Maintenance du Barrage

ARTICLE DU DAUPHINÉ LIBÉRÉ DE 1960
Article qui explique dans le détail la première campagne de dégagement  des vannes du barrage du Chambon.

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LES CHIRURGIENS DES BARRAGES OPÈRENT CELUI DU CHAMBON MAINTENANT PRIVÉ DES EAUX DE LA ROMANCHE
Reportage de Maurice TINGAUD

Dans le vent et la neige.

LE CHAMBON ce colosse hydropique tapi entre Bourg-d’Oisans et le col du Lautaret, vient d’être mis à la diète. Les chirurgiens des barrages, ingénieurs d’E.D.F., opèrent sa panse congestionnée d’avoir englouti la Romanche, si goulûment et pendant tant d’années. Détournée, aspirée, canalisée, la rivière n’entasse plus derrière le haut mur de béton, les boues et les arbres arrachés à la montagne. Le lac, le beau lac comme s’il voulait hiberner à l’image des marmottes, s’est recroquevillé au creux des rocs enneigés.
On ne voit plus de lui qu’un dos gris sur lequel brillent par endroit des plaques de glace. Bientôt, il n’apparaîtra plus, ici, qu’un étang maigre, honteux de sa faiblesse de grand malade.

Cette affection, cette maladie, notre confrère Paul Dreyfus l’avait à cette même place, excellemment décrite, il y a quelques mois. Mais aujourd’hui, l’opération est entrée dans sa phase finale. Bientôt asséché, l’ouvrage de protection de la vidange de fond, une sorte de grille placée devant le conduit ménagé au pied du barrage sera dégagé de sa gangue de vase et de branchages, détruit et remplacé par une nouvelle cage.

conducteur

De la salle de dispatching, sur le bord de la route, en amont du barrage,
on commande le fonctionnement des énormes engins qui flottent
quatre-vingts mètres plus bas. (Photo « D.L. »).

Trois objectifs
Vider une retenue d’eau est chose relativement facile. Il suffit pour cela d’ouvrir des vannes et d’attendre. Cependant, lorsqu’en 1956 on releva la lourde porte de fer, seul un mince filet d’eau apparut . On se rendit à l’évidence les alluvions de la Romanche avaient obstrué la  grille placée en tête de la canalisation. Le dossier « réfection de l’ouvrage de protection de la vidange de fond » s’ouvrit donc au « Groupe de Production Hydraulique – Alpes », sous la direction des ingénieurs du groupe, des plans furent dès lors imaginés, dont la réalisation fut officiellement décidé en 1959.
Il s’agissait en définitive de permettre l’installation d’un chantier au pied asséché du barrage. Trois objectifs étaient en conséquence assignés aux ingénieurs : laisser la retenue atteindre son niveau le plus bas, en maintenant ouverte la conduite des eaux des usines du Chambon et de Saint-Guillerme, détourner la Romanche et vider enfin le fond du réservoir de l’eau des boues et des arbres qui cachaient l’ouvrage à reconstruire.
À l’exception de l’ouverture permanente des vannes de la conduite, ces opérations allaient réclamer des travaux importants, un matériel puissant et un horaire particulièrement précis en raison des conditions climatiques.

Au plein cœur de l’hiver
Les bâtisseurs du « Chambon » avaient dû, eux aussi, pour élever leur barrage, détourner la rivière. En amont de leur futur ouvrage, ils avaient construit un batardeau une digue, derrière laquelle coula la Romanche hors de son lit habituel. Ce batardeau resté au fond du lac artificiel et qui n’aura besoin que d’une réfection sommaire, va revenir à sa fonction première.
En effet, à la surface de cette petite retenue, des pompes ont commencé leur travail, celui d’abaisser le niveau du lac actuel, puis la digue émergée, aspirer une quantité d’eau égale à celle de la rivière pour la refouler dans la conduite de l’usine de Saint-Guillerme.
Le fond du réservoir, la partie comprise entre le batardeau et le barrage ne sera bientôt plus alimenté. Il suffira donc de la vider de son eau et de ses alluvion qui obstruent la canalisation, objet de tous ces travaux.
Tout cela est vite écrit. Cependant, la réalisation est beaucoup moins aisée, d’autant que pompage, dragage et disons « maçonnerie », doivent obligatoirement se faire pendant la période des basses eaux, lorsque la Romanche victime du gel est sous alimentée.
L’immense chantier doit travailler surtout au plein coeur de l’hiver, avant le mois de mai, celui des crues de printemps.

