1832, Sauvetage à la Grave

La Grave, Glacier de la Girose, ascension de sérac. Carte postale fin XIXe – Collection Archives départementales des Hautes-Alpes.

1832, SAUVETAGE À LA GRAVE
Relevé par Mme Renée Pellegrini – SGLB
Publié dans Généalogie et Histoire No 154, en juin 2013.
Archives André Glaudas. 

« Nous Félix Bret juge de paix du canton de la Grave et Joseph Rome maire de La Grave chef lieu de Canton arrondissement de Briançon département des Hautes Alpes, officiers de police auxiliaire de Mr le Procureur du lieu de cet arrondissement certifions et attestons qu’il est en notre connaissance que le vendredi trois courant (août 1832) les nommés Jean-André Pic, Dominique Mathon et Joseph Seonnet (Sionnet ?) fils à François, cultivateurs domiciliés en cette commune de La Grave se seraient transportés au mas du Mousset près les Glaciers de la Combe de Malaval pour y exploiter des cristaux de roche.

Que le soir de la dite journée ils ne seraient pas rentrés à leur domicile. Que le quatre courant matin les nommés Jean Durif, Marc Pic et autres personnes auraient été sur les lieux pour savoir ce qu’étaient devenus les trois hommes, qu’enfin ils nous rapportèrent qu’en explorant le dit mas du Mousset, ils avaient vu une avalanche de glace tombée sur un filon de marbre blanc indiquant une mine de cristaux que s’étant transportés, du moins aussi près qu’il leur fat propice, ils aperçurent un homme mort enclavé dans les glaces, le buste seul paraissant, qu’il leur fut impossible d’aller sur les lieux mêmes ; attendu qu’un glacier placé perpendiculairement au-dessus se détaillait par masses à chaque minute et qu’on aurait pu, sans s’exposer évidemment à être englouti sous les glaces, y faire la moindre recherche ni sortir du précipice le cadavre qu’ils y avaient vu.

Un détail de cette nature nous suggéra mille réflexions différentes et pénibles à supporter ; Cependant les dangers exposés par les dits Durif et Pic ne furent point de nature à ébranler notre moral… d’ailleurs que les magistrats zélés ne doivent jamais reculer devant l’accomplissement des obligations que leur imposent leur devoir et humanité. Après nous être concertés, nous décidâmes d’accéder aux lieux le cinq à quatre heures du matin afin de profiter de la fraîcheur et dans l’espoir que les glaciers éternels qui dominent ces contrées fussent un peu congelés et offrent plus de ténacité.

En effet, le cinq dimanche à quatre heures du matin nous partîmes de la Grave accompagnés de trente-cinq hommes, tant de ce dernier lieu que du hameau des Fréaux. Notre course se dirigea vers le pont long au centre de la combe, de là nous quittâmes la Route Royale et tournâmes au midi. Une montagne presque perpendiculaire bordée d’un côté par un torrent qui tombe avec un fracas épouvantable et qui entraîne dans son rapide cours des blocs énormes de glace et des masses de rochers qui se détachent de ses rives (esca ???) et de l’autre par un pic semblable à une pyramide sans inclinaison qui ne porte sur les flancs aucune végétation fut accédée sous le plus morne silence au milieu des horreurs et des dangers ; mais de plus grands dangers nous attendent encore. Arrivés au bas des glaciers nous respirâmes, deux bouteilles d’eau que nous eûmes la précaution de faire porter furent distribuées, précaution qui procura un heureux effet puisque de l’état suant de chaleur occasionnée par les (…) inexprimables que nous avions supporté pour (…) nous passâmes dans une région toute opposée.

Avec de l’eau qui filtre de toutes parts, des neiges, des glaces, privées encore des rayons du soleil qui ne peuvent pénétrer dans les gorges (…) que obliquement vers onze heures ou midi pour en disparaître incessamment après. Chacun de nous se trouvait glacé. Le seul moyen de nous préserver était celui d’agir et c’est ce qui fut ordonné.

Conduits par Marc Pic, nous abordâmes l’endroit où il avait vu un cadavre la veille, ils offrirent à nos yeux et nous reconnûmes que c’était le corps de Joseph Seonnet, fils à François. Il était renversé sur son dos la tête en bas ayant reçu un coup au front et les jambes enterrées dans les glaces. Il fut retiré avec célérité et transporté hors de danger. On s’occupa alors à écarter les quartiers de glace qui encombraient la surface de cette mine et bientôt on trouva les corps de Jean-André Pic et Dominique Mathieu entassés l’un sur l’autre gelés et collés ensemble. On les retira avec peine et on les transporta ailleurs.

Après une courte pause nous divisâmes ceux qui nous accompagneraient en trois escadrons et les cortèges défilèrent en suivant les sinuosités des rochers, dans le plus grand silence, lorsqu’une détonation semblable au bruit du canon se fit entendre et une masse de glace roula et se précipita presque jusqu’à nous.

La descente s’opéra avec tout l’ordre possible, tantôt en portant les cadavres, tantôt en les suspendant par le moyen du cordage dont nous nous étions munis, et après mille peines et souffrances inexprimables, nous atteignîmes la Route Royale où ils furent ensevelis et placés sur une voiture disposée ad hoc qui les porta directement au cimetière de La Grave pour y recevoir l’inhumation.
Nous ne pouvons passer sous silence le zèle, le dévouement et la prudence qu’ont déployés ceux qui nous accompagnaient, qui dans le cours en ces pénibles travaux se sont conduits d’une manière exemplaire.

Et attendu que la journée du cinq a été complètement employée à ce qui est mentionné ci-dessus et d’autre part nous avons ajourné la rédaction du présent à aujourd’hui huit heures du matin pour être adressé à Mr le Procureur du Roi, par le prochain courrier et ma copie dûment certifiée par nous remise à Mr l’Officier de l’Etat Civil de cette commune en l’exécution de l’article 82 du Code Civil à La Grave le six août mil huit cent trente deux et avons signé avec les Sieurs Napoléon Liothaud, (…) Paillas, Jean-Baptiste Richard, André Bignieu (…) Paillas (signé à la minute Richard.Paillas, Bignieu, Paillas, Liothaud, Rome maire, Bret juge de paix.

Pour copie conforme à la minute Certifiée par les soussignés »

Registres état civil (extraits de registres) de la commune de la Grave Chazelet et Hières (Hautes-Alpes)
Ref. 2E 67/9 1828-1838
page 58/127

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