Le Guide de l’Oisans- Histoire de Noël 2/3

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LE GUIDE DE L’OISANS – HISTOIRE DE NOËL 2/3

Sur le même sujet : 
La Revanche du passé 

Publié dans le journal  :
Guignol, cinéma des enfants, 20 mars 1932
Écrit par  J. de FERVACQUES

Le Guide de l’Oisans 1/3Le Guide de l’Oisans 2/3 

Épisode précédent : Nicolas, jeune parisien en vacances dans les Alpes, se blesse en tombant d’une escarpolette. Sa famille organise rapidement les secours. Le docteur diagnostique un épanchement de synovie au genou, nécessitant quinze jours de repos. Nicolas est déçu de manquer l’ascension du pic de Belledonne. Ses amis proposent de faire de sa chambre leur quartier général pour qu’il ne s’ennuie. Le lendemain, il surprend un intrus entrant par la fenêtre…

Hypnotisé, pour ainsi dire, par ce spectacle imprévu, Nicolas ne dit pas un mot, suivant des yeux, avec une curiosité facile à comprendre, les agissements du vagabond, qui ne l’avait point aperçu. Celui-ci étendit son grand bras et déposa un petit objet sur le secrétaire placé non loin de la fenêtre, puis il disparut en usant des mêmes précautions, laissant Nicolas complètement ahuri et maudissant son immobilité forcée, car il brûlait du désir de savoir en quoi consistait ce que l’inconnu avait apporté là. Était-ce une bombe incendiaire, un animal malfaisant ? Toutefois, il se moqua de ses folles imaginations et s’efforça d’attendre avec patience que quelqu’un vînt chez lui. Ce fut Bouboule, une gracieuse fillette frisée de huit ans, à qui ses joues rebondies avaient mérité ce surnom significatif.
— Maman a dit… commença-t-elle. Mais il l’interrompit sans façon.
— Grimpe sur une chaise, Bouboule, et dépêche-toi de regarder ce qu’il y a sur le secrétaire.
La petite obéit et s’écria :
— Tiens ! c’est la montre de Juliette.
— Pas possible ! apporte-moi cela. Mais il lui fallut se rendre à l’évidence, c’était bien la montre de sa sœur, arrachée à demi du bracelet de cuir qui la retenait à son bras. Sans doute s’était-elle accrochée dans son escalade à quelque pointe de rocher.
« Voilà qui est singulier, se dit Nicolas ; Juliette est partie hier matin et l’on rapporte cette montre seule ment aujourd’hui. Quelqu’un aurait-il suivi la troupe à son insu et recueilli cette épave ?… Serait-ce mon inconnu ? » Nicolas remit à plus tard la suite de ses réflexions, car sa chambre fut envahie par les cinq fillettes et, quand cette réunion de sœurs et cousines, vrais petits diablotins, se trouvait quelque part, il n’y avait place que pour elles.
— Nie, ta raie est mal faite, je vais te recoiffer.
— As-tu mis du « sent bon » sur ton mouchoir ? je t’ai apporté mon flacon.
— Pourquoi tu ne peux pas bouger ? fit Mamie, la plus jeunette.
— C’est bien commode pour me faire enrager, n’est-ce pas ? Vous vous imaginez que je ne saurai pas vous attraper. Mais ne vous y fiez pas, je suis un ogre… Et, ce disant, il roulait des yeux terribles en grinçant des dents.
— Qui veut être mangé à la sauce Robert, ou être rôti au bout de ma fourche ? J’aime beaucoup croquer les petits enfants. Toutefois les fillettes ne firent que rire de ces menaces et continuèrent à le persécuter. L’une s’empara de son stylo, l’autre de sa règle, Betty cassa son crayon, et Mamie, plus audacieuse encore, agita bruyamment la grosse cloche que maman avait eu la précaution de placer sur la table du blessé. Ce fut ce qui les perdit. À ce signal d’alarme, maman et tante Berthe accoururent, fort effrayées.
— Pour Dieu ! qu’on me débarrasse de ces démons ! s’écria Nicolas, elles me rendront fou avec leurs inventions.
Des jeunes personnes avaient fui, d’ailleurs, sans de mander leur reste, à la vue des autorités.
— Et l’on prétend que les filles sont plus tranquilles que les garçons ! dit Nicolas, jamais mes frères ni moi ne nous sommes montrés si insupportables. Dans son indignation il oublia de montrer à Mme Morvan la montre apportée sur le secrétaire par une voie si inattendue. Celle-ci installa son fils sur la terrasse dominant un joli paysage, et la journée se passa tant bien que mal pour lui. Des alpinistes devaient revenir le soir même, d’ailleurs, et il se réjouissait d’avance de revoir ses gais compagnons.

