La Revanche du passé – Histoire de Noël 1/7

LA REVANCHE DU PASSÉ – HISTOIRE DE NOËL 1/7
Un roman court de Guy D’Eyliac
Hébergé, au cours d’un orage, par un vieux montagnard de l’Oisans, Jean Renaud est bouleversé par un récit de son hôte, son ancêtre, colporteur, était peut-être un criminel ! 

Source Gallica : Revue Guignol – cinéma des enfants
Date d’édition : 6 janvier 1935

Autre récit :
La Combe du Loup

LA REVANCHE DU PASSÉ  1/7

CHAPITRE PREMIER
LE PORTE-BALLE DE L’EMPARIS

La teinte grise uniforme dont s’était revêtu le ciel épandait son ombre triste au-dessus du sauvage plateau d’Emparis. Quelques maigres ajoncs inclinaient leurs tiges sur l’onde immobile ; autour du lac Lérié, les pentes rocailleuses formaient un écrin pâle où reposait l’eau, sombre comme une pierre des Alpes.
Sur le versant qui regarde la Meije s’élevait une sorte de rempart rocheux.
Laissant leurs compagnons cueillir quelques rares edelweiss et des échantillons de cristal de roche, Olivier Champieux et Jean Renaud entreprirent d’escalader l’arête granitique. Ils s’immobilisaient fréquemment pour contempler le massif de la Meije sur lequel rampaient de lourds nuages gris.
— J’adore ce pays ! déclara Jean Renaud lorsqu’ils eurent atteint le faîte des rochers. Tiens ! c’est maintenant seulement que je découvre vraiment la montagne !
Je voudrais être sur un de ces glaciers chaotiques et pouvoir planter mon piolet dans ces aiguilles de glace aux reflets verts ; ou bien escalader ces grands pics noirs que nous avons pu admirer ce matin avant qu’ils aient si solidement accroché les nuages ! Je voudrais…
— Tu voudrais te casser la figure ! coupa Olivier Champieux. Crois-tu donc que lorsqu’on n’a jamais fait de montagne, on s’attaque ainsi à la Meije ? C’est un trop gros morceau pour toi, mon vieux !
— Ça va ! Je me contente donc de regarder comme un petit garçon bien sage !…
Il y avait une nuance de regret dans les paroles de Jean Renaud. Olivier lui lança une bourrade.
— Plains-toi ! Avoir un point de vue pareil et récriminer !… Tu es difficile !
Jean Renaud se tut et reporta ses regards vers la combe profonde que dominait l’escarpement rocheux. Il se coucha sur le sol et rampa jusqu’au bord du gouffre. La roche tombait en un à pic vertigineux jusqu’à la gorge profondément encaissée où bondissait la Romanche. Les yeux de Jean Renaud remontèrent le cours du torrent jusqu’à La Grave, petit village minuscule, resserré, tapi au bord de l’eau, face à la Meije.
Olivier avait suivi le regard de Jean.
— Ne flânons pas trop, déclara-t-il, prudent. Ça devient bien menaçant, là-bas. Mieux vaut descendre sur la Grave avant l’orage !
Jean Renaud se releva, rajusta les bretelles de son havresac et enveloppa d’un dernier regard la Meije acérée et hostile.
— Quelle passion pour les grands pics ! plaisanta Olivier. N’as-tu pas honte, toi, un homme de la plaine ? Tu mériterais d’être renié par tes ancêtres !
— Oh ! mes ancêtres ! Sais-je seulement où reposent leurs cendres ! Tout ce que j’ai appris sur ma famille remonte à peine à mon arrière-grand-père. Il était Français et avait émigré à la chute de Napoléon, je crois.
Établi en Belgique, il y avait fait souche de campagnards. Mais on ignore d’où il venait. Ce fut, paraît-il, un homme étrange qui, toute sa vie, garda un silence farouche sur ses origines. Il semblait avoir biffé d’un trait de plume les années qui avaient précédé son émigration.
Jean Renaud descendait d’un pas souple et bien balancé vers le lac aux eaux dormantes. Olivier le suivait, intéressé par les détails que lui donnait son camarade.
— Et tu n’as jamais tenté de découvrir tes origines françaises ?
— Comment veux-tu que je m’y prenne ? Sur quelles bases appuierais-je mes recherches ?
— Évidemment. Ton grand-père était tout de même un drôle de bonhomme.
Jean Renaud ne répondit pas. Il avait brusquement relevé la tête. Sourcils froncés, il regardait flotter dans l’air quelque chose d’impalpable et de léger comme un duvet de cygne.
— Mon vieux, il neige ! annonça-t-il avec calme.
— Bigre ! Il ne faisait déjà pas chaud !… s’exclama Olivier. Appelons les autres.
Mettant leurs mains en porte-voix, ils lancèrent un appel qui fut longuement répercuté par les rochers. De trois ou quatre points différents, des voix plus ou moins proches leur répondirent.
Dix minutes plus tard, la petite colonne qui, toute la matinée, avait cheminé déjà dans les vallonnements du plateau, s’était reformée et avançait en bon ordre, sac au dos, bâton en main. Des flocons s’épaississaient. Chacun avait hâte de parvenir à la Grave afin d’y trouver un abri, car, partis de bon matin du Bourg-d’Oisans par l’autobus d’Huez, nos excursionnistes n’avaient pas songé à se munir de vêtements imperméables, ni même chauds.
Aucun d’eux n’avait prévu le brusque changement de temps qui s’était produit au début de l’après-midi.

