HISTOIRE DU LAC SAINT-LAURENT 4/5
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Histoire du Lac Saint-Laurent – 1 – 2 – 3 –
Archéologie alpine
Le lac Saint-Laurent
Son histoire
Les Erreurs commises sur sa durée
No 165
Henri FERRAND
Extrait de la revue alpine de Juillet 1909
Tiré par Lyon à 200 exemplaires
Imprimerie et Lithographie à Geneste
71, rue Molière, 71
— 1909 —
Les preuves
Il faut d’abord jeter un coup d’œil sur une charte de date un peu imprécise, de 1050 à 1079 par laquelle Guigues le Mauvais Clerc, dit aussi Guigues le Vieux, conclut un accord avec les chanoines d’Oulx sur les décimes de la paroisse de Fageto (Brandes ?), de celle de Saint-Pierre-de-la-Garde et de celle de Uesio Huez). Sans autre importance, elle peut nous faire pressentir que les paroisses de l’Oisans vont être l’objet d’autres préoccupations de la part des chanoines.
Une charte de 1058 relate la donation faite à l’abbaye d’Oulx de l’église de Saint-Pierre « qui est située au lieu de la Garde », et de celle de Saint-Ferréol, située à Huez. Cette donation comprend aussi la chapelle de la bienheureuse Marie « de castro sageti » ? avec ses dépendances, et le pré de Font-Morel dans l’Alpe Veti (d’Huez), une part de la pèche des lacs de la montagne Froide (lacs des Petites Rousses), et dans le torrent de Serene (Sarène), avec le droit de passage sur le lac partout où besoin serait.
Ce lac qui se comprend sans autre désignation, nous allons le voir bientôt se préciser d’une façon certaine. Quelques années plus tard, Guigues le Vieux et son fils Guigues le Gras donnent, en 1063, à l’abbaye un domaine à Césanne, et l’évêque de Grenoble, Pons, lui concède, le 12 août 1016, les églises de Saint-Julien à Abriès, de Saint-Arey au Fréney, et de Sainte-Marie « de lento » (Mont-de-Lent).
Mais le titre le plus important à notre point de vue est celui du 15 avril 1080, par lequel Hugues de Châteauneuf (saint Hugues), qui venait d’être nommé évêque de Grenoble, soumit à la juridiction de l’abbaye d’Oulx seize paroisses de son diocèse. Ces paroisses sont dites : de Arenis superioribus (Villard d’Arène), de Arenis superioribus (la Grave) (Nota : Sur le texte recopié, il est bien écrit « superioribus » pour les deux villages, toutefois la mention devrait être « Ecclesia de Arenis superioribus et par opposition à La Grave dite de Arenis inferioribus »).
par opposition à La Grave dite de A·renis illferioribus,
, de Becis (Besse), de Clavaone (Clavans), de Misoen (Mizoën), de Lento (Mont de Lent), de Fraxineto (le Freney), de Abrus (Auris), de Ueso (Huez), de Fageto (Brandes ?), de Volianio (Vaujany), de Aveline (Aveillans), de Lardenc (Monteynard). Sainte-Marie, Saint-Pierre et Saint-Georges de Commeriis (de Commiers). Arrêtons-nous aux huit premières de cette énumération et constatons qu’elles comprennent toutes les paroisses si tuées dans la haute vallée de la Romanche, en amont de la plaine de l’Oisans.
Dans l’organisation ecclésiastique, ces translations n’étaient valables qu’après approbation du chef suprême de l’Église. Cette approbation ou confirmation fut donnée par un acte du pape Urbain II, en date du 20 mars 1095, où nous lisons la désignation suivante : « … et in Oysentio omnes ecclesias quæ sunt sitæ a lacu usque ad collem qui dicitur Altareolum » (En Oisans, toutes les paroisses qui sont situées depuis le lac jusqu’au col dit l’Autaret).
Cette expression n’est pas la seule, et la confirmation étant renouvelée par d’autres papes, nous la trouvons donnée le 28 mars 1120 par le pape Calixte II en ces termes : « … in episcopatu Gratianopolitano… ecclesiam de Alemo, ecclesiam de Osse, ecclesiam de Vultu-janue, et ecclesias omnes quæ sunt sitæ a lacu Osincii usque ad collem qui dicitur Altariolum » (Dans le diocèse de Grenoble, la paroisse d’Allemont, la paroisse d’Oz, la paroisse de Vaujany et toutes les paroisses qui sont situées depuis le lac de l’Oisans jusqu’au col qui est appelé l’Autaret.)
