Le Guide de l’Oisans – Histoire de Noël 3/3

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LE GUIDE DE L’OISANS – HISTOIRE DE NOËL 3/3

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Publié dans le journal  : Guignol, cinéma des enfants, 20 mars 1932
Écrit par  J. de FERVACQUES

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Épisodes précédents : Nicolas, jeune parisien en vacances dans les Alpes, se blesse en tombant d’une escarpolette. Le docteur diagnostique une blessure, nécessitant quinze jours de repos. Les amis de Nicolas proposent alors de faire de sa chambre leur quartier général.
Le lendemain, Nicolas surprend un mystérieux inconnu s’introduire et déposer discrètement un objet sur son secrétaire de sa chambre avant de disparaître par la fenêtre. Les fillettes rapportent elles aussi avoir croisé un étrange vagabond dans les bois. L’intrigue devient plus grande avec la découverte de ce jeune homme épuisé près d’une meule de foin.

Aussitôt le valet jeta de grands cris :
— Joseph, Marins, arrivez !… le voilà… amenez Fot, car il pourrait encore nous échapper ! Mais, à sa grande surprise, l’inconnu leva le bras :
— Je me rends, dit-il, qu’on ne me fasse pas de mal. Les trois garçons se trouvaient réunis autour de lui, le regardant avec curiosité. Il était grand, bien fait et d’une maigreur impressionnante. On devinait qu’il serait un autre homme quand on aurait fait tomber l’abondante chevelure qui le rendait semblable à un sauvage. Avec la cruauté inconsciente de la jeunesse, ceux qui l’entouraient commencèrent à l’injurier, mais soudain il devint si pâle qu’ils eurent peur.
— Faut prévenir ces dames.
— Ou aller chercher le père.
— Il va nous passer entre les mains.
— Bon ! le voilà évanoui. Pour le coup ils n’hésitèrent pas. Ce fut à qui irait appeler Mme Morvan, qu’on savait très habile dans le soin des malades. Quand l’étranger revint à lui, il se trouva couché sur un matelas ; une personne, qui lui parut un ange du ciel, tant son visage exprimait de compassion, essayait de lui faire boire un peu de vin sucré qu’il avala bien tôt avec avidité. Au vin succéda du bouillon chaud qui eut le même succès.
— Ce garçon meurt de faim tout simplement, mur mura l’ange. Il sentait, en effet, ses forces revenir, et se dissiper surtout cette langueur étrange qui l’avait terrassé.
— C’est assez pour le moment. Reposez-vous à présent ; dans une heure vous ferez un vrai repas. Il referma les yeux, l’air épuisé ; un peu de couleur revenait cependant sur son visage, décharné, mais rigoureusement propre. Quelles privations avaient pu l’amener à ce degré d’épuisement ? Mme Morvan était retournée raconter à sa sœur et à Nicolas cette singulière trouvaille. On devine à quel point l’intérêt et la curiosité de celui-ci en furent excités.
— Oh ! mère, je vous en prie, amenez-le-moi dès qu’il aura mangé. C’est un brave garçon, vous voyez, puis qu’il a rapporté la montre !
— Je serai bien aise que tu le voies, en effet, mais laissons-le se remettre. Il serait cruel de l’interroger tant qu’il est dans cet état. Deux heures après, cependant, c’est un tout autre individu qu’elle introduisit près du jeune blessé. Ses jeux ardents brillaient sous sa toison noire et sa pauvre figure exprimait la franchise et même un certain savoir-vivre.
— Je ne me trompe pas, demanda Nicolas, c’est bien vous qui avez pénétré chez moi par la fenêtre ?
— Je vous demande pardon de mon sans-gêne, mon sieur, c’est moi, en effet, je ne savais à qui remettre ce bracelet et j’ai pensé que le plus simple était de le déposer sur un meuble.
— Où l’avez-vous trouvé ?
— Dans le ravin, accroché à une pointe de rocher qui l’a retenu. Il avait dû rouler de haut, car il brillait au soleil tout au fond.