Olivier et Jean relevèrent le col de leurs chandails de laine. Des jeunes filles, dont la plupart étaient vêtues de simples robes de toile, tirèrent de leurs sacs, gilets et écharpes. Le ciel était devenu d’un gris épais, insondable.
La neige tombait obliquement sous la poussée du vent.
Des talus s’estompaient. La blancheur des flocons, dans l’ombre uniforme, brûlait les yeux. Jacqueline Champieux, la sœur d’Olivier, formula à haute voix ce que les autres pensaient en eux-mêmes :
— Quelle fin de promenade lugubre !
— Il n’y a pas de quoi se plaindre ! lui riposta Simone Blanchel. Pour moi, je rapporterai de cette excursion sous la neige un délicieux souvenir !
— Passe le ciel que tu n’en rapportes pas une bronchite ! lui rétorqua son père beaucoup moins enthousiaste.
Cette neige est glacée. Il aurait été prudent de nous munir de parapluies !
— Je ne regrette rien ! répétait l’intrépide Simone. Une averse de neige le 22 août ! Convenez que cela n’arrive pas souvent !
— Heureusement ! s’exclama M. Blanchel.
Des autres membres de l’expédition avançaient en silence.
Bientôt de lointains tintements de clochettes parvinrent, assourdis dans le silence ouaté, jusqu’aux oreilles des excursionnistes en détresse. Bien loin, dans les vallonnements du plateau, un grand troupeau de vaches cheminait le long d’un étroit sentier.
— On dirait des vaches fantômes ! s’exclama quelqu’un.
— Essayons de découvrir un chalet de bergers ! proposa M. Blanchel. Nous pourrions nous y abriter et nous y réchauffer en attendant une éclaircie.
— Ce maudit plateau semble tout à fait désert ! répondit Jacqueline Champieux.
Olivier et Jean, mieux partagés que leurs compagnons, car leurs épais chandails les protégeaient du froid, escaladèrent une croupe herbeuse afin d’explorer des yeux les alentours. Ils redescendirent en quelques rapides enjambées.
— Victoire ! nous sommes sauvés ! cria Olivier. Nous avons aperçu un chalet à un quart d’heure à peine, dans la direction de la Grave. C’est le salut !
Cette nouvelle rendit courage aux jeunes filles transies.
Tous hâtèrent le pas. Le vent âpre fouettait les visages de cette neige glacée qui tombait sans se lasser. La petite troupe harassée avait fondé tous ses espoirs sur ce chalet bossu qui faisait le gros dos, là-bas.
Il était fermé par un large portail de bois. Jean Renaud y parvint le premier et tira joyeusement le loquet formé d’un morceau de planche passé dans les anneaux des deux vantaux. La petite colonne pénétra dans une grange odorante à demi emplie de foin. Ce fut un soulagement pour tous que de se trouver dans un véritable abri. Ils entendaient au-dessus d’eux la pluie et la neige cingler le toit.
Dans le foin jusqu’aux genoux, les jeunes filles retrouvèrent vite leur gaîté. Mais Olivier n’était pas encore satisfait.
— Nous ne pouvons rester dans cette grange déserte ! déclara-t-il. D’autant plus qu’elle doit dépendre de quelque chalet proche. Je vais explorer les environs et reviendrai vous chercher.
Il partit en relevant de nouveau son col jusqu’aux oreilles et ne tarda pas à revenir, escorté cette fois d’un jeune paysan de grande taille, large d’épaules, à la démarche bien équilibrée.
— Bonjour, mon ami, lui dit M. Blanchel. Demeurez-vous loin d’ici ?
— Non, monsieur, tout près, lui répondit le montagnard. Je suis berger chez mon oncle, le père Souchey.
Notre chalet est là, au tournant du sentier.
