1914 Le parc des Écrins, un exemple à suivre…

Vallée du Vénéon, photo d’illustration

   1914 LE PARC DES ÉCRINS, UN EXEMPLE À SUIVRE…

Source : Gallica
Revue :
Le Miroir
Éditeur : (Paris)
Date d’édition : 25-01-1914

La Meije est une des plus hautes cimes des Alpes françaises. En tout cas elle est une des plus difficiles à gravir. Du village de La Grave qui se trouve à son pied dans la vallée de la Romanche, elle offre un aspect comparable à celui du Matterhorn vu de Zermatt. Près du sommet se trouve un des passages les plus dangereux que connaissent les alpinistes, et il est indispensable d’y faire un rétablissement au-dessus d’un abîme vertigineux.

À près les États-Unis d’Amérique et la Suisse, la France va avoir son parc national. Je veux dire qu’on va créer sur plusieurs milliers d’hectares, en Dauphiné, une réserve pittoresque qui sera sauvegardée minutieusement contre les atteintes de l’industrie et contre tout vandalisme.

[…]

La création du parc national du Dauphiné est une idée qu’on ne saurait trop approuver, car elle constituera enfin un progrès dans la défense des merveilles pittoresques de la France. La Suisse a su aménager ses Alpes avec un art admirable. j’entends qu’elle les exploite avec une ingéniosité raffinée. Il n’est pas un coin de ses cantons dont elle n’ait fait connaître les particularités à grand renfort de réclame et où elle n’ait su attirer le public qui va généralement là où on l’appelle.
Notre parc national s’étendra sur une région qui est en apparence une des plus déshéritées de France, mais qui renferme, sur une superficie restreinte, quelques-uns des plus saisissants aspects du continent européen. l’entrée de cette région —, la vallée du Vénéon — est le Bourg-d’Oisans, petite localité du département de l’Isère.
Pour y aller, on prend, à Grenoble, un chemin de fer départemental qui suit les défilés vertigineux de la Romanche à plus de 2000 mètres au-dessous des sommets, mais malheureusement le cours de la Romanche est déjà obstrué de place en place par de grands travaux d’art, car la captation des chutes, qui a donné, d’ailleurs, de fort beaux résultats, a été activement pratiquée dans ce bassin.
Au bout de deux heures de parcours, on arrive à une plaine très large plantée de beaux arbres et que les montagnes encadrent de tous côtés. le massif des Grandes-Rousses, qui sépare la Romanche de l’Isère, attire l’œil avec ses cimes couvertes de neige ; en face d’elles s’érigent les grands sommets de l’Oisans qui vont être compris dans le nouveau parc national.
On pénètre dans ce parc par une mince faille qui circule dans un énorme massif de rochers et de glaciers et qui s’ouvre au débouché de la plaine du Bourg-d’Oisans.
Jadis, on n’y cheminait que par un sentier de mulets qui épousait, les rudes contours de la vallée du Vénéon. Des descentes à pic succédaient à des montées soudaines. Une route qui serpente à travers les « clapiers », c’est-à-dire les accumulations de pierres énormes, a remplacé ce sentier. Autrefois aussi les malheureux villages qui s’échelonnaient sur les terrasses du Vénéon et dont les principaux sont Venosc et Saint-Christophe-en-Oisans, manquaient d’hôtels. Des voyageurs, qui étaient rares, y dormaient plus ou moins bien, plus ou moins mal, dans des granges, et s’y contentaient de provisions rudimentaires, de pain parfois vieux d’une huitaine. Maintenant, des hôtels ont été édifiés ; le Club alpin et la Société des touristes du Dauphiné ont planté à la lisière des glaces des chalets solides et où l’on jouit sinon du confortable, du moins du nécessaire.
Mais quelles admirables perspectives !
Ceux qui ont vu les roches sauvages des Fétoules plaquées de neige s’envoler dans le ciel bleu ou l’aiguille du Plat surgir de son bassin de roches noires en une vertigineuse poussée, où le cirque neigeux de la Bérarde avec la Barre des Écrins, la Meije et les autres grands sommets qui leur font cortège se disent que ni la Suisse ni le Tyrol n’offrent des visions supérieures.