— Vous me semblez joliment fort en gymnastique, re marqua Nicolas qui connaissait les difficultés de l’entreprise. Pour la première fois, un sourire, découvrant des dents très blanches, éclaira la physionomie du garçon.
— C’est mon métier, dit-il tranquillement, j’étais clown dans un cirque et m’en suis échappé il y a près de huit jours.
— Bah ! racontez-moi cela, c’est une grande aventure.
— Triste, surtout ; mon père était écuyer et n’avait pas son pareil pour dresser les chevaux. Il perdit ma mère quand j’étais tout petit et ne put se décider à me séparer de lui. C’est comme cela que j’ai grandi au milieu des acrobates et appris peu à peu la plupart de leurs tours. Mon père m’aimait tendrement et me protégeait contre les brutalités du patron qui ne valait pas cher. Malheureusement, il est mort il y a un an, désolé de me laisser seul dans la troupe où l’on ne s’intéressait guère à moi, car à mesure que je grandissais, mes tours n’amusaient plus personne et il n’avait jamais permis qu’on me disloquât les membres quand j’étais enfant pour les rendre plus souples. Dès qu’il n’a plus été là, on m’a mis au service de tout le monde et je recueillais plus de bourrades et de taloches que de morceaux de pain, je vous assure.
— Pourquoi n’avez-vous pas cherché à vous enfuir ?
— Je l’ai essayé vingt fois, mais toujours j’étais repris, car on me dénonçait aux gendarmes et aux gardes champêtres, et ils avaient vite fait de me mettre la main dessus. An fond, le patron tenait à moi parce que je servais sans rien gagner. Et encore, il me reprochait tous les jours mon appétit ou me privait de nourriture pour m’empêcher de grandir ; mais rien n’y a fait, comme vous voyez, ajouta-t-il en souriant de nouveau.
— Pauvre garçon !
— Avez-vous des papiers ? interrogea Mme Morvan.
— Bien sûr, je les porte toujours sur moi, voyez plu tôt. Voici mon acte de naissance, l’acte de mariage de mes parents et leur acte de décès. Vous voyez que je suis en règle. Après avoir marché durant plusieurs nuits, j’ai essayé de me placer, afin d’avoir de quoi me nourrir, mais je n’ai pas de certificat et l’on m’a renvoyé de toutes les fermes. Et puis, la saison est mauvaise, les moissons sont finies et on n’a pas encore commencé les vendanges. J’ai pu me louer deux ou trois fois pour arracher les pommes de terre, on m’en donnait eu échange, et je les ai fait cuire.
— C’est tout ce que vous avez eu à manger ?
— Dame, pas grand’chose d’autre. Je me suis un peu attardé dans ce pays qui est si beau, et j’ai essayé de gravir la montagne ; je craignais de me perdre, par exemple.
— Et pas de rouler dans quelques précipices ? demanda Nicolas en souriant.
— Pas trop, répondit de même le jeune garçon, car je suis fort et adroit. Alors, quand j’ai vu partir hier matin une grande bande pour Belledonne (comme disaient les petits messieurs), je les ai suivis de loin, dans l’espoir d’y aller aussi. Seulement, j’ai pris du temps à chercher au fond du ravin la petite montre que le soleil faisait briller et j’ai perdu leurs traces. Voyant cela, je suis revenu.
— Bien fatigué ?
— Pas trop, mais affamé, et justement, je ne sais guère pourquoi on s’est mis à me poursuivre. Heureusement que je monte aux arbres comme un chat, cela m’a permis de me sauver ; mais j’étais si las que je suis tombé comme une masse au pied d’une meule de foin. C’est là qu’on m’a trouvé. Ces garçons semblaient furieux et m’auraient encore chassé peut-être sans cette bonne dame qui est arrivée et a deviné tout de suite que mon plus grand mal était de mourir de faim et de sommeil.
— Cette bonne dame est ma mère, elle va vous donner un coin pour vous reposer. Puis mon oncle et mou père, qui doivent revenir ce soir, verront comment ils peuvent vous secourir !