Dix minutes plus tard, toute la bande était réunie autour d’une large et solide table de noyer. Une vieille montagnarde remplissait des bols de lait chaud qu’elle distribuait à la ronde. Chacun y trempa ses lèvres avec un appétit décuplé par les péripéties de la journée. Un fourneau rougeoyait dans la pièce étroite. Les excursionnistes aspirèrent avec délice l’atmosphère chaude, chargée d’odeurs d’étable. Jacqueline Champieux se pencha vers Simone Blanchel.
— L’aventure se termine au mieux, lui glissa-t-elle.
— Oui, quel bel épisode à raconter à Paris, quand je rentrerai de vacances !
Un vieillard aux longues moustaches tombantes entrait à son tour dans la salle. Il salua ses hôtes inattendus d’un cordial bonjour. Puis, tirant son couteau de sa poche, il commença à tailler un tourteau de pain en longues tranches égales. Jean Renaud, qui se trouvait près de lui, suivait l’opération avec intérêt.
— Vous avez là un couteau bien curieux, finit-il par dire. Est-ce un modèle courant dans le pays ?
— Pensez-vous, monsieur ! Des couteaux comme celui-là, on n’en voit plus. C’est de ces choses anciennes à porter dans un musée, à Grenoble. Je tiens le mien du frère de mon grand-père ! Et je peux vous assurer que la marque était restée, moi qui l’ai vue de mes yeux.
— De pareil ? insista Jean Renaud.
— Tout juste le pareil, monsieur. Le manche était comme celui-ci en bois de noyer et la lame en bon acier.
Mon grand-père avait l’un et son frère l’autre. Ils s’étaient amusés à y sculpter deux dauphins entrelacés qu’ils avaient copiés dans un vieux livre sur les seigneurs du Dauphiné, et en dessous un « S » qui est la grande lettre de notre nom. C’est une fameuse histoire de bandit que l’histoire de l’autre couteau, celui de mon grand-père !
— Racontez-la ! Pour sûr qu’elle intéressera ces messieurs dames ! insista le berger.
— Oh ! oui !… s’exclamèrent les jeunes filles. Ce sera palpitant d’écouter une histoire de bandit dans un chalet de montagne en mangeant du fromage de chèvre en tartines !
Elles se groupèrent autour du fourneau, tendant vers la flamme leurs semelles mouillées. Flatté de l’intérêt qu’on lui portait, le père Souchey se recueillit avant de commencer son récit. Jean Renaud avait saisi le vieux couteau de montagnard qui semblait le fasciner et il examinait avec soin le motif et l’initiale sculptés en creux sur le manche.
Dans un grand silence, le vieillard commença :
— Ça n’est pas jeune, cette histoire. Elle se place il y a plus de cent ans puisque mon défunt grand-père avait à peu près l’âge du gars Etienne. C’était en été. Mon grand-père était monté seul ici avec les bêtes parce que ses parents faisaient les moissons et que son frère, comme guide, demeurait toute la belle saison à la Grave. Des autres bergers n’étaient point montés encore. Mon grand-père s’ennuyait. Et puis, un soir, il passe un porte-balle (Colporteur) qui s’arrête ici, dans ce chalet où nous sommes, en traversant l’Emparis. Mon grand-père le reçoit avec plaisir, comme vous le pensez ! Il lui donne à dîner. Ils causent.
Le porte-balle lui dit qu’il vient de Huez et qu’il descend à La Grave.
— Tiens ! Comme nous ! interrompit Simone Blanchel.