La constatation faite ci-dessus lorsque la charte de 1080 nous donnait le dénombrement des paroisses soumises à la juridiction de l’abbaye d’Oulx vient dé terminer de la manière la plus exacte la portée de ces termes : du lac de l’Oisans au col de l’Autaret ou du Lautaret, car nous voyons que lorsqu’on veut parler de paroisses en dehors de ces limites précises, comme celles d’Allemont, d’Oz et de Vaujany, on a soin de les dénommer spécialement.
Il y avait donc, dès 1095, par conséquent quatre-vingt-seize ans avant l’accident de 1191, si nous devons tenir celui-ci pour certain, un lac de l’Oisans assez notable pour être bien connu à Rome et n’avoir pas besoin d’autre désignation dans des pièces officielles importantes comme celles qui délimitaient les juridictions ecclésiastiques. Dès lors, il est impossible de le confondre avec les lacs de la Montagne Froide ou tous autres petits lacs suspendus de la région : il s’agit bien là d’un grand lac terminant la vallée qui prend naissance au col du Lautaret. Remarquons encore que, dans ces énumérations de paroisses, il n’est jamais question de celles de la Paute ou des Sables qui n’ont pu s’établir que depuis l’assèchement sur une partie du territoire naguère occupé par le lac. Ce lac était donc bien le lac géologique que montre avec évidence la constitution des lieux, et nous avons ainsi la preuve irrécusable que ce lac ne s’était pas asséché au cours des années qui précédèrent l’événement de 1191. Dès lors, il est sans intérêt de rechercher quelles furent exactement les circonstances de cet événement. Il put peut-être é lever le niveau du lac, l’agrandir, l’allonger (assez faiblement), mais il ne le créa pas, pas plus que la débâcle de 1219 ne le vida. Le lac de l’Oisans fut un lac dû aux grands agents de façonnement des montagnes. Il succéda sans doute au retrait des vastes étendues de la période glaciaire, et il eut pour barrage la moraine frontale de l’une des étapes du glacier, analogue à celle que l’on reconnaît si nettement en amont de Séchilienne.
D’origine immémoriale, entamé par la brèche de 1219, le lac dura en s’anémiant progressivement jusqu’au XVIIIe siècle : il est dès lors tout naturel qu’il ait été signalé aux cartographes du XVIIIe siècle et recueilli par eux, ce qui demeurait incompréhensible pour le lac de 28 ans de durée.
Quant au nom de Saint-Laurent-du-Lac donné à la paroisse qu’il baignait, nous le trouvons encore confirmé dans le troisième Cartulaire de Saint-Hugues dont la date se précise entre 1080 et 1132. Ce nom préexistait donc bien à l’année 1191, et l’histoire de la dénomination donnée à raison de l’événement du 10 août se trouve de ce fait absolument démentie. Nous avons vu ci-dessus qu’elle était due à l’imagination de M. le docteur Roussillon ou aux traditions erronées qu’il avait accréditées sans contrôle.
Là, encore, les anciens documents cartographiques, sainement interprétés, peuvent nous apporter une confirmation utile. La carte d’Oronce Fine, en 1525, celle de Jean Jolivet, qui s’en inspira en 1560, celle de Pyrrhus Ligorius, qui la copia en 1571, ne donnent à l’agglomération principale que nom de Bourg. La carte de Mercator (Aquitania Australis, Regnum Arelatense cum confiniis), établie en 1585 et reproduite en 1593 par Bouguereau dans le premier Atlas national Dauphiné, Languedoc, Gascogne, Provence et Saintonge), ainsi que celle de Métellus, en 1602, l’appellent le Bourg du Sauzet, et la forme Bourg d’Oysans n’apparaît qu’en 1622 dans la carte de jean de Beins (voir Henri Ferrand : Les Premières Cartes du Dauphiné [C.A.F., XXX, 1903, p. 418 et suiv.]). On en voit facilement la liaison, et le Bourg, le Bourg du Sainct, c’est-à-dire du Saint-Laurent, parce que son église était ainsi consacrée probablement depuis sa fondation, est devenu, par une corruption, en quelque sorte rationnelle, le Bourg d’Oisans. Ce sont les maisons de ce Bourg du sainct qui avoisinent encore l’église demeurée ou reconstruite à la même place et il n’y a point lieu de s’étonner que, dans ces anciens murs, on ait jadis signalé l’existence d’anneaux destinés à l’amarrage des bateaux du lac.
À suivre…