L’Oisans par Henri Ferrand 3-3

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La Grave avec vue sur la Meije

L’OISANS PAR HENRI FERRAND 3/3

Source : Grenoble, capitale des Alpes Française, par Henri Ferrand
Édition J. Rey Grenoble, ouvrage orné de 198 héliogravures, édition 1923.
(Graphie originale conservée.)

Sur le même sujet : 
Note sur la grave et son canton par H. Muller

L’OISANS :  Première partie, Deuxième partie

Les hautes régions
La Bérarde et la Vallouise. — Les glaciers du Pelvoux.
La Meidje et les Écrins.

Le massif du Pelvoux est la citadelle de l’Oisans. Sa constitution orographique en forme deux fers à cheval accolés, une sorte d’X, où se juxtaposent en un hérissement de dentelures les pics les plus élevés et les plus ardus de la terre dauphinoise.
Ses accès principaux sont à l’Ouest, la vallée du Vénéon, avec Saint-Christophe et la Bérarde pour centres, et à l’Est, la vallée de la Gyronde, plus communément dite la Vallouise. Deux accès secondaires se prennent entre les branches de l’X, au Nord, par le vallon de l’Alpe (Haute Romanche), au Sud, par le Val Gaudemar.
C’est à l’extrémité méridionale de la plaine de l’Oisans qui semble en être le prolongement naturel, que s’ouvre la vallée du Vénéon. Le confluent de ce torrent et de la Romanche élève un cône de déjection largement étalé, sur lequel s’entassent les fragments arrachés à tous les sommets du massif.
L’ancien chemin le côtoyait sur la rive gauche, constamment exposé aux éboulements des contreforts du Rochail. La route serre au contraire, sur la rive droite, la base des escarpements du Ferrarey. Un premier hameau se rencontre aux Ougiers. Un pont pittoresque, sur le Vénéon, nous invite à passer sur la rive gauche ; si l’on cède à cette curiosité, on n’est point déçu, car derrière la digue se trouve le Lac Lauvitel, étang d’émeraude où se réfléchissent les glaciers de la Brèche de Valsenestre et du Clapier du Peyron, véritables bijoux de l’Oisans.
En remontant la vallée principale, on voit à une inflexion de la gorge se profiler dans le ciel une haute pointe toute tapissée de glaces : c’est l’Aiguille du Plat de la Selle qui porte à 3602 m. sa tête altière. Un court défilé rocheux précède l’épanouissement où Venosc chauffe ses terres au soleil. Vieux village, au nom bizarre, il groupe ses maisons vers le bas de la pente douce et ensoleillée, qui conduit au Col de l’Alpe. La nouvelle route le laisse à l’écart, et transporte le mouvement et l’importance à son ancien faubourg, Bourg d’Aru. Ce nom qu’il est inutile de compliquer en Bourg d’Arud, a une origine bien claire dans la langue locale, c’est le bourg du ru, du ruisseau, et en effet, il s’est formé autour du pont qui donne accès à la vallée supérieure.

On est ici au pied d’un ressaut formidable, qui fut sans doute avant l’histoire, le théâtre de quelque catastrophe oubliée, de quelque colossal écroulement. Un amoncellement de blocs barre la vallée et chevauche même parfois sur le torrent. C’est le Clapier de Saint-Christophe qui offre aux yeux du touriste le spectacle de la désolation. Comme de tout temps, il n’y avait pas d’autre accès vers le fond de la vallée, l’ancien chemin s’y insinuait, rampant entre les roches et utilisant même l’une d’elles pour franchir le torrent. La nouvelle route s’y est violemment frayé un passage par la mine, et elle arrive par deux grands lacets à l’étage supérieur, au Plan du Lac. Il n’y a plus rien ici des grâces et des verdures de la Chartreuse et du Vercors : c’est l’âpre nature de l’Oisans dans toute sa rudesse. Un petit plateau allongé, ancien lac desséché à une époque relativement récente, est ravagé par les divagations du torrent. De part et d’autre s’élèvent des pentes de rocailles et d’éboulis stériles ; la note de beauté est donnée par la Tête des Fétoules, qui dresse dans le fond du tableau, sa double crête blanche.

Au travers de ces éboulis, la route a cherché une assiette bien instable, et après le site des Fontaines-Bénites et la coupure du Pont-duDiable, elle atteint le petit plateau de Saint-Christophe. L’église blanche précède et annonce cette agglomération qui est le chef-lieu de la plus vaste commune de France. On est à l’altitude de 1470 m., les terres sont rares et pauvres, la récolte dure à préparer est maigre, aussi les habitants ont-ils cherché le plus clair de Jeurs ressources dans l’élevage des troupeaux.

