HISTOIRE DU LAC SAINT-LAURENT 5/5
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Sur le même sujet :
– Étude sur la voie Romaine de l’Oisans par le Dr Roussillon
– La Voie romaine de l’Oisans selon Florian Vallentin
Histoire du lac Saint-Laurent – 1 – 2 – 3 – 4 –
Archéologie alpine
Le lac Saint-Laurent
Son histoire
Les Erreurs commises sur sa durée
No 165
Henri FERRAND
Extrait de la revue alpine de Juillet 1909
Tiré par Lyon à 200 exemplaires
Imprimerie et Lithographie à Geneste
71, rue Molière, 71
— 1909 —
Conséquences
Une fois admise, l’existence du lac de l’Oisans ou du lac Saint-Laurent pendant la période romaine et pendant la période delphinale vient faciliter singulièrement l’explication de faits encore controversés.
Voie Romaine
On sait que le tracé de la voie romaine indiquée dans ces régions par la Table de Peutinger est à peu près reconnu et admis de Briançon jusqu’au territoire du Mont de Lent, où se trouve, sur la rive gauche de la vallée, un monument indiscutable, la Porte Romaine, si curieux notamment par les rainures ou rails en creux, pratiqués dans le roc pour les roues des chars (Voir Henri Ferrand : Excursion collective à la Porte Romaine [Grenoble, Allier, 1905]). Mais, au-delà de cette porte, les opinions diffèrent, et deux versions principales sont en présence : celle de M. le docteur Roussillon (Étude sur l’ancienne voie romaine de l’Oisans [Grenoble, Maisonville, 1865, 52 pages et une carte] et Étude nouvelle et plus complète de l’ancienne voie romaine de l’Oisans et de ses annexes [Grenoble, Maisonville, 1878, 74 pages].), qui faisait descendre la voie jusqu’au lit de la Romanche depuis le Col du Chatelard, la lui faisait traverser, la remontait ensuite jusqu’aux terrasses d’Auris et l’amenait par l’Armentier jusqu’au village de La Garde, et celle de M. Florian Vallentin (La voie romaine de l’Oisans [Bulletin de l’Académie Delphinale, 1878, p. 263 et suiv.]) qui la conduisait par la Ferrière, la Rivoire, Pierre Frète, etc., jusqu’au passage du Vénéon vers le pont actuel de Venosc.
Alors que les rochers de la rampe des Commères baignaient dans le lac et que la plaine entière était occupée par les eaux, ces solutions qui paraissaient sans cela exagérées deviennent bien plus naturelles. Il fallait nécessairement que la voie romaine s’évacuât de la gorge de la Romanche par les rochers de sa rive droite ou de sa rive gauche. Des deux côtés des vestiges plus ou moins contestables peuvent être invoqués, mais c’est le cas de faire intervenir une observation que suggère l’examen des cartes analysées ci-dessus. Nous avons dit que toutes celles qui figurent dans son entier développement le lac de l’Oisans, figurent aussi une route, une sorte de chaussée qui le coupe en deux parties inégales, traversant son lit du Bourg d’Oisans à la base de la montée de la Garde. L’exactitude que nous avons reconnue des autres mentions de ces cartes ne nous permet pas de révoquer en doute celle-là. Or l’établissement de cette chaussée qui, même en supposant au lac une bien faible profondeur (Le lac, en effet, devait être au regard du village assez peu profond, 5 a 6 mètres tout au plus. C’est la hauteur dont s’élève au-dessus des champs marécageux voisins le chemin très ancien, peut-être remplaçant la voie romaine, qui dessert le pied des murailles de l’église et les vieilles maisons aux murailles desquelles on amarrait les bateaux. Cette faible profondeur est encore confirmée par le chemin d’avant le déluge élevé d’environ dix mètres au-dessus de l’assiette de la plaine, et nous avons vu ci-dessus que le nivellement met cet endroit à huit mètres en dessous du niveau de la plaine au confluent du Vénéon.), était rendue particulièrement difficile par la nécessité de ménager le cours des eaux, était un travail gigantesque, bien en dehors des facultés des populations faibles et divisées du Moyen Âge : c’était évidemment un travail de Romain. Dès lors, c’est un argument sérieux en faveur de la thèse de M. le docteur Roussillon, car les ingénieurs romains ne pouvaient avoir établi cette chaussée que pour le passage direct de la grande voie militaire.