Ce parc national contiendra des pics qui atteignent et dépassent 4.000 mètres et qui comptent parmi les plus difficiles à gravir qu’il y ait au monde. La Barre des Écrins a été vaincue deux ans avant le Cervin par le célèbre grimpeur anglais Whymper qui fit le premier le sinistre Matterhorn de Zermatt. Dix ans après que le pied humain eut foulé le Matterhorn, un de nos compatriotes, un Nîmois, atteignit l’arête supérieure de la Meije. Que de victimes a faites cette montagne ! On peut en calculer le nombre lorsqu’on visite le cimetière de Saint-Christophe-en-Oisans. Encore aujourd’hui et quoique les passages qui conduisent à l’une des pointes maîtresses de la Meije, le Doigt-de-Dieu, soient bien connus, les guides ne s’y aventurent pas de gaieté de cœur. De là-haut, on domine un des horizons les plus fantastiques qu’il y ait dans l’univers.
Le parc national comprendra toute une série de glaciers parmi lesquels les plus beaux de la France. Celui de Mont-de-Lans, qui pend littéralement au-dessus de la vallée de la Romanche, peut lutter avec la Mer de Glace de Chamonix et avec le glacier d’Aletsch, en Suisse. Les cascades sourdent de toutes parts dans la vallée du Vénéon, mêlant leurs grondements aux tonnerres des avalanches.
Dès maintenant et grâce à la rudimentaire publicité qui a été faite, l’Oisans attire des milliers de visiteurs chaque année, mais ces milliers deviendront des dizaines de milliers lorsque l’aménagement du parc national aura encore stimulé la curiosité, facilité la visite et surtout refréné les dévastations, le vandalisme qui est à redouter ici comme partout. Il faut que ces montagnes ne soient pas éventrées, que ces glaciers demeurent intacts, que ces cascades ne soient pas détournées de leur lit. Toute cette région va être mise sous la protection de l’État, c’est-à-dire qu’on n’y touchera plus impunément et que l’aspect naturel des lieux ne pourra plus être modifié au gré des caprices individuels.
Ce n’est point tout l’Oisans contient une flore précieuse, une flore alpestre qui, malheureusement, risque d’être anéantie parce que les curieux, sans souci de l’avenir, arrachent les plants et emportent les bulbes.
Des pénalités seront établies pour empêcher que les espèces rares ne soient à jamais anéanties. Et la faune elle-même ne sera pas moins protégée. Des chamois et les marmottes pourront respirer et se reproduire en paix, vivre en sécurité, sans avoir à redouter la mort ou la capture.
On ne saurait trop applaudir, répétons-le, à ce programme du parc national. De toutes parts, au surplus, d’autres régions demandent à être protégées et à bénéficier aussi, comme l’Oisans, de la visite des touristes. Nos Pyrénées, notre Plateau Central, nos Vosges, notre Jura, pour ne citer que ces parties de notre territoire, ne sont pas moins dignes d’attention que nos Alpes. Croyez-vous qu’on ne pourrait pas utile ment, pour prendre des exemples, convertir en parc l’admirable vallée du gave de Pau qui s’infléchit du fameux cirque de Gavarnie vers Saint-Sauveur et Ruz et qui reçoit à Gèdre un affluent descendant du cirque non moins fameux de Troumouse.
Des pics du Marboré, chantés par Vigny, composent un dès plus beaux ensembles alpestres que l’on puisse voir.
Dans notre Auvergne, dans les causses qui s’adossent aux monts de la Margeride et de l’Aigoual, les districts du Eioran et du Falgoux avec le cratère Central du Cantal et les canons du Tarn, d’Espagnac au Rozier, mériteraient un égal honneur.
De lac de Nantua, trop peu connu, dans notre Jura méridional, et plus pittoresque à coup sûr que les lacs jurassiens du versant suisse et pourrait, être également assimilé, avec ses bords, à une réserve artistique.
Et on demanderait légitimement le même régime pour la vallée vosgienne, qui descend du lac de Retournemer au lac de Gerardmer et qui offre, avec des escarpements de granit superbes, quelques-unes des plus belles forêts de sapins qu’il y ait en Europe.
Des États-Unis, en créant jadis la réserve du Yellowstone, dans les Rocheuses, avaient donné un excellent exemple. Là se trouvent des gorges célèbres, des terrasses d’obsidienne et des forêts pétrifiées sans égales dans le monde. Il y a deux ans, la Suisse instituait son parc des Grisons.
Notre tour est venu. Sachons faire connaître la France aux étrangers.

