La tragédie du Chambon

LA TRAGÉDIE DU CHAMBON
Deux articles découverts dans la presse locale de 1930, relatant le déroulement de l’accident le plus meurtrier que connu le chantier du barrage.

Nous avons abordé sur le site, à plusieurs reprises, les circonstances des accidents mortels qui ont marqué le chantier du Barrage du Chambon entre 1930 et 1932.

Jourdan et Elvire Strappazzon avaient raconté à notre micro, l’histoire tragique qui coûta la vie à Florindo, leur père, premier décédé du chantier.

Derraldji Koudja, tué par un grain de sable, glissé dans la mécanique d’une routine trop bien huilée.

Également l’histoire de Francesco, cet italien qui aimait sans doute un peu trop le bon vin de France, qui ne vit jamais le barrage, mais en fut, en quelque sorte, une victime collatérale.

Une rapide recherche, sur les registres d’état civil de la mairie du Freney, nous apprend que la nuit du dimanche 21 septembre 1930,  restera le dimanche noir de l’histoire du barrage. Cette nuit-là, vers 4 h 15 du matin, trois hommes perdront la vie, enterrés et broyés vivant par des tonnes de terre et de rochers.

Avant de plonger dans la lecture des articles de la Dépêche Dauphinoise, il est intéressant d’examiner et de contextualiser brièvement l’enchaînement des évènements, qui plongeront trois ouvriers dans ce funeste linceul de terre.

Pour fixer le barrage sur un socle rocheux solide et ainsi contenir toutes résurgences et assurer l’assise saine de la base de l’ouvrage, il fallait débarrasser le fond de la gorge du verrou rocheux de toute sa couche sédimentaire. Une étude avait été faite à partir d’un nombre très limité de carottages. Sans doute trop superficielle ou rapide, cette étude n’avait pas laissé entrevoir que cette couche masquée des gouffres sans fond, appelé marmites glacières, qui obligèrent les ouvriers à creuser et  descendre toujours plus profondément dans le canyon. Cette situation engendra deux problèmes majeurs, l’allongement significatif du chantier, qui initialement avait été évalué à 1 an et demi, et qui s’éternisera 4 ans, avec, au final, des fouilles de plus de 46 m de profondeur. Naturellement, ce retard eut un impact considérable sur le coût du barrage, et sur la pression constante imposée aux manœuvres.
L’autre problème est directement lié à l’accident du 21 septembre, car tous, ingénieurs comme ouvriers, avaient parfaitement perçut que plus le gouffre descendait, plus il y avait de risque d’effondrement sur ses occupants. La raison en était simple, des tonnes de sédiments en amont, retenus par les batardeaux étayés par une forêt enchevêtrée de rondins, le tout dans un équilibre précaire contrarié par une pression constante fantastique.

Le 21 septembre, un nouveau facteur rentre dans le jeu. Des pluies, incessantes et torrentielles, s’abattent sur l’Oisans durant plusieurs jours, fragilisant encore un peu plus le mikado géant qui surplombe les ouvriers.

Après la catastrophe plus un homme ne voudra descendre dans le gouffre, obligeant la société Campenon-Bernard, maître d’œuvre du chantier, à rechercher et recruter une main-d’œuvre « pakistanaise » qui sera la seule à accepter de descendre et poursuivre les fouilles.

Cette catastrophe aura aussi une suite plus inattendue et surprenante pour l’Oisans, car elle sera à l’origine d’une nouvelle recette de cuisine bien éloignée de notre terroir : la choucroute de Bourg-d’Oisans. Mais ça, c’est une autre histoire…

La dépêche Dauphinoise
Mardi 23 septembre 1930

Un éboulement meurtrier au Chambon.
Trois ouvriers sont tués sous l’avalanche de rochers.

Dimanche matin vers 4 h 15, à la suite des récentes pluies, un éboulement considérable de rochers est venu surprendre les ouvriers travaillant aux affouillements du barrage du Chambon.
Il y eut un fracas formidable et une masse de gros blocs de rochers vint surprendre en plein travail un groupe d’ouvriers.
Deux d’entre eux, l’Itallien Louis Caglioni, Père de cinq enfants, et l’arménien Quemat Zace, furent littéralement écrasés et sont restés ensevelis.
Un troisième, Abdin Bajram, reçut un rocher sur la tête et mourut quelques instants après.
Enfin, l’italien Mario Carlo, l’albanais Rustier et l’Arabe Ben Amré ont été blessés plus ou moins grièvement par la chute des pierres. Ils ont été l’objet des soins empressés de M. le docteur Léger, de Bourg d’Oisans que la direction des entreprises Campenon et Bernard avaient immédiatement fait appeler.
Les deux ouvriers qui ont été enfouis sous l’avalanche de rochers n’ont pu encore être retirés et l’on présume que le corps de Caglioni ne pourra être extrait avant une semaine.
Ajoutons qu’une pelle-vapeur et des coffrages ont failli être entrainés par l’éboulement.

La dépêche Dauphinoise
édition du 24 septembre 1930

Le tragique accident du Chambon.
Les deux cadavres qui restaient enfouis ont été hier, mis à jour.

Bourg-d’Oisans – Nous avons relaté hier le terrible accident qui s’est produit dimanche matin sur les chantiers du barrage du Chambon.
Deux ouvriers restaient, on le sait ensevelis sous la masse de rochers et l’on pensait que plusieurs jours seraient nécessaires pour déblayer les éboulis et atteindre les deux cadavres.
Les travaux de déblaiement poussés avec activité sous la direction de M. Curnier, assisté des ingénieurs de l’entreprise, ont permis de retirer hier soir, vers 19 heures, le corps de l’arménien Jace Quemal.
Mis en bière aussitôt, le cadavre a été déposé dans la salle de réception où il a été veillé selon le rite arménien, par les compatriotes de l’infortuné ouvrier.
Ce matin, à 11 heures 1/2 la troisième victime l’Italien Louis Caglioni, a été retiré à son tour. Le corps était affreusement mutilé.

Les obsèques de ces deux victimes du travail seront célébrées cet après midi au Freney-d’Oisans.

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