Institutrice au Freney-d’Oisans pendant l’occupation

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Chapelle de Puy-le-Bas, hameau du Freney-d’Oisans

« SOUVENIRS D’UNE INSTITUTRICE PENDANT L’OCCUPATION »
Récit de vie recueilli par M. Jean Poulet, en 2002 pour le journal du village du Freney-d’Oisans, auprès de Suzanne Perrin, institutrice à Puy-le-Bas de 1942 à 1945. Mes remerciements à M. Bernard Perrin, fils de Mme Suzanne Perrin, pour son aimable autorisation à cette publication. 

Sur le même sujet : Souvenirs d’une institutrice au Freney-d’Oisans en 1923.

J’ai été nommée à ce poste dit « temporaire » ; L’école s’ouvrait à la Toussaint (et non le 1er octobre) et fermait au 14 juillet ou à Pâques, selon les effectifs ou la présence d’un candidat(e) au Certificat d’étude.

Voyage et installation : 
Départ de Grenoble à 5 heures du matin par le train à vapeur, à voie unique, desservant la Vallée de la Romanche jusqu’à Bourg-d’Oisans.
Puis le Courrier de la Grave, longue voiture automobile, me conduisit jusqu’au Freney.
J’ai cherché et trouvé Monsieur le Maire qui m’a dit : « Le Puy ! c’est là-haut ».
Par chance, Monsieur Dode, du Puy, et Garde Champêtre, était là, avec son mulet et sa charrette.
Mes bagages chargés, en route, à pied, sur un chemin étroit.

À l’arrivée, arrêt chez mon chauffeur et accueil chaleureux de Madame Dode.
Son mari me remit l’énorme clé de l’école, ainsi qu’une grosse provision des fruits du pommier de l’école et m’a conduite « chez moi ». Toutes ces petites écoles se ressemblaient : en bas, la salle de classe avec ses bureaux en bois à deux places et un local avec la provision de bois de chauffage, en haut, le logement meublé sommairement (lit, table, chaises) avec son poêle en fonte, un coin évier sans eau et une fontaine et un wc à l’extérieur. Peu de confort dont il fallait bien se contenter.
Le hameau a su que « la demoiselle » était là et les élèves sont arrivés le lendemain matin.
De Puy-le-Haut, Séraphine (ne restera que l’hiver, ayant déjà son Certificat d’étude), René, Georgette, Solange et Raymonde. De Puy-le-Bas, Pierrot et Denise. En tout, sept élèves pour 3 à 4 cours de niveaux différents. Tous furent assidus, attentifs et dociles.

Au printemps 43, René est resté après la classe du soir, pour faire dictée, problèmes, etc. et il a obtenu le Certificat, diplôme important à cette époque.
Le dimanche suivant le succès de René, j’ai été conviée chez ses parents, à partager un repas simple mais préparé avec amour et reconnaissance.
Dans toutes les familles d’élèves, les Oddoux et Marce de Puy-le-Bas, les Dussert Joseph, Dussert Rémi et Gay de Puy-le-Haut, j’ai reçu un accueil réconfortant. La solitude était parfois pesante : pas de télé ni de radio. Je ne voyais mes parents qu’aux congés scolaires de Noël et de Pâques.
Les distractions, il y en avait : En hiver les veillées chez l’un, chez l’autre, jusqu’à 22 heures environ ! Les hommes jouaient aux cartes ; parfois je devais faire « le 4e », les femmes tricotaient. Des pommes cuites au four embaumaient la cuisine ; et nous les dégustions avant de nous séparer. Le jeudi, descente au Freney, ravitaillement facile malgré les tickets d’alimentation, à la boulangerie, la boucherie, dans les trois épiceries. Arrêt à l’école, chez Mademoiselle Basset qui a enseigné 13 ans au Freney. Actuellement, je rends visite à cette collègue dans une maison de retraite et nous évoquons souvent le bon temps passé dans nos montagnes.

À la belle saison, rencontres avec les collègues des hameaux des alentours ; déplacements à pied, par les raccourcis. Pas de téléphone pour communiquer, mais les habitants et facteurs faisaient passer les messages.
Certains dimanches après-midi, bal chez Dode, le café du village. La jeunesse venait du Freney et d’Auris, l’orchestre : un phono « La Voix de son Maître » dont s’occupait Monsieur Dode.
Pendant ces trois années d’occupation, des événements exceptionnels ont marqué la vie de toute la population de la commune.

Aux vacances d’été 44, une note de l’Administration demandait au personnel enseignant de rester dans leur école.
En août, durant une dizaine de jours, des Allemands et des Mongols, venant de la Grave, ont occupé Mont-de-Lans, Bons et Mizoën. Au Puy, nous avons entendu siffler, une nuit, les balles ennemies tirées d’en face, sur des maquisards cachés, et vu des maisons brûler à Bons.
Des officiers Allemands sont venus au Puy exiger une fourniture importante de beurre ; les vaches laitières étaient peu nombreuses ; nous vivions dans la crainte de représailles. Puis les Allemands sont partis, en réquisitionnant des hommes et leurs mulets, en direction de l’Italie. Deux habitants du Puy sont emmenés. Nous resterons sans nouvelle d’eux pendant plusieurs mois jusqu’à leur retour, fin novembre, je crois.
Après l’angoisse, la joie, grande fête au Freney, à Noël avec toute la population et les enfants des écoles, bal, tombola, etc.

Et au printemps 45, des Américains se sont arrêtés au Freney. On a « trinqué » avec eux à l’hôtel Reymond.
Le 8 mai 45, tous les clochers ont carillonné pour annoncer l’Armistice : La montagne était en fête.
L’école du Puy était fermée depuis Pâques et 4 élèves privés d’instruction. Encore une année scolaire en 46, puis l’école sera définitivement fermée.
Si je suis restée au Puy trois ans, éloignée de ma famille, c’est que je m’y trouvais bien, peut-être mieux qu’à la ville, avec grand plaisir, et je repense aux gens que j’ai connus, parents d’élèves ou autres. Là était la maison Charbonnel, Oddoux, Marce, Vernet, Rivoire, Colognoli, Ranque au Puy-le-Bas ; Dussert Joseph (avec la mine de charbon encore exploitée), Dussert Rémi, Gay au Puy-le-Haut.
L’école !
Ce n’est plus « mon école »; mais une belle demeure ; sa porte, ses volets s’ouvrent, elle revit.
C’est tant mieux.

Et il fait toujours bon vivre au Puy.

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