Photos illustrant l’article. 


LE VILLAGE DE SAINT-CHRISTOPHE
Saint-Christophe-en-Oisans est un village, jadis misérable, et qui est appelé à un grand avenir. Il est le centre même du parc national sur un chemin qui va de Bourg-d’Oisans à la Bérarde et prendra certainement beaucoup d’importance. De grands hôtels doivent y être construits.

LES MERVEILLES DE LA VALLÉE DU VÉNÉON
Le Bourg-d’Oisans est un chef-lieu de canton du département de l’Isère, situé à plus de sept cents mètres d’altitude. C’est de cette localité que les touristes parleront en voiture pour se rendre au parc national, c’est-à-dire dans la magnifique vallée du Vénéon. Avant d’atteindre cette région en apparence déshéritée, mais qui renferme des sites grandioses, trop ignorés, on a eu le temps d’admirer, du chemin de fer, entre Grenoble et Bourg-d’Oisans, les défilés vertigineux de la Romanche. Le cours de cette rivière est coupé de cascades superbes comme celle de Sarennes, dont nous donnons ici une photographie. Malheureusement, une grande partie de cette « houille blanche » a déjà été utilisée ; de grands travaux d’art sont édifiés, qui captent l’eau des chutes pour le plus grand profil de l’industrie elle regret des voyageurs. Nous donnons ici deux aspects de la vallée du Vénéon et de la Romanche. On distingue au fond les sommets neigeux des Pétaules. Désormais, ces splendeurs naturelles seront ingénieusement exploitées selon la méthode qui a si bien réussi en Suisse. Il était difficile d’y accéder et surtout d’y vivre confortablement. Rien ne sera négligé : hôtels, voies de communication, etc., pour attirer les touristes.

LE GLACIER DU MONT-DE-LANS
Entre autres merveilles peu connues et dignes pourtant d’attirer, en été, les voyageurs, le parc National contiendra des sommets dépassant 4.000 mètres et excessivement difficiles à atteindre. Le pic de la Meije, notamment, compte parmi les plus célèbres des Alpes. Son ascension, qui a été faite pour la première fois en 1875, est l’une des plus difficiles et des plus périlleuses que l’on connaisse. En 1883, un alpiniste s’y tua en faisant une effroyable chute de 1.200 mètres. Les glaciers ne sont pas moins remarquables. Celui du Mont-de-Lans, qui semble suspendu au-dessus de la Romanche, peut être comparé à la fameuse Mer de Glace. À l’époque de la fonte des neiges, des glissements formidables se produisent à cet endroit. L’eau sourd de toutes parts, décrivant dans les airs des gerbes gracieuses avant de s’abattre dans la vallée du Vénéon en gigantesques éclaboussures, tandis que des avalanches roulent, culbutent et s’écroulent sur les rochers avec un bruit de tonnerre, arrachant des arbres dans leur chute et entraînant de lourdes pierres. Grâce à la protection de l’État, nulle main sacrilège ne pourra désormais attenter à la beauté de ces chefs-d’œuvre de la nature.

UNE CASCADE DANS LA VALLÉE DU VENEON
Cette vallée qui a une trentaine de kilomètres de long descend par des rapides entre la Bérarde et le Bourg-d’Oisans où elle rejoint la Romanche. L’eau y bondit en cascades écumantes et chantantes bien faites pour séduire les artistes.

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