C’était une imprévoyance : la montagne ruinée par la dent vorace et le pied pins meurtrier encore des moutons et des chèvres s’est ravinée, l’ancien chemin muletier aux capricieuses inflexions qui après avoir passé au-dessus des Granges, de Bernardière, du Clot et auprès de Champ-Ebran, atteignait le redan où s’accrochent les trois maisons de Champforant.
Plus rationnellement tracée, elle écharpe quelques terres au niveau du village puis se taille en encorbellement au-dessus de l’abîme où se brise le Vénéon. Cet étranglement dépassé, elle continue de découper les fortes pentes des contreforts de l’Aiguille du Plat de la Selle, les pâturages ont été emportés, et la région avoisinante offre partout un sauvage spectacle. Heureusement, le goût des ascensions et la vogue de l’alpinisme sont venus apporter une nouvelle source de profit à ce pays éprouvé, et c’est un centre de vie alpine aussi important que la Grave.
Les Gaspard, les Roderon, les Rodier, les Turc font souche de guides et de porteurs, et dans la belle saison, il est urgent de prévenir à l’avance pour s’assurer leur compagnie.
En 1920, la route, depuis longtemps commencée, a été poursuivie jusqu’à la Bérarde. Elle remplace et bientôt rejoignant le vieux chemin, elle aborde le petit berceau où se terrent les Étages.

En approchant de ce pauvre hameau, le voyageur voit subitement se dresser devant lui le colosse des Escrins. La fine pointe neigeuse apparaît à peine, et le tableau se forme surtout de la sombre masse du Pic Lory (4083 m.), surmontant les oreilles de chat de Pié-Bérarde, et les crêtes de la Vera Pervoz. Peu à peu, ces masses noirâtres se rapprochent, elles grandissent, elles cachent tout l’horizon, et quand on arrive à en toucher la base au milieu des flots écumeux du Vénéon, on est à la Bérarde (1738 m.).
Simple hameau de bergers, ainsi que l’indique son nom, la Bérarde est devenue la cité sainte de l’alpinisme en Oisans.
C’est de l’hôtel qu’y a fait construire la Société des Touristes du Dauphiné que partent les conquérants de tous les grands pics : c’est là que gitèrent les pionniers des premières ascensions, les Boileau de Castelnau, les Coolidge, les Duhamel, etc., et dans ce lieu où ils n’arrivaient qu’au prix d’un effort préliminaire déjà méritoire, les autocars déversent maintenant le flot des touristes venant jouir à la Bérarde du plus grandiose des spectacles.

Des pierres et des rocs, au milieu desquels se distinguent à peine les chaumières du village, des torrents furieux et des pans de glacier composent le paysage dont la détresse est poignante. Le cirque de la Bérarde vient d’être récemment classé comme Parc National ; sous la tutelle avisée de l’administration forestière, la nature aura bientôt pansé toutes ses blessures.
Deux vallons supérieurs y convergent : au Nord, le val des Étançons, au Sud, le vallon de la Pilatte et chacun d’eux possède des tributaires d’importance, comme le vallon de la. Bonne-Pierre et le vallon du Chardon.
Le val des Étançons prend naissance au pied de la muraille méridionale de la Meidje (3982 m.), et c’est par là que s’élança en 1877 le premier vainqueur de la terrible pointe, M.Boileau de Castelnau, conduit par deux enfants du pays, le père et le fils Gaspard.
Ce val communique avec la Grave par la Brèche de la Meidje, élégant passage à 3300 m. d’alt., avec le Villard d’Arène par le Col du Pavé (3495 m.) ou celui plus commode du Clos des Cavales (3128 m.). Son affluent, le vallon de la. Bonne-Pierre donne par le difficile col des Escrins (3415 m.) accès à la face septentrionale de la Barre des Escrins (4103 m.) et à la vaste conque du Glacier Blanc. Quant au vallon de la Pilatte qui sert d’accès à la Barre des Escrins (4103 m.), à l’Aléfroide (3959 m.), aux Bans, aux Rouies, etc., il donne passage vers la Vallouise par les cols de la Temple et du Sélé et vers le Val Gaudernard par ceux du Chardon et du Says.

