L’OISANS PAR HENRI FERRAND 2/3
Source : Grenoble, capitale des Alpes Française, par Henri Ferrand
Édition J. Rey Grenoble, ouvrage orné de 198 héliogravures, édition 1923.
(Graphie originale conservée.)
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Note sur la grave et son canton par H. Muller
L’OISANS : Première partie,
Les promeneurs plus modestes vont, par une bonne route, jouir aux Terrasses d’un panorama plus étendu que celui qui se découvre déjà du cimetière, et s’ils poussent jusqu’aux Prés de Paris, où certains archéologues veulent retrouver la trace de la voie romaine, ils décupleront leur enchantement par une vue merveilleuse sur la chaîne entière des Meidje et du Rateau, avec les cascades de glaciers épandus à leurs flancs.
La grande route remonte encore pendant trois kilomètres, dont la moitié environ se déroule en tunnels, le cours de la Romanche, pour parvenir au village de Villard-d’Arène (1651 m.), et peu après, elle abandonne son sillon pour gravir en lacets la pente herbeuse qui l’encaisse à l’Est. Le torrent s’est infléchi au Sud, il ouvre entre la base des contreforts de la Meidje, à l’Ouest, et la masse de Combeynot, à l’Est, une perspective lointaine par laquelle l’ oeil va scruter ces dentelures de neiges et de rocs, qui sont les crêtes du Glacier-Blanc. Amèsure que l’on s’élève, le spectacle devient plus étonnant, et en un point du parcours, le splendide éventail de glaces de la Barre des Escrins se développe au-dessus de la barrière.
Mais ce n’est qu’un éclair, la route s’aplanit, les pentes de l’Aup-Richard ferment le tableau, et on arrive au Col du Lautaret (2072 m.). Sur ce col, où passait la voie romaine et où ses constructeurs pénétrés d’une émotion religieuse avaient élevé un petit temple, altaretum, d’où le nom de Col 1 de l’ Autaret corrompu en Lautaret, l’ancien temple est devenu un hospice, et cet hospice agrandi et amélioré, s’est transformé en un grand hôtel.
A perte de vue, s’étendent, comme piédestal des grands rocs de l’horizon, des moutonnements gazonnés sur lesquels croit une flore renommée, et les botanistes ont été les premiers à faire la réputation de cette station, pourvue maintenant d’un jardin alpestre.
Elle marque la limite véritable de l’Oisans, du bassin de la Romanche ; de l’autre côté, on arrive au Briançonnais, et nous sortons de la sphère d’attraction de Grenoble. Aussi, laissant la route, toujours adaptation actuelle de l’ancienne voie romaine, descendre la vallée de la Guisanne pour se hâter vers Briançon, laissant même la magnifique route du Galibier, sommes-nous obligés de revenir en arrière pour jeter un coup d’oeil sur une vallée latérale, qui enserre sur une autre face, ce colossal massif des Grandes-Rousses, dont nous venons de longer la base méridionale.
A l’issue de la première gorge de la Romanche, à l’entrée de la plaine du Bourg d’Oisans, nous avons laissé à gauche un vallon pittoresque, par lequel arrivait à la Romanche l’important tribut de l’Eau-d’Olle.
Vers le confluent des deux torrents, se dresse sur un piton ensoleillé, le petit village d’Allemont. A ses pieds, dans le rétrécissement de la plaine, nous voyons de grands bâtiments autour desquels s’est groupé un hameau : c’est la Fonderie, ancien établissement métallurgique aux fortunes inconstantes et diverses, où l’on a essayé à plusieurs reprises, de traiter les minerais argentifères extraits du gisement des Challanches distant de quatre heures de marche dans la montagne. La gorge que commande Allemont semble être le prolongement géologique de la gorge de la Romanche, car, comme elle, elle suit la base orientale de la première chaîne des Alpes dauphinoises, et elle va dans tout son parcours séparer les cîmes de Belledonne et des Sep-Laux, de la face occidentale des Grandes-Rousses.