— Comme il semblait fatigué de sa longue marche, mon grand-père, qui n’était guère méfiant de sa nature, lui laisse le lit, là, dans la salle, et s’en va coucher dans l’étable. Il avait tort, vous pensez ! Un homme qu’il n’avait jamais vu et dans un endroit désert comme ici où un mauvais coup pouvait toujours réussir ! Enfin, mon grand-père n’y regarde pas à deux fois. Il s’endort sur les deux oreilles et s’il s’est réveillé, dans la nuit, ce n’est pas, bien sûr, par crainte, mais parce que le chien gémissait, pleurait, à croire qu’il y avait un danger tout près. Il prit alors l’idée à mon grand-père d’aller faire le tour du chalet pour voir si quelque rôdeur n’était pas par là. En passant près de la lucarne, il voit une lumière dans la salle. Il s’approche. Le porte-balle se penchait sur le placard où étaient serrés quelques écus. Un voleur ! Mon grand-père empoigne le gourdin qu’il gardait toujours près de lui, la nuit. Il entre en criant : « Gredin ! » L’autre bondit sur ses pieds. Il avait son ballot sur l’épaule,
preuve qu’il était prêt à fuir dès qu’il aurait trouvé le magot. Il prend le couteau qui était resté ouvert sur la table et, comme mon grand-père levait le gourdin en lui barrant le passage, il lui porta un coup dont la marque est toujours restée et il disparut dans la nuit. Personne ne l’a plus revu ! Ni le couteau qu’il avait gardé ! Il y en a qui disent que mon grand-père a été un fameux maladroit, ce jour-là !… Mais que voulez-vous ? Il était jeune encore, tandis que son voleur ne débutait pas, lui ! La preuve, c’est qu’en se sauvant, il avait laissé tomber une bague, tout en or avec des dessins gravés dessus. Sans doute qu’il l’avait volée dans quelque autre endroit ! Et maintenant, cela m’enrage de penser que le couteau de mon grand-père est peut-être encore entre les mains de quelque bandit !…
Il se tut. Jean Renaud sortit brusquement un objet de sa poche. C’était un couteau qu’il ouvrit et jeta sur la table.
— Le voici ! dit-il avec calme.
Ses amis le regardèrent, muets de surprise.
— Par exemple !… commença Olivier.
Le vieillard comparait les deux couteaux. Ils étaient identiques.
— Ça, c’est fort ! déclara-t-il. Où l’avez-vous trouvé, ce couteau, monsieur ?
La réponse se fit attendre. Enfin, Jean Renaud articula :
— Chez moi !…
— Eh bien, Jean ! Votre famille a de jolies relations ! plaisanta Jacqueline Champieux.
Jean n’entendit pas. Il considérait les deux couteaux et semblait fort soucieux. Olivier songea tout à coup à ce taciturne grand-père dont Jean lui avait parlé.
« Tel que je le connais, songea le jeune alpiniste, ce brave Jean est capable de forger tout un drame au sujet de ce vieux canif en prenant pour héros son grand-père. »
Les jeunes filles épiloguaient au sujet du couteau si bizarrement retrouvé par Jean Renaud.
— Peut-être le voleur était-il Belge !
— Je crois plutôt qu’il a dû aller en Belgique pour échapper aux recherches, déclara Jacqueline. Les grands-parents de Jean l’auront hébergé et il leur aura laissé cette arme qui pouvait le faire découvrir.
— Enfin, conclut le vieux montagnard, c’est une drôle de chose que ce couteau soit revenu ici après tant d’années !…
— Mesdemoiselles, annonça M. Blauchel, voici le beau temps. Il serait prudent de ne pas nous attarder davantage.
Ce disant, il glissait une petite somme dans la main de la paysanne qui le remercia gauchement.
Les excursionnistes se levèrent, bouclèrent leurs sacs et reprirent leurs bâtons. Seul, Jean Renaud ne paraissait pas décidé à partir.
— Monsieur Souchey demanda-t-il au vieux paysan, est-ce que je vous dérangerais beaucoup en restant ici jusqu’à demain ?
— Ma foi, non. Mais il faudra vous contenter d’une botte de paille dans le fenil.
— Ce sera plus que suffisant. Je vous remercie.
— Vous avez peur de vous mouiller, monsieur Renaud ? interrogea Simone Blanchel, narquoise.
