retentissement qu’il fut mentionné dans la Chronique de Vincent de Beauvais (« Circa idem tempus lacus Sancti Laurentii subito erupit per Gratianopolim, et vallem Maurienne in isaram et Rhodanum recidens, multa hominum millia submersit, multasque terras alluvione destruxit. À peu près au même moment où le lac Saint-Laurent a soudainement éclaté à travers Grenoble et la vallée de la Maurienne dans l’Isère et le Rhône, il noya plusieurs milliers de personnes et détruisit de nombreuses terres par les inondations. [Speculum historjale Vincentii, lib. XXXI, Cap. LXXXV.]), et pars les récits véridiques de ses effets sur la ville de Grenoble et sur le cours de l’Isère, on peut juger de sa néfaste puissance sur les villages qui se trouvaient au long du cours de la romanche et notamment de Vizille. Ce fut une vague irrésistible qui balaya tout. Il faut d’ailleurs se souvenirs qu’à cette époque le Drac se jetait dans l’Isère presque à angle droit, aux portes de ce qui était alors la ville de Grenoble, et qu’un de ses bras, le Draquet, passait au lieu dit encore de nous jours les « Pierres Pontées ». Ce ne fut qu’au commencement du XVIIe siècle que Lesdiguières fit creuser au Drac le lit qu’il occupe aujourd’hui et dont la direction aurait atténué le désastre.
Nous trouvons encore cette catastrophe mentionnée dans l’Histoire des Allobroges (De Allobrogibus), écrite par Aymard du Rivail, dans la première moitié du XVIe siècle, vers 1535 (his temporibus, conjunctione et concursu ruinæ duorum montium, Romancha fluvius, sub Burgo Oyscntio, decem et septem annis restagnavit, adeo quod magna aquæ abundantia ibidem fuit ; tandem decimo octavo calendas octobres anni Christi millesimi ducentesimi undevigesimi, noctu, via restagnationis uno impetu aperta est, et diluvium induxit, et minimum adsuit qui eo Gratianopolis ruinam passa sit. Et complures oppidanos diluvium submersit, et pauci qui æpidium sacrarum et domorum apicem ascenderant evaserunt, pontemque Gratianopolis hæc aqua avertit, et ad constructionem ipsius pontis Johannes, tunc urbis episcopus, indulgentias, ut ita loquar, largius est.
En ces temps, la conjonction et la convergence de la chute des deux montagnes, la rivière Romanche, sous Bourg-d’Oisans, pendant dix-sept années elle a stagné, à tel point qu’il y avait une grande abondance d’eau, enfin, le dix-huit octobre de l’année du Christ mil deux cent dix-neuf, dans la nuit, la voie de la stagnation s’ouvrit d’un seul coup, et apporta un déluge, et le moindre qui souffrit la chute de Grenoble par cela. Et un certain nombre de citadins furent noyés par l’inondation, et quelques-uns qui avaient grimpé au sommet des édifices et des maisons sacrées s’échappèrent, et le pont de Grenoble fut emporté par l’eau, et pour la construction du pont lui-même, Jean, alors évêque de la ville donna les indulgences, pour ainsi dire, plus librement. [De Allobrogibus, Lyon, Perrin, 1844, P 428]), dans l’Histoire Générale du Dauphiné publiée par Nicolas Chorier en 1672 (tome II, p. 100) et dans la Minéralogie du Dauphiné de Guettard, parue en 1779 (tome II, p. 452 et s.)

Parmi les auteurs plus modernes, nous voyons l’histoire de ce « déluge » rapportée dans l’Histoire de Grenoble et de ses environs, de J.-J.-A. Pilot (Grenoble, Baratier frères, 1829, p. 50) ; dans les récits de l’Album du Dauphiné (tome III, 1837, p. 154) ; dans les notes de M. Antonin Macé sur la description du Dauphiné, par Aymar du Rivail (Grenoble Maisonville, 1852, p. 62) ; dans l’Essai descriptif sur l’Oisans, par Aristite Albert (Grenoble, Maisonville, 1854, P. 9) ;  dans le Guide du voyageur dans l’Oisans, par le docteur Roussillon, (Grenoble, Maisonville, 1834, P. 36) dans l’Histoire du Dauphiné par Jules Taulier (Grenoble, Ch, Vellot, 1855, p. 158, et s.) ; dans les Recherches dur les inondations dans la vallée de l’Isère, par J.-J.-A. Pilot [Grenoble, Maisonville, 1857, P.4] ; et même dans l’Histoire de Grenoble, par Prud’homme [Grenoble, Gratier, 1888, p. 104]. Tous ont puisé leurs renseignements dans le mandement de Jean de Sassenage, et Albert et Roussillon, spécialement, y ajoutent quelques détails dramatiques probablement de leur cru.