La route qui la dessert, se tient au niveau de l’Eau-d’Olle jusqu’à ce qu’elle ait détaché à l’Est les embranchements qui conduisent à Oz et à Vaujany, gracieux villages étagés sur les flancs des Rousses, puis, dans un défilé qui se resserre, elle s’élève par une forte rampe pour atteindre vers 1300 mètres d’altitude, le hameau du Rivier-d’Allemont, centre secondaire d’où rayonnent les chemins du Pas-de-la-Coche et des Sept-Laux, et les accès plus ardus de la Belle-Étoile et du Col de la Vache.
Le ruisseau qui dégringole des Sept-Laux, par une superbe cascade, marque l’entrée d’un bizarre corridor qui prend fin à l’arrivée à la Grand’Maison. Ici, on arrive dans la haute montagne, dans la région pastorale qui domine partout dans nos Alpes les premières pentes, et la Grand’Maison est un très ancien établissement de bergers. De là, jusqu’à la fin de la vallée, jusqu’aux sources de l’Eau-d’Olle et aux limites de son bassin, Col du Glandon et Col de la Croix de Fer, on parcourt en pentes modérées un vaste berceau de prairies, où s’élèvent, de distance en distance, des villages de chalets, les Quatre-Maisons ou Rifclaret, le Soleil, Arclaret, le Plan du Col, les Ribauds, etc.
On est ici au pied des plus hautes crêtes de l’une et l’autre chaîne, mais comme toujours, leurs premiers épaulements les dérobent à l’oeil, et l’on aperçoit seulement par l’échancrure de la Grand’Maison, les glaciers et les pics de la Cochette (3270 m.), satellite septentrional de l’Étendard, le point culminant des Rousses (3473 m.), et au-dessus des Quatre-Maisons, les dentelures de l’Argentière.
Tout près du Col du Glandon (1980 m.), qui donne sur la vallée des Villards aux chatoyants costumes, le Club Alpin a fait édifier, à 1960 mètres, un petit hôtel qui sert de centre pour l’exploration des montagnes environnantes. Sans peine et sans fatigue, par un sentier dans les prairies, on gravit la cime de l’Ouglion (2456 m.), belvédère admirable sur les vallées de la Maurienne qui s’étendent à ses pieds, sur les trois Aiguilles d’Arves, le grand glacier de Saint-Sorlin et l’Étendard, ainsi que sur tout le revers oriental des montagnes d’Allevard.
La route se poursuit encore pendant trois kilomètres, pour atteindre le Col de la Croix de Fer (2062 m.), qui donne accès à la vallée d’Arves, et à tous ces charmants paysages de la Savoie méridionale.
Mais les Grandes-Rousses que nous avons ainsi visitées sur leur deux principales faces, s’imposent encore à notre attention sur un autre point. En face du Bourg d’Oisans, les émissaires d’une partie importante de leur glaciers occidentaux et méridionaux, se réunissent pour former la puissante cascade de Sarène. Le vallon dont elle est issue, remonte à la Garde, où l’on a signalé des vestiges romains, au vieux village d’Huez, et par lui à une région aujourd’hui pastorale sur laquelle planent des traditions étranges et des souvenirs historiques. C’est la montagne et la ville de Brandes. Là fut, à plus de 1800 mètres d’altitude, le centre d’une exploitation minière importante qu’attestent des montagnes de débris et d’immenses galeries, la plupart aujourd’hui effondrées et inaccessibles, qui purent encore être parcourues et décrites par le savant Héricart de Thury, au commencement du xixe siècle. La tradition en impute aux Romains la découverte, et l’exploitation intensive. L’Histoire nous certifie qu’au temps des Dauphins elles fournissaient un revenu important. Après de nombreux fonds de cabanes et de déchets de la mine, on voit encore sur un éperon rocheux appelé Lou Montossa, les ruines d’une tour aux murs épais et entourés d’un fossé profond, que l’on désigne sous le nom étrange de Tour du roi Ladre, et qui était la résidence du gouverneur des Mines. Les filons qui paraissent avoir été assez riches étaient épuisés dès le xve siècle, et la mine abandonnée est devenue comme il est d’usage le thème de légendes fantastiques. L’Oisans fourmille ainsi de gisements des minerais les plus divers, mais dont la fragmentation et la difficulté d’accès prohibent toute exploitation fructueuse.