— Non certes ! Je veux seulement essayer de tirer au clair l’histoire de ce couteau.
— Qu’espères-tu découvrir ? questionna Olivier en entraînant son ami à l’écart.
— Je n’espère rien. Je crains, au contraire…
— Là ! J’en étais sûr ! coupa Olivier. Ton imagination part en campagne. Tu crois être sur la piste de quelque pénible secret de famille…
— Tu vois bien que, toi aussi, tu y as pensé ! répliqua Jean Renaud.
Il escorta ses amis jusqu’au sentier qui redescendait sur La Grave. Puis, lorsque le lointain village fut en vue, minuscule assemblage de toits d’ardoises, il salua la petite équipe d’une voix sonore, comme pour donner le change sur l’émotion qui l’étreignait.
— Au revoir, Jean ! lui répondit-on. Vous nous rejoindrez demain à La Grave ?…
— Peut-être, mais je ne puis rien vous promettre. Ne vous préoccupez pas de moi.
Dans la lumière fauve du couchant, il revint à grandes enjambées vers le chalet sans plus songer aux glaciers de la Meije que le vent avait décoiffée de leurs nuages et qui étincelaient d’une éblouissante blancheur toute neuve, due à la neige fraîchement tombée.
Un froid vif régnait maintenant sur le plateau désert.
Jean Renaud retrouva avec plaisir la chaude atmosphère du chalet. Il aida le jeune gars Étienne à rentrer les vaches dans l’étable. Puis, après un frugal repas, lui et ses hôtes se groupèrent autour du foyer où les braises rougeoyaient dans la cendre.
Alors, tandis que le vieux Souchey allumait lentement sa pipe, Jean Renaud aborda le sujet qui le préoccupait.
— Dites-moi, monsieur Souchey, vous nous avez raconté tout à l’heure que le porte-balle avait laissé tomber une bague, en s’enfuyant. L’avez-vous encore ?
— Bien sûr. Mon grand-père l’a toujours conservée en souvenir de son aventure.
— Alors, pourriez-vous me la montrer ?
— Ce ne serait pas de refus. La bague est chez nous, à La Grave. Demain matin, si ça vous convient, Etienne vous accompagnera jusqu’à la maison.
— Vous n’habitez pas toute l’année sur le plateau ?
— Oh ! que non, monsieur ! Nous n’y montons qu’à la belle saison, avec les troupeaux ; et aussi pour faire les foins. Dès septembre, nous redescendons à La Grave et, pendant six mois, nous ne sortons guère de chez nous.
— Et vous dites que cet événement s’est passé il y a un siècle ?
— Un siècle et même un peu plus. Ça vous tient donc bien à cœur cette histoire, monsieur ?
— Oui, à cause du couteau. Je voudrais démêler comment il a pu venir échouer dans notre vieille maison de Belgique, où je l’ai découvert l’an dernier. Pouvez-vous me dire en quelle année l’événement s’est produit ?
— L’année juste, c’est difficile, mais je vais vous dire ça à peu près. Mon grand-père s’est marié jeune, vers les 1820. C’est donc un peu avant qu’il a reçu cette estafilade.
— C’est bon. Je vous remercie, père Souchey. Ces renseignements vont me permettre de commencer mon enquête.
— Ça m’étonnerait bien que vous appreniez quelque chose là-dessus, allez, monsieur !… C’est une tellement vieille histoire !…
— Nous verrons cela.
Les tisons se mouraient dans le foyer. Étienne, la tête dans ses bras repliés, somnolait sur la table. Jean se leva, prit congé de ses hôtes et s’en alla dormir dans le fenil comme avait fait cent ans plus tôt le grand-père Souchey. Étienne, vigoureusement secoué par son oncle, suivit Jean Renaud en bâillant.
La froide nuit d’été des Alpes emprisonnait le grand plateau herbeux et le petit chalet bossu dans un immense réseau d’étoiles.

À suivre…

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