Une fois la porte fermée, Julie qui a encore un peu d’énergie, sort le carnet. Elle nous lit rapidement le message que Georgina a écrit:
– Ce que je redoutais, est arrivé. Vous voilà prisonniers du monde imaginaire. Je vous avais recommandé pourtant de ne pas toucher au tableau. Petits insensés ! Tout de suite j’ai su où vous étiez, car sur le tableau, le personnage avait disparu. Il s’agit d’un coquin redoutable dont vous devez particulièrement vous méfier, mes pauvres enfants. Une fois sortis de la forêt, rejoignez le village d’Armoncour. Vous devez prendre contact avec le savant fou qui vous indiquera le chemin menant au Maître de Vie. Lui seul a le pouvoir de vous ramener dans le monde réel…
Julie suspend sa lecture.
– C’est tout ? demandé-je.
– Oui c’est tout, répond Julie. Les pages suivantes sont blanches.
Malgré l’importance de la situation et la lecture de Julie, nos yeux papillonnent et, nous ne tardons pas à sombrer dans un sommeil irrépressible.
Je vois même Julie s’étendre comme nous. Peut-être résiste-t-elle dans un premier temps à la tentation de dormir. Peut-être garde-t-elle les yeux grands ouverts, cherchant à comprendre la situation et à démêler les fils d’une aventure engagée malgré nous et dont ma curiosité m’a rendu néanmoins responsable.
Toujours est-il qu’à notre réveil, nous avons une sensation désagréable.
Tout d’abord, nous nous réveillons comme si nous étions au cœur de la nuit et allongés sur de mauvais matelas humides et malodorants. Nous frissonnons car l’air est glacial. De plus cela sent le moisi d’une cave mal aérée.
Nous regardons, éberlués, autour de nous, sans rien distinguer.
Sommes-nous dans le rêve du rêve?
Par quel tour de magie sordide, avons-nous quitté une chambre confortable à l’étage pour nous retrouver dans les fondements immondes de la maison de Robert le Sournois ? Nous pensons être dans les oubliettes d’un château, des oubliettes pour faire disparaître les gens !
Décidément l’aventure prend une tournure sinistre et inquiétante.
Certains d’entre nous se mettent à geindre. Moi-même, je n’en mène pas large. Julie se révèle encore une fois à la hauteur. Elle nous rassure, d’un ton qui se veut serein : nous sommes ensemble, en bonne santé. Nous devons, pour commencer, explorer notre nouvelle et misérable demeure afin d’en sortir. Nos yeux s’habituent à l’obscurité. Au plafond, une lucarne diffuse une faible lueur.
Nous devinons une porte qui semble terriblement massive.
Effectivement, quand nous tapons avec nos petits poings pour demander, naïvement, que l’on veuille bien nous ouvrir, tout au plus un bruit sourd répond à nos martèlements dérisoires. Mais cela doit suffire car le bruit d’une petite ouverture en bois qu’on tire d’un coup sec se fait entendre et une voix connue, nous jette ironiquement :
– Qu’est-ce donc, qu’est-ce donc, ce bruit infernal ? Mes jeunes amis se sont-ils bien reposés ? Que puis-je faire pour vous être agréable ?
– Vous êtes un vilain personnage. Vous nous avez trompés. Pourquoi sommes-nous enfermés ici ? demande Juliette d’une voix mal assurée.
– Oh ! Voilà comment vous me remerciez de mes largesses, en m’écorchant les oreilles : vilain, vilain, voilà qui est vite dit. Je pourrais par exemple, être bon prince, en vous redonnant la liberté en échange… Hum ! Hum ! En échange… Disons de ce précieux carnet. Il chuchote pour les deux derniers mots, comme pour nous faire comprendre que sa demande est presque anodine. Elle n’en est pas moins au cœur de la transaction qu’il nous propose.
Avant même nous avoir concertés, Julie déclare fermement qu’il n’en est absolument pas question.
– Alors tant pis pour vous ! fait-il d’une voix devenue subitement aigre. Je vous laisse réfléchir au frais. Bonne nuit!
La petite fenêtre de bois se referme sèchement, nous coupant du monde.
Et bien, nous voilà dans de beaux draps, pensé-je.
Anaïs se met à pleurer tout doucement et dit à travers ses larmes :
– Pourquoi tu ne lui as pas donné ce carnet ? Nous serions dehors maintenant !
Ce à quoi Julie rétorque :
– Rien ne prouve qu’après lui avoir remis le carnet, il nous aurait ouvert la porte.
Voilà, nous sommes retenus prisonniers dans le plus horrible des endroits. Comment se sortir de ce mauvais pas ?
Je n’ai plus confiance en Robert le Sournois, réflexe de méfiance après la période euphorique et confiante. Je dis à voix basse :
– Peut-être que Georgina nous donne une solution dans son carnet. Nous n’avons pas tourné toutes les pages.
– J’ai regardé, soupire tristement Julie en brandissant le carnet qui soudain se met à briller étrangement. Julie l’ouvre immédiatement à la page où elle avait arrêté sa lecture.
Une lumière mystérieuse et magique (car nous avons un carnet magique entre les mains) permet de lire le passage qui nous sera utile. Il y est écrit:
Julie, toi qui as une si jolie voix, chante:
Je suis une plume d’ange
Enténébrée par malheur
Dans les abîmes glacials
Viendrez-vous me délivrer?
Pour que je puisse au grand jour
Vous écrire de doux poèmes.
Julie a une voix cristalline que l’on peut entendre de très loin, pour peu que l’on ait l’oreille musicale.
Nous restons bouche bée, attendant un prodige quelconque, qui ne peut que venir.
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