Vue de haut

À gauche, le groupe des pompes et les quatre tuyaux noirs
qui aboutissent à la conduite de Saint-Guilherme.
À droite, la drague, engin unique par ses dimensions jamais égalées jusque là. (Photo « D. L. »)

Un chantier naval
Les travaux préparatoire confiés à diverses entreprises commencèrent donc en février dernier
Les rives du lac prirent alors un peu l’allure d’un chantier naval. Une plateforme destinée au montage de la drague flottante fut « ménagée en même temps qu’était préparé la mise à flot des quatre groupes de pompes. On dut établir pour celles-ci des voies sur lesquelles, à la façon des navires elles seraient montées en attendant leur lancement. On ouvrit encore sur la rive gauche une piste dont la construction se poursuit et qui permettra aux engins mécaniques de rejoindre le barrage.
Les électriciens eurent aussi leur part de ce gâteau coriace. Sur la rive droite, au bord de la route on leur confia l’installation du poste de distribution de courant électrique commandé et contrôlé d’une salle de dispatching. Il suffit de penser pour juger de l’importance de ce poste que les quatre pompes ont chacune une puissance de 1.100 CV et que s’ajoutent à elles la drague la grue, le derrick, les projecteurs et bien d’autres appareils encore.
Ce fut à la mi-Juin  la première unité de la flotte E. D. F. de la Romanche fut lancée. Plus exactement le niveau du lac ayant été élevé, le ponton de la drague put voguer vers le mouillage qui lui était assigné en amont du batardeau.
Un mois plus tard, à la mi-juillet, les pompes de 1.100 CV capables de refouler 3.000 litres à la seconde chacune flottèrent à leur tour sur la retenue.

depuis la grue

Au pied du haut mur de béton, la drague est entrée en action
pour aspirer seize cents mètres cubes de vase . (Photo « D.L. »)

La drague entre en action
Peu à peu, pendant toutes ces opérations, le lac avait diminué de volume. En novembre, il atteignit son point le plus bas. L’heure des derniers préparatifs avait sonné. Les conduites reliant les pompes à la canalisation de Saint-Guillerme furent assemblées entre elles par des manchons de caoutchouc et des cardans. Ces quatre tuyaux noirs de 80 cm de diamètre, soutenus par des fûts métalliques sont en quelque sorte la Romanche emprisonnée.
Enfin, pour augmenter la capacité du batardeau, la drague se mit à l’oeuvre et aspira 25.000 m3 de vase.
Le fonctionnement de cet engin imaginé par un ingénieur suisse et acquis par E. D. F. est assez curieux pour que nous nous y arrêtions. Imaginez un tube central entouré de quatre plus petits et assemblés en éléments de cinq ou six mètres. Deux de ces tubes périphériques aboutissent à une chambre percée de trous minuscules.
C’est l’outil destinée au creusement. En effet, l’eau sous pression s ‘échappant en Jets acérés par ces petits orifices. désagrègent la vase du fond et en fait une émulsion.
Celle-ci peut alors être aspirée par le tube central, sorte de pompe alimentée en, pression par les deux dernières conduites d’eau.

Un programme sévère
Un batardeau ayant condamné la conduite de Saint-Guillerme, les pompes ont été essayées et vendredi dernier, mises en service.
Chaque Jour, dorénavant, le niveau du lac baissera de cinq mètres jusqu’au jour très prochain où il suffira d’égaliser le débit des pompes et celui de la rivière. Nous serons alors dans la première quinzaine de janvier. La drague déjà en place assèchera les lieux du futur chantier, un emplacement actuellement sous trente mètres d’eau et 16.000 mètres cubes de boue.
Deux semaines plus tard, la grille de protection sera démolie pour être remplacée en février par une nouvelle dont on espère qu’elle évitera de tels travaux. L’opération « Chambon » prendra fin en mai.
Cependant d’ici là dans le froid de la haute montagne, protégés par un chauffage à Infra-rouge de jour comme de nuit les ouvriers du chantier devront accomplir une tâche surhumaine. Minuscule, au fond de l’énorme réservoir, ils sont actuellement 150 à gratter déjà le mur de béton. Leur gilet de sauvetage jaune, leur casque blanc, les fait distinguer dans le lointain de l’homme grenouille émergeant des eaux glacées. Déjà ils luttent contre le vent et la il neige qui peu à peu vont devenir plus cruels.

 

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