L’OISANS PAR HENRI FERRAND 1/3
Source : Grenoble, capitale des Alpes Française, par Henri Ferrand
Édition J. Rey Grenoble, ouvrage orné de 198 héliogravures, édition 1923.
(Graphie originale conservée.)
Sur le même sujet :
Note sur la grave et son canton par H. Muller
Minibio : Henri Ferrand (1853 – 1926), avocat, géographe, alpiniste et écrivain Henri Ferrand, grenoblois.
Fils de médecin, il a exercé le droit sans enthousiasme pendant 51 ans. Il se passionne pour la montagne et la promotion du tourisme dans la région du Dauphiné. Il fonde la section iséroise du Club Alpin Français en 1874, mais entre rapidement en conflit avec deux personnalités, Félix Perrin et Henry Duhamel, qui deviendront les rédacteurs du Guide du Haut-Dauphiné.
Par la suite, il devient membre puis président de la Société des touristes du Dauphiné qu’il dirige de 1910 et 1919. Il s’implique également dans diverses organisations, telles que l’Académie delphinale, la Société de statistique de l’Isère, la Société des bibliophiles dauphinois, la Société dauphinoise des amateurs photographes et la Société d’études des Hautes-Alpes.
Auteur de nombreux ouvrages notamment sur notre région : « Les Alpes du Dauphiné », recueil rassemblant quatre précédentes publications sur La Chartreuse, Belledonne et les Sept-Laux, L’Oisans et Le Vercors.
Contributeur à près de la moitié des articles sur les Alpes dans le grand dictionnaire géographique et administratif de la France de Paul Joanne. Il est considéré comme l’un des pionniers dans la publication d’ouvrages illustrés par la photographie. Son travail et son implication soulignent son rôle important dans la diffusion de connaissances sur les Alpes et dans la promotion du tourisme dans la région grenobloise.
L’OISANS
L’Oisans est, par excellence, la région montagneuse du Dauphiné.
Le point culminant de ses reliefs, était, avant l’annexion de la Savoie, le plus haut sommet de la terre de France, et autour de cette superbe Barre des Escrins (4103 m.), on a de la peine à dénombrer le régiment des pics de plus de 3000 mètres. Tous sont entassés les uns sur les autres, jaillissent comme des clochers des vallons étroits, sortes de ruelles, qui les séparent, resplendissent par leurs névés et leurs glaciers, ruissellent de torrents et de cascades. C’est un chaos étrange de rocs et de neiges, un monde fantastique dont l’aspect déroute l’oeil de l’homme habitué aux plaines.
L’ancienneté de son habitat se perd dans la nuit des temps, et les peuples, évidemment pasteurs, qui en furent les premiers colons n’ont pas laissé de chroniques, mais nos investigations curieuses en font commencer l’histoire à la conquête et à l’occupation romaines. En effet, pour relier la péninsule à son opulente colonie de Vienne, les maîtres du monde tracèrent au travers de l’Oisans, de Brigantio à Cularo, une de leurs belles voies militaires dont la Table de Peutinger nous a conservé les stations.
Hommage au talent de ces hardis pionniers, la route actuelle suit dans ses grandes lignes l’itinéraire romain, et si notre civilisation plus ménagère des pentes et douée d’un plus puissant outillage laisse le plus souvent sa devancière vagabonder sur les hauteurs, c’est bien par la même vallée, dans la même direction générale que nous passons aujourd’hui.
Au départ de Grenoble, après avoir franchi les premiers mamelons, restes pour la plupart d’anciennes alluvions glaciaires, nous arrivons au véritable pied des montagnes, à la petite ville de Vizille. L’ancien Castrum Vigilium gardait l’entrée des défilés, et il juchait ses murailles sur ce renflement si bien placé pour la défense où se voient encore les ruines du Château du Roi, les nécessités stratégiques en ayant toujours imposé l’emplacement.
Aujourd’hui, le touriste contemple à Vizille l’imposant château qu’avait fait construire pour sa cour, le vice-roi du Dauphiné, le connétable de Lesdiguières ; et, s’il est curieux des souvenirs artistiques du passé, il doit prendre le temps nécessaire pour donner au cimetière un coup d’oeil à la porte du Prieuré où un artiste inconnu a taillé une Sainte-Cène et un Rédempteur d’une émouvante beauté. Sur la route montante qui conduit à Laffrey, la chapelle de la Commanderie aujourd’hui désaffectée, mais intacte,’présente un spécimen bien complet du style roman.
Après avoir longé les murs du parc de Lesdiguières, et traversé le village industriel du Péage, la route parvient à un étranglement où se termine la petite plaine et où commence la Gorge de la Romanche.
Toujours grandiose dans son aspect général, ce corridor compris entre des parois de 1200 à 1500 mètres, abrite de multiples entreprises industrielles. La Romanche, dont le flot superbe l’animait, a paru aux ingénieurs un instrument propice, et maintenant, du seuil de la Véna à l’aval de Séchilienne, le torrent alimente successivement de nombreuses usines génératrices. Tantôt enfermé dans des conduits souterrains, tantôt capté dans d’énormes tuyaux de tôle d’acier, dont les noirs anneaux se déroulent comme des serpents gigantesques, il voit sa force asservie; une partie en est utilisée sur place, l’autre est transportée à distance.
