le dernier presseur d’huile de l’Oisans

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Planche de colporteur, noix de Grenoble. Musée Dauphinois.

LE  DERNIER PRESSEUR D’HUILE DE L’OISANS
Propos recueillis par M. B. TURC
Pour la revue « Pays d’Oisans » document sans date.

Nous avions rencontré Monsieur Ernest RIGNON, à l’automne, il y a quelques années, alors que le nouveau tracé d’élargissement de la route nationale No 91 menaçait de démolition les murs de son moulin situé aux Alberges sur la commune du BOURG D’OISANS, et où il était pendant de nombreuses années, comme son père, un des rares presseurs d’huile du canton. Mais écoutons parler Monsieur RIGNON de son moulin, ou plus exactement de son pressoir.

« Le premier pressoir il était là-bas, il touchait presque la route… enfin c’est vieux, mais à la succession de mon Père, j’ai gardé les papiers. Mon père l’a construit de ses propres mains, avant, il n’y avait rien à cet emplacement. »

« Il y avait deux pressoirs à BOURG D’OISANS. Un appartenait à Monsieur ORCEL à qui mon père a acheté le matériel. Il était là-bas, vers la Rive, en aval du Pont, vers l’atelier Berlioux. »

« L’autre pressoir appartenait à Monsieur GLAUDAT. Son matériel a été acheté par quelqu’un habitant le Chambon. Puis au départ des habitants du hameau lors de la mise en eau du barrage, le matériel a été transporté près de Clelles. »

« Mon père a construit son pressoir entre 1873 et 1875… oui 1873. Il a commencé à travailler en 1877-1878. À ce moment-là il y avait du travail. Chacun apportait sa matière, c’est-à-dire principalement la noix, mais aussi de la graine de colza, de navette… »

« Moi, j’ai appris à travailler avec mon père dès l’âge de 8 ans, puis tout s’est subitement arrêté pendant 5 ans, car nous avons habité à Rioupéroux. Plus tard mon père est revenu cultiver ici au printemps 1907 et l’hiver suivant nous avons de nouveau fait fonctionner le pressoir jusqu’à l’hiver 1946-1947. »

« Tout le mécanisme était en bois, même l’engrenage naturellement, réalisé à la main par un menuisier qui savait d’ailleurs tout faire. À part les dents, l’ensemble était taillé dans du noyer. »

« Mais au fil des ans pendant les 5 années de fermeture le bois a été “chironné” et l’humidité a fait le reste si bien que la pièce centrale de bois s’est fendue, et même cerclée, elle ne tenait pas. »

« D’autre part, l’ensemble était trop vieux. J’ai alors décidé de le faire en béton. Je crois avoir bien réussi mon affaire… le pressoir est là depuis 1911. »

« L’arrivée de l’électricité a modifié le système d’entrainement des poulies qui se fait maintenant à l’aide d’un moteur. Mais M. RIGNON a longtemps eu comme compagnon de travail un cheval. “Ah le cheval !”, même si le cheval “allait” bien, il fallait mettre la longe pour éviter qu’il puisse s’emballer ou qu’il fasse le “guignol” avec le risque de se cogner la tête contre le bois. On lui mettait les “lunettes”, pour éviter qu’il soit “saoul” à force de tourner, surtout sur un cercle aussi court. Le cheval avait alors tendance à tituber, à être déséquilibré, et cela influençait sur sa résistance au travail. Rien à voir avec les chevaux qui dépiquent (battent) le blé qui ont beaucoup plus d’espace pour tourner. »

« Il n’y avait pas de transport organisé pour le ramassage des productions. Chacun apportait sa matière pour la faire presser, soit seul avec son mulet, ou s’entendant avec son voisin pour assurer le transport. Avec les mulets chargés, ils partaient de Villard-Reculas, ou de là-haut, au-dessus de la falaise, de Villard-Notre-Dame ou bien de la Grave ou de Livet. »

« J’avais en principe une autorisation de presser valable pour six mois, de telle date à telle date, généralement l’hiver. »

« À cette époque on prenait 0,15 F puis on est allé jusqu’à 0,18 F, mais on était limité par le Syndicat des oléagineux. On était soumis aux contrôles des Contributions indirectes et c’est le bureau au des contributions qui nous délivrait l’autorisation. »

« Je ne me souviens pas avoir pressé avant le mois de novembre et à partir de cette date on pressait sans interruption jusqu’en mars, sauf bien sûr quand la neige bloquait l’approvisionnement. »

« Lorsque les gens venaient presser des pommes, des poires ou bien tout autre chose, ils repartaient avec le tout dans des tonneaux. Il fallait alors établir un permis de circulation qui nous était imposé par les Contributions indirectes et il fallait inscrire le nombre exact d’hectolitres et que l’ensemble corresponde. »

« Pendant la guerre nous avons été “plombés” pendant 2 ans. J’avais reçu l’ordre de l’Administration des Matières oléagineuses de ne pas “faire la graine” ; il fallait l’envoyer à Lyon, mais j’étais obligé de faire la réception et l’enregistrement sur nos bordereaux. »