Un belvéder, d’un accès rendu facile, la Tête de la Maye (2522 m) permet d’embrasser dans un merveilleux panorama, l’étoilement de ces vallées et leur couronnement de cimes. Il y a là un spectacle d’une incomparable grandeur, et cette nature sauvage, où les rocs déchiquetés s’harmonisent avec les glaces et les cascades, seule végétation qui les diapre, produit une impression inoubliable.
La ligne de faîte est aussi une ligne de démarcation, de caractère et de couleur. On s’en aperçoit bien vite en franchissant le Col de la Temple, cet ancien passage qui, perdu après avoir été longuement pratiqué, ne fut retrouvé qu’en 1844 par un chasseur de chamois.
Certes, la métamorphose n’est pas brusque, et lorsqu’après avoir passé la crête on descend par des parois abruptes dans l’entonnoir au fond duquel on va rejoindre le Glacier Noir, on est bien encore dans l’empire des rocs. Mais la masse arrondie du Pelvoux (3954 m.), qui se profile devant les yeux paraît moins sévère, elle s’irradie d’une lumière plus chaude, et l’on sent que l’on se trouve sur le versant du soleil.

Le long, bien long corridor du Glacier Noir, resserré entre les masses du Pic Coolidge (3756 m.), et des Escrins à gauche, et celles de l’Aléfroide et du Pelvoux à droite, prend fin au replat ironiquement dénommé Pré de Madame Carle, où quelques mélèzes miraculeusement conservés nous donnent un avant-goût de la Vallouise. À l’issue de ce petit plateau, les vieilles moraines qui encaissent le torrent de Saint-Pierre, se recouvrent d’une végétation luxuriante, et c’est dans un décor où la grâce s’essaie à tempérer l’austérité que l’on parvient au plateau d’Aléfroide, commencement de la Vallouise riante.
La combe qui s’était formée de la réunion du Glacier Noir et du Glacier Blanc, se rencontre ici avec la combe de Celse-Nière, qui vient du Col et du Glacier du Sélé et recueille les eaux descendant des flancs méridionaux du Pelvoux. Leurs apports réunis ont formé un plateau, Glacier de Bonne Pierre et Muraille de la Barre des Escrins.
Sédiment sans doute d’ancien lac, qui se recouvre d’un épais gazon parsemé de bosquets de mélèzes. Le contraste est charmant entre cette verdure et les roches noirâtres du Petit Pelvoux qui la dominent.
Un village de chalets et un petit hôtel animent cette oasis à laquelle il ne manque que d’être plus connue pour être envahie.
Maintenant, la vallée se resserre en une magnifique forêt de mélèzes au travers de laquelle le chemin décrit ses méandres, et le torrent du Gyr précipite ses cascades.
Cet enchantement paraît trop court, quand on arrive au bas de l’étage, au village des Clots, dans la Vallouise plantureuse, à la rencontre du vallon de l’Échauda.

Un long berceau largement évasé, ouvert aux bienfaisants rayons du soleil, réunit, à une hauteur moyenne de 1200 mètres, les villages et les cultures de la Vallouise. À la suite des Clots on traverse Saint-Antoine, le Sarret, le Poêt, groupés en une commune sous le vocable du Pelvoux. Les maisons larges, bien bâties, avec de vastes auvents et des balcons orientés au midi, respirent un air d’aisance. Après Rière-Pont, on traverse le torrent qui devient la Gyronde, et on arrive au chef-lieu de la vallée, à la ville, Ville-Vallouise.

La campagne est riante, les prés sont verts, les eaux joyeuses ; à mi-hauteur, la terrasse des Alberts offre ses charmes, et une belle forêt de sapins couronne l’arête de la montagne qui vient fermer en quelque sorte ce gentil paradis de Vallouise. Puis, la petite plaine s’infléchit vers les Vigneaux, elle se resserre, se transforme en gorge, et le charme s’évanouit, car ce n’est plus qu’un coteau rocailleux qui se déverse dans la rocailleuse Durance.
Les deux principaux versants du grand massif ont ainsi des allures nettement différentes, la vallée de la Bérarde plus grandiose, celle de la Vallouise plus gracieuse ; celle-ci est d’ailleurs la note exceptionnelle de cet ensemble des hautes régions, car les deux versants secondaires, le bassin de l’Alpe et le Val Gaudemar, participent à l’austérité de la vallée du Vénéon.

Cette austérité impressionnante pour le visiteur a pour les initiés, pour les véritables alpinistes un charme qui les entraîne à braver les plus grands dangers. À l’ascensionniste, il faut l’ivresse de gagner l’espace : les pics les plus ardus, les plus élevés sont ceux qui enflamment le plus de convoitises ; la glorieuse muraille de la Meidje, l’imposante Barre des Escrins, la couronne des pics innombrables des massifs du Pelvoux et des Escrins lui offrent l’attrait des escalades les plus difficiles, les plus célèbres.

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