En amont de Livet, après que la dernière prise d’eau ait été dépassée, on peut enfin voir sans obstacles la haute chaîne des Grandes-Rousses profiler ses rocs et ses glaciers sur le ciel.
Le corridor que l’on a suivi jusqu’alors, s’élargit et bientôt se fond dans une grande plaine, à l’altitude moyenne de 720 m., et dont tous les caractères annoncent l’existence d’un ancien lac. Ce fut le lac Saint-Laurent, fameux par sa débâcle et l’inondation de 1219, qui faillit détruire Grenoble, et dont l’existence avait forcé la voie romaine à se creuser dans le rocher l’encorbellement que l’on montre à Rochetaillée.
Aux deux tiers de la longueur de la plaine enserrée entre de formidables remparts, l’agglomération du bourg d’Oisans centralise le mouvement et l’activité de toutes ces montagnes. L’église, un peu relevée et jadis dénommée Saint-Laurent du Lac, est bâtie sur les fondations de la primitive basilique, et dans les gros murs des maisons qui l’avoisinent on montrait naguère les anneaux où s’amarraient les barques des pêcheurs du lac.
Après un trajet en plaine, garanti par les énormes jetées qui endiguent les colères de la Romanche et du Vénéon, la route aborde un second défilé plus long et plus grandiose que le premier. On est maintenant au coeur du massif, et la profonde coupure du torrent circule entre les contreforts des Grandes-Rousses (3473 m.), au Nord, et ceux de la Meijde (3982 m.), au Sud. La partie antérieure de ce défilé porte le nom de Gorges de l’Infernet ; plus loin, ce seront les Gorges de Malavalle, et c’est ainsi que le langage des gens du pays caractérise énergiquement la rudesse de l’habitat. De temps en temps, au-dessus d’escarpements effroyables, on aperçoit des terres cultivées, des maisons, un clocher, et on se demande, au coeur de la belle saison, comment des hommes peuvent vivre en ces lieux. Sur un plateau qui, à 1290 mètres environ d’altitude, interrompt un moment l’étroitesse de la gorge on traverse le village du Freney, puis quand on est repris par la montagne, on entrevoit de ci, de là, scintiller des coulées de séracs, des langues de glaces échappées de la vaste coupole du glacier du Mont de Lent.
A une centaine de mètres au-dessus de la chaussée actuelle de la route, on trouve, entre le Freney et le plateau de Bons, un fragment encore presque intact de l’ancienne voie romaine. Il attire notamment l’attention par un monument de simple et grande allure, la Porte Romaine, forée dans un éperon de la roche, et dont une moitié s’est malheureusement effondrée.
En amont et en aval de ce fragment, l’assiette de la voie est encore nettement reconnaissable sur un parcours de près de deux kilomètres, du Col du Chatelard au Calvaire du Mont de Lent.
Au-delà de la petite plaine du Chambon, la gorge de la Romanche prend un poignant caractère de sauvage désolation. La végétation arborescente n’a plus la force de s’attacher aux grands rocs, une seule plante prospère et abonde dans les rocailles, c’est la lavande parfumée dont les enfants offrent des bouquets à tous les passants.
Au sommet de ces murailles qui bornent la vue s’étendent des plateaux, des pentes pastorales dont les eaux s’épandent de droite et de gauche en d’admirables cascades, et bientôt apparaît vers le Sud-Est la pointe aigue de la Grande-Meidje.
C’est dans cet impressionnant décor que l’on aborde le petit bourg de la Grave. Bien que les hasards d’une délimitation ignorante l’ait attribuée au département des Hautes-Alpes, la Grave est en réalité la seconde capitale de l’Oisans. Accolé à ce prolongement des Grandes-Rousses, qui culmine ici au Signal de Goléon (3429 m.), un vaste plateau incliné au Midi descend des sommets vers le fond de la gorge. Son heureuse exposition le destinait à la culture et les villages le parsèment : le Chazelet, les Terrasses, les Hières, Ventelon, Pramélier, etc. Ils convergent sur la Grave qui en est le chef-lieu. Étagée vers 1526 m., au-dessus de la route sur laquelle s’ouvrent les hôtels, la Grave est le centre de l’alpinisme dans la haute vallée de la Romanche.
C’est de là que partent les ascensionnistes, non seulement pour le splendide belvédère du Goléon, mais pour l’émouvante aiguille méridionale d’Arves (3509 m.), et surtout pour la fameuse Meidje, dont la cime cuirassée de glaces, miroite à 3982 mètres d’altitude. Toute une pépinière de guides dans lesquels on remarque la dynastie des Pic, des Mathonnet, des Faure, etc., foisonne autour des hôtels Juge et Tairraz, et diplômée par la Société des Touristes du Dauphiné, peut conduire sur tous les points de l’horizon le grimpeur avide d’émotions et de passionnants spectacles.
À suivre…