« Malgré tout j’ai pu obtenir et travailler la graine d’œillette et de colza qu’il fallait passer au cylindre à concasser avant de les broyer à la meule. »

« En 1942-43 j’ai même réussi à obtenir pour mon usage personnel des graines de cacahuètes. J’en avais acheté pour remplacer les noix devenues rares à la suite du gel des noyers. Quelques années plus tard, deux printemps consécutifs, furent catastrophiques et il n’y eut pas de noix. »

« Néanmoins la noix représentait l’essentiel de notre activité. »

Mais comment se passait une pressée de noix par exemple ?
Monsieur RIGNON raconte : 
« Eh bien, c’est simple, on versait à chaque fois une dizaine de kilogrammes de cerneaux de noix sous la meule qui tournait. Mais auparavant un travail de préparation des noix devait être fait. Après la récolte et une fois séchées, les noix étaient décortiquées. Cette opération s’appelait “monder les noix”. Plusieurs personnes réunies autour de la table familiale participaient à la mondée. Le moment venu chaque famille accomplissait sa tâche et en général cela se passait dans la bonne humeur, voire même dans le chahut quand la jeunesse était là. La noix était cassée, le fruit extrait de sa coque et le cerneau débarrassé de ses cloisons. Ah, il fallait que ce soit propre ! Il y en avait qui négligeait leur travail alors je leur refusais la pressée. J’ai refusé le travail à d’autres qui apportaient des noix sèches parce que ça abime les toiles, qu’on appelle les “scortins”. »

« En versant les cerneaux de noix sous la meule, il m’est arrivé de trouver divers objets : des couteaux, des ciseaux, un porte-monnaie, des lunettes. »

« Il était bien rare de ne pas s’en apercevoir lorsqu’on arrangeait à la main les cerneaux. Mais une fois pour les lunettes c’était trop, la meule était passée ! Le porte-monnaie lui ne contenait pas d’argent, mais des médailles. »

Mais revenons-en au broyage des noix, qu’elle en était la durée ?
« Il fallait environ 10 minutes pour broyer 10 kg de noix. En suite on mettait ces noix pendant environ un quart d’heure dans un chaudron chauffé par un feu de bois. On n’avait pas de charbon, alors, il fallait aller couper et préparer le bois. »
 
« Pendant la période de chauffe, le contenu était brassé au moyen de pales par l’intermédiaire d’une poulie, mais je tournais souvent à la main pour éviter que ça cuise ou que ça brûle. Quand la matière était à une température idéale, autour de 70 °C — je n’avais pas d’appareil de mesure, c’est ma main qui faisait l’appareil — alors on arrêtait de chauffer et pendant que je préparais la presse, un aide m’apportait le contenu du chaudron que l’on enveloppait dans les toiles qui retenaient les noix et filtraient l’huile. Ces toiles les “scortins” étaient fabriquées avec des longs cheveux de femmes et du poil de chèvre. Ce sont deux maisons, l’une située à Chambéry et l’autre à Tours qui me les fournissaient. Mais après la guerre en 1945-1946, j’ai pu en obtenir à Marseille par l’intermédiaire de mon frère. »

« Donc une fois que tout était en place, je descends la presse je prépare mes “pains” séparés par une tôle et je serre tant que je peux. C’est là qu’il faut être deux hommes pour tourner. »

« Je l’ai fait aussi tout seul, mais c’est dur ; lorsque je pouvais plus tourner, je mettais une barre et j’accrochais un système de treuil ensuite je continuais à presser et à vue d’œil, je savais quand je devais m’arrêter. »

« Il m’est arrivé quelquefois de serrer un peu plus fort, mais voyez-vous ça se connait à peine. » (Il nous montre une petite fissure dans le socle de sa presse due à trop forte pression.)

« L’huile coule là dans le bidon et lorsqu’il est plein je le remets au client qui le verse dans ses bonbonnes. On a l’habitude de ne pas mélanger la première et la seconde pressée parce qu’à la seconde les noix sont chauffées et broyées deux fois. Il faut alors laisser reposer l’huile dans les bonbonnes pendant huit à quinze jours, et lorsque l’huile est vraiment propre on peut la mettre en bouteilles. »

« Les gens repartaient avec l’huile, mais aussi avec les pains de tourteaux. Ces pains de tourteaux il fallait les détacher des tôles parfois avec un marteau tellement ils avaient été pressés. Ensuite on devait battre les “scortins” pour faire sortir la matière. »

« Maintenant tout ça c’est fini. La dernière fois que j’ai pressé pour le public c’était en 1965, je crois. »

« Enfin pour le moment le pressoir ils ne le toucheront pas. Il en a été question, mais en principe… moi, j’ai fait la réflexion que je ne tenais pas à ce qu’il le démolisse. Tant que je serai vivant, il me sera agréable et je serai toujours heureux de venir m’y promener, voir ce qui s’y passe. »

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