Certains de ces auteurs essaient de donner quelques éclaircissements sur la formation de ce lac, mais c’est là que commencent les divergences et les contradictions. On n’en trouve aucune trace dans le mandement de Jean de Sassenage, pièce éminemment digne de foi, ni dans Vincent de Beauvais, mais c’est Aymar du Rivail qui commence à nous dire que le lac, causé par l’éboulement concomitant de deux montagnes qui aurait obstrué la Romanche, n’aurait duré que dix-sept ans. Nous verrons bientôt à quelle source il avait puisé ! Chorier n’en parle pas et Guettard mentionne d’après la tradition, l’origine du lac par l’éboulement de la Vaudaine et de l’Infernet arrêtant le cours de la Romanche mais sans indiquer la date. Le docteur Nicolas, dans sont Mémoire sur les maladies épidémiques qui ont régné dans la province de Dauphiné [Grenoble, imprimerie Royale, 1786, p. 100 et 216], paraît être le premier qui ait fixé à l’année 1191, l’origine du lac, se référent à un titre qu’il publie dans ses Pièces justificatives, et dont nous aurons à parler. Pilot, dans son Histoire de Grenoble, et Macé, dans ses notes sur la Description du Dauphiné, adoptent cette date ; Albert, reproduisant à nouveau le titre publié par le docteur Nicolas, la mentionne simplement au XIIe siècle, Roussillon, se basant sur la tradition, la précise aux 10 août 1181, mais Taulier Pilot et Prud’homme confirme la date de 1191. Dès lors ce point d’histoire parut fixé, et on tint pour acquit que le lac de l’Oisans, formé par le reflux de la romanche qu’arrêtait l’éboulement de la Vaudaine et de l’infernet, avait été appelé Saint-Laurent, du nom du saint du 10 août, date à laquelle s’était produite en 1191, le redoutable phénomène, et qu’il s’était vidé par la rupture de ce barrage, le 14 septembre 1219, après une courte existence de 28 ans.

Tout le monde se répéta. Adolphe Joanne recueillit cette version des œuvres d’Albert et de Roussillon et lui donna la formidable publicité de ses Guides [Dauphiné, Isère, 1862, P. 268, – le Jura et les Alpes Françaises 1877, p.695]. Les auteurs anglais auxquels la parole autorisée d’Élisée Reclus remettait le soin de faire connaître le Dauphiné [Tour du Monde, 1860, II, p. 402] l’adoptèrent [Forbes, Excursions in the Alps of Dauphiné, dans Norway and its glaciers, Edinburgh, 1853, p. 265, – T.G. Bonney, Outline Sketches in the high Alpes of Dauphiné, Londres p. 1865, p. 3. — Reve. W.-A.B. Coolidge, The Western Alps., réédition de John Ball, Londres, 1898, p. 114], — et moi-même je m’en fis l’écho dans une Étude sur la Vaudaine donnée en 1878 au bulletin de l’Académie Delphinale, dans l’article Oisans du Grand Dictionnaire géographique de la France, de Paul Joanne, et dans mon volume de l’Oisans, édité en 1903.
Qui pouvait désormais douter de cette vérité ? Elle avait reçu la consécration d’Albert Falsan, dans ses Alpes françaises [Paris, Baillière, 1893, tome I, p. 156] et même d’Onésime Reclus dans ses Sites et Monuments [Touring Club, le Dauphiné, P.94], et surtout dans son magnifique ouvrage Le plus beau Royaume sous le Ciel [p. 325], Dans ses lacs Français [Paris, Chamerot, et Renouard, 1898, P. 248] M. André Delbecque lui conférait l’autorité de la Science.

À suivre…

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