Ce passage ne pouvait être destiné qu’à amener la voie sur la rive gauche, car c’est sur cette rive gauche que nous la retrouvons plus bas. À l’aval de la plaine, vers Rochetaillée, qui en a pris son nom, on y montre dans le rocher, à dix mètres environ au-dessus du niveau de la route actuelle, un encorbellement taillé de main d’homme dans la pierre, et que les habitants du pays nomment encore le chemin d’avant le déluge. Nous savons que les écrivains d’alors appelèrent « déluge » la débâcle de 1219. C’était donc là que l’on passait alors que les eaux du lac recouvraient la plaine ; et ce ne fut pas une viabilité créée de fortune pendant les 28 ans qu’aurait, aux XIIe et XIIIe siècles, duré le lac occasionnel. C’est bien la voie romaine, et M. Florian Vallentin a pu y reconnaître et y signaler les rainures parallèles caractéristiques si visibles encore à la Porte Romaine. Dès lors, si elle avait dû s’incruster en ce point, c’est bien une démonstration irrécusable de l’existence du lac à l’époque romaine, et cette preuve vient s’ajouter à toutes celles que nous avons déjà relevées.
Dans ces conditions, le tracé de la voie romaine imposé par les circonstances locales devient tout à fait rationnel, et nous la voyons se dérouler de la Porte Romaine à la Roche Taillée par les terrasses de l’Armentier, la Garde et la chaussée du lac.
Mines et forêts de Brandes
D’autre part, il est constant que les grandes étendues d’eau sont par leur voisinage un puissant régulateur du climat et un adjuvant de la végétation.
Nous trouvons sur les flancs des Rousses ce problème des mines de Brandes, dont une description d’Héricart de Thury aux premières années du XIXe siècle (Journal des mines, tome XXII, 1807, p. 281. Bulletin de la Société de statistique de l’Isère 1er siècle, tome II, 1845, P 248.) vient attester l’importance. Pour leur exploitation, que la tradition fait remonter intensive à l’occupation romaine, mais que l’histoire confirme sous les Dauphins, il faut nécessairement admettre l’habitat de l’homme à plus de 1.800 mètres d’altitude et l’extension de la végétation forestière sur les pentes des Petites Rousses à plus de 2.200 mètres. On trouve du reste sur place des vestiges palpables de ces anciennes forêts, alors que tous les essais de reconstitution ont été infructueux, et Héricart de Thury signale dans son rapport susvisé la destruction absolue des bois sur toutes ces montagnes. Ces faits ont servi plusieurs fois de base à un argument peut-être trop généralisé pour démontrer la transformation du climat alpin et l’abaissement général de la zone forestière.
L’existence du lac de l’Oisans, de près de trente kilomètres carrés, à une époque antérieure et concomitante à l’exploitation, devient un facteur important du problème et on comprend que la dessiccation progressive ait eu part à l’épuisement de la végétation. La modification du climat qui en a été la suite a contribué, avec l’abus du package, à empêcher toute résurrection des forêts. On ne connaît pas la date certaine de la cessation de l’exploitation des mines : on sait seulement qu’un titre de 1404, échappé à l’anéantissement des archives d’Huez, la qualifie d’ancienne : Fossæ fodinæque antique Brandarum (Les anciennes fosses et mines de Brande). À cette date, le lac réduit exerçait déjà une moindre influence, les forêts prochaines abattues et non renouvelées ne fournissaient plus la matière indispensable au boisage des galeries ni à la calcination des minerais, et il n’est même pas nécessaire que les filons fussent devenus stériles pour que les mines dussent être abandonnées.
Mais, avant sa débâcle, ce lac était à plusieurs titres un bienfait pour le pays. Il était notamment la voie d’eau commode pour les transports, et c’est ainsi que s’éclaire la charte susvisée de 1058 qui concédait le passage sur le lac partout où besoin serait : pour la desserte de ces paroisses de Saint-Pierre de La Garde et de Saint-Ferréol d’Huez, ainsi que des alpages qui les dominent, la concession avait son importance.
Ne parlons donc plus de cet invraisemblable barrage occasionnel et sans cohésion qui aurait, pendant vingt-huit ans, résisté à l’incalculable pression des milliards d’hectolitres de ce grand lac de l’Oisans, et retenons seulement que nos aïeux ont assisté à une des évolutions du façonnement de la terre par l’évacuation progressive d’un lac géologique.
H. FERRAND.