Légendes sur l’Oisans par Hippolyte Müller

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Chemin de la Confession, photo d’Hippolyte Müller, début XXe. Source Musée Dauphinois.

QUELQUES LÉGENDES SUR L’OISANS PAR HIPPOLYTE MÜLLER

Source Gallica : Bulletins de la Société dauphinoise d’ethnologie et d’anthropologie
Date d’édition : Premier juillet 1899

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Quelques Légendes sur l’Oisans par Hippolyte Müller

Voici une légende donnée par Mme L. Drevet, où il est dit que la montagne de Brandes était autrefois très boisée ; que sous les ruines, la roche, creuse comme une fourmilière, contient beaucoup d’argent caché par des génies ; une vierge armée d’une faux d’or garde l’entrée des souterrains.
Les hommes du pays ne peuvent pas entrer ; ceux qui se sont aventurés dans les souterrains, sans l’agrément de la fée qui en a la garde, errent sans jamais retrouver l’issue.
Seuls des étrangers sont venus, ont pu entrer, ont rempli des sacs d’argent monnayé, de pièces d’or, et sont repartis riches.

Une autre, donnée par le même auteur, nous apprend que, sur un pont à moitié emporté, jeté autrefois sur le Rif-Bruyant, Humbert, dauphin, monté sur un cheval blanc, galope la nuit vers la tour pour y chercher une âme qu’il y a oubliée.
Cette légende, dans laquelle Humbert s’inquiète fort peu que le pont soit rompu ou non, se rapporte sans doute à celle de la Chambre de la Serve, donnée par Mme Drevet, mais dont nous n’avons pu retrouver la trace chez les habitants d’Huez, la voici :
Au pied de la tour du Prince Ladre existait une galerie passant sous le fossé et aboutissant il une chambre creusée dans la roche, sous les appartements de la tour. On y aurait retrouvé, momifiée, une jeune fille disparue depuis plusieurs années du village de La Garde et reconnue pourtant par un de ses contemporains. La légende ajoute qu’un Dauphin, pris d’un violent amour pour sa vassale, l’aurait décidée à abandonner sa famille et à venir s’enfermer dans ce réduit connu de lui seul, où il lui apportait à manger.
Ce Prince, que Mme Drevet croit être Guigues VIII, obligé de partir subitement pour la guerre, oublia momentanément sa maîtresse et, ayant été blessé mortellement au siège du château de la Perrière, sans jamais trahir son secret, l’emporta dans la tombe.

Une autre légende, qui a pour sa justification certains détails malheureusement vécus souvent encore au commencement du XIXe siècle, a pour héroïne une jeune fille d’Huez, fiancée qui, dans son zèle à mettre de l’ordre dans le chalet d’été avant de venir prendre les quartiers d’hiver à Huez, n’écouta pas ses parents, la conjurant de quitter de suite les chalets de l’Alpe. La neige étant venue plus vile cette année, on fut la chercher et on ne retrouva que ses os ; les loups, nombreux, l’avaient dévorée.

Pour Huez, ou plutôt pour Saint-Ferréol, il y a très longtemps, plusieurs siècles, le curé qui allait quelquefois voir ses parents à Siévoz [Sévoz], entre là Mure et le Valbonnais, partit un jour sans prendre le temps de dire une messe qui lui avait été commandée, remettant de le faire un autre jour.
Ce prêtre fut tué par un brigand en passant la Bonne, sur un pont qui garde depuis le nom de Pont du Prêtre.

Depuis, nous dit Mme Drevet, chaque nuit, son âme revêtant son enveloppe terrestre, revenait dans l’église de Saint-Ferréol et là, vêtue des ornements sacerdotaux, attendait chaque nuit qu’une âme charitable vienne lui servir la messe qu’il avait omise le jour de sa mort, afin qu’il pût se dégager du Purgatoire ; bien entendu, un paroissien plus hardi que les autres a vu la chose et l’a affirmée à ses concitoyens.

À propos de l’occupation sarrasine en Oisans, à part la question du canal de Villard-Reculas, soi-disant construit par eux, les étymologies de noms, etc., nous avons trouvé dans M. Roussillon (Guide du Voyageur dans l’Oisans, édité en 1854) une curieuse légende relatant la fin du dernier chef sarrasin dans l’Oisans. Ce chef, nommé Abdul-Jeid, défait par Roland, neveu de Charlemagne, qui, en peu de temps, ruina toutes ses forteresses, se réfugia avec tous ses trésors dans son château le plus fort et situé dans une île (les uns disent à Villard-Reculas, d’autres dans la plaine du Bourg). Là, Roland ne sachant comment le réduire, fit venir le nécromancien qui accompagnait son armée et lui promit la moitié des trésors d’Abdul s’il lui procurait le moyen d’aborder le château.
Le lendemain, un pont de feu unissait la rive aux créneaux du château ; les soldats de Roland, pleins d’ardeur, tuèrent tous les Sarrazins et les jetèrent dans le lac où Abdul avait fait précipiter ses trésors dès qu’il avait compris qu’il était perdu.
Le nécromancien parvint, parait-il, à reprendre les trésors, mais on le trouva un jour dans des rochers, la gorge brûlée, la face contorsionnée ; le diable avait pris possession de son serviteur.