— Mais je suis bien capable de travailler, monsieur, répondit vivement José Biller (c’était son nom), je peux faire, je crois, un bon domestique de ferme et je ne crains pas ma peine. Seulement, je veux demeurer dans cette région, car il me faut absolument monter jus qu’à cette belle neige qui ne fond jamais sur les hauteurs, même par la plus grande chaleur.
— Les glaciers ! eh bien, je le souhaite comme vous, reprit le jeune blessé, ravi de rencontrer un confrère en alpinisme. Soyez tranquille, nous arrangerons cela avec papa. Allez vite dormir, je vous reverrai à son retour. Il faut dire qu’un plan très séduisant s’échafaudait déjà dans l’esprit de Nicolas. Pourquoi son protégé, qui semblait rompu par profession à tous les exercices corporels, n’entrerait-il pas dans la phalange glorieuse de ces guides habiles et dévoués qui sont un des apanages du Dauphiné ? Braves gens, honnêtes et dévoués et d’une habileté devenue proverbiale, leur métier, souvent dangereux, est par cela même très intéressant. Un bon guide est un facteur de premier ordre pour la réussite des grandes ascensions, et il est trop juste qu’il soit généreusement rémunéré. Pourquoi José n’embrasserait-il pas cette carrière, qui demande un apprentissage sans doute, mais dans laquelle les qualités d’adresse et d’endurance du jeune clown trouveraient leur emploi ? Nicolas y pensa tant et si bien que, dès le retour de son père, il l’entreprit sur ce sujet et M. Morvan promit de s’intéresser à son protégé. En attendant, celui-ci fut placé en observation dans une ferme voisine et se montra si exact, si laborieux, qu’il mérita vraiment qu’on fît quelque chose pour lui. Restait la question de l’équipement, question importante parce qu’on ne doit lésiner ni sur le piolet, ni sur les cordes, ni sur les chaussures surtout. Il semblait impossible que José réussît de longtemps à gagner la somme assez importante que tout cela représentait. Ce fut encore Nicolas qui intervint. Son genou allait mieux, bientôt on le proclamerait guéri, mais le jeune garçon n’avouait pas qu’il demeurait encore faible et raide. De toute évidence, il lui se rait impossible, cette année du moins, de suivre ses camarades dans leurs grandes expéditions. Alors il prit un grand parti, ou plutôt il fit un grand sacrifice.
— José est de ma taille dit-il un jour à sa mère : les vêtements usagés que vous lui avez donnés lui vont merveilleusement. Me permettez-vous d’y joindre les belles chaussures que je comptais étrenner à Belledonne et que je ne porterai pas cet automne, je le sens bien ?
— Mon pauvre garçon, ceci te regarde, souviens-toi seulement qu’elles étaient le fruit de longues économies.
— Bah ! je tâcherai d’en faire d’autres et de si bien passer en juillet la seconde partie de mon bachot que père ne pourra manquer de m’offrir une récompense. Le tendre baiser de Mme Morvan en était déjà une…

Quelques années se sont écoulées. José Biller est devenu ce qu’on attendait de lui, un guide sérieux et dévoué qui progresse dans son dur métier sous la direction de ses devanciers. Il a choisi la belle région de l’Oisans pour théâtre de ses expéditions et déjà il est recherché par les touristes qui la parcourent chaque été. Bientôt il va faire son service militaire et, devançant l’appel, s’engager parmi les chasseurs alpins, troupe exercée qui ne recule devant aucune escalade. Il y retrouvera Nicolas Morvan, récemment sorti de Saint-Cyr et qui a opté pour le même corps d’élite, dans son amour de la montagne. Le jeune guide et le jeune alpiniste sont restés bons amis.

J. de FERVACQUES.

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