Saint-Nicolas a aussi son prêtre enterré et dont la foi populaire fit un saint. Une vieille femme, une hallucinée, prétendait voir ce prêtre en habits sacerdotaux, debout sur le seuil de la chapelle, chaque fois qu’elle allait en pèlerinage à Saint-Nicolas.

Le lac Blanc, bien entendu, a son cortège de légendes. En voici une : il y a une mine d’or près du lac Blanc, mais l’entrée en est fermée par une porte de fer ; on croit qu’elle est placée en dessous du niveau de l’eau ; tous les ans, le 15 août, au moment de l’Élévation, pendant la messe, la porte s’ouvre spontanément et les personnes présentes peuvent entendre, pendant cette cérémonie, une grosse cloche sonnant à toute volée dans l’intérieur de la mine.
Peut-être cette légende présente-t-elle un fond de réalité : la porte en fer dont on soupçonnait l’existence de par la légende a été vue vers 1850, à la base du glacier du lac Blanc, pendant une saison où ce glacier s’était beaucoup retiré ; M. Chalvin m’a déclaré qu’il tenait ce détail d’une personne absolument digne de foi.

Nous avons encore le chien du Prince Ladre, qui aimait beaucoup son maitre et qui vient le pleurer et aboyer une fois par an, le soir de Noël, à minuit, juché sur les ruines de la tour. Comme le pense mon aimable correspondant, la chose est difficile à vérifier à Noël, à cette altitude.

Voici une dernière légende qui a cours dans plusieurs villages de l’Oisans ; elle a trait à la destruction ancienne des forêts et dénote une origine unique pour la plupart des versions connues, dont une des principales fait mention d’une reine, bossue, laide et cruelle qui, pour se venger de je ne sais quelle désobéissance de ses sujets montagnards, fit mettre le feu à toutes les forêts de ses états.

Une autre version, empreinte d’un véritable sens archéologique et dont on retrouve quelques facettes semblables en Belgique, dans une légende analogue, nous a été narrée, d’une façon naïve et poétique, un soir, sur le seuil d’un chalet du plateau de Paris, au moment où le soleil couchant auréolait les cimes de flamboyantes lueurs.

Une grotte (?) à Mizoën est appelée la Grotte des Nains : il y a bien longtemps (les Romains n’étaient pas encore venus), des hommes très bruns l’habitaient — c’étaient les restes de hordes ayant envahi le pays à une époque déjà reculée et très experts dans l’art de façonner les armes de toutes sortes. Ils vivaient grâce à leur industrie, qui faisait supporter leurs perpétuels pillages, car nuls mieux que ces nains ne savaient façonner de belles armes qu’ils échangeaient contre des provisions.
Un jour, une des naines, désolée de voir sa race diminuer rapidement, descendit en cachette au plus proche village, prit l’enfant d’une Gauloise, mit le sien à sa place et regagna la grotte commune, avec l’espérance d’apporter par ce troc un peu de sang nouveau dans sa tribu.
Au bout de trois jours, entendant toujours pleurer son enfant, furieuse, elle vint ramener le petit Gaulois, en reprochant à sa mère de n’avoir pas su le consoler, ce qu’elle-même avait bien su faire pour l’enfant qu’elle avait pris et elle regagna la grotte.
Les Gaulois prirent les armes, pourchassèrent les nains et, les ayant traqués et cernés, les tirent tous périr en mettant le feu à la forêt dans laquelle ils s’étaient réfugiés. Ce fut le commencement de la ruine de tous les bois du pays, car les dieux protecteurs des forêts, irrités de ce qu’on avait détruit leur plus bel asile, abandonnèrent la contrée qui fut dès lors rapidement dépouillée de ses immenses forêts.
Voilà pourquoi, de temps en temps, dans des fondrières de la Salse, dans les tourbières du plateau de Brandes, on trouve des troncs de bouleau ou de mélèze, alors que depuis des siècles les hauts plateaux n’en portent plus.

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