Mais, auparavant, il y eut encore un singulier incident. Des cinq petites filles étaient allées se promener, comme de coutume, avec la vieille nounou. Elles avaient porté leur goûter dans le bois, avec mission de ramasser les premières châtaignes, qui commençaient à tomber. Mais, bien avant l’heure convenue, on les vit apparaître rouges et essoufflées, suivies de la nounou qui semblait tout aussi émue qu’elles.

— Comment ! vous voilà déjà ? qu’est-il arrivé ?
— L’Ogre a failli nous attraper, ah ! c’était un vrai, celui-là, il avait des bottes de sept lieues et nous avions tellement peur que nous ne pouvions pas nous sauver.
— Qu’est-ce que cela veut dire, nounou ? interrogea Mme Morvan, n’est-ce point une sottise des petites ? Les bois sont très sûrs d’ordinaire.
— D’ordinaire, oui, madame ; seulement, depuis quelques jours, on voit rôder par là un grand garçon que personne ne connaît dans le pays. Des hommes de la ferme ont essayé de lui donner la chasse, mais il est plus malin qu’eux. Alors, on dit que c’est un espion et tout le monde en a peur.
— Pourquoi n’avez-vous pas averti ces messieurs ? de manda tante Berthe d’un ton mécontent.
— Dame, on aurait mieux aimé le leur amener pieds et poings liés.
— C’est justement ce qu’il faut éviter. Cet errant est peut-être tout simplement un malheureux qu’il faut secourir au lieu de le maltraiter. Cependant la vieille femme répondit vivement :
— De secourir, il ne manquerait que cela ! C’est justement parce qu’on connaît la bonté des messieurs qu’on cherche à le corriger, avant qu’ils s’emmêlent.
— Pourquoi le corriger ? que lui reproche-t-on, sinon de se cacher ?
— C’est déjà pas bon signe, et les sorts qu’il jette partout où il va, n’est-ce rien ?… À la ferme de Ronchaux, les poules ont cessé de pondre après son pas sage, et le blé tombe en poussière s’il le touche du bout du doigt. Et le poulain des Mativers, qui s’est cassé la jambe ; et le cochon des Benoit (sauf votre respect, Madame) qui s’est mis tout à coup à maigrir au lieu d’engraisser !… La nounou allait, allait comme un moulin, on voyait qu’elle avait eu grand-peine à retenir sa langue jusque-là.
— S’est-on aperçu de vols, de déprédations ?
— Pour voler, je crois qu’il ne vole pas, fit-elle comme à regret, et cela prouve une fois de plus qu’il est sorcier, car il ne peut pas se nourrir de l’air du temps.
— C’est bien, nous raconterons tout cela à mon mari et à mon beau-frère ; ils tireront cette histoire au clair. Mais ce sorcier, comme vous dites, a-t-il réellement effrayé les enfants en les poursuivant ?
— Je peux pas assurer cela, répondit la nourrice avec embarras, mais on l’a vu de loin, perché sur la plus haute branche du gros chêne, et c’est moi qui les ai engagées à se sauver.
— Eh bien ! ne recommencez plus, je vous prie. Cœur qui est nerveuse aura certainement un cauchemar cette nuit et Mamie fait un tas d’histoires : à l’entendre elle a vu l’Ogre avec des bottes de sept lieues qui lui courait après. La brave femme se retira assez mécontente de l’incrédulité de Madame. Quand elle se fut éloignée, Nicolas dit en souriant à sa mère :
— Ce qu’il y a de singulier, c’est que j’ai vu de même cet inconnu. Il est entré dans ma chambre ce matin par la fenêtre, on aurait dit un grand singe, tant il est leste et chevelu.
— Comment n’as-tu pas sonné, appelé ?…
— Il a disparu si vite que je n’en ai pas eu le temps. À vrai dire, je me demandais surtout ce qu’il avait bien pu poser sur le secrétaire.
— Et c’était quoi ?
— La montre de Juliette, tout simplement, le mouvement arrêté bien entendu, et le bracelet de cuir à peu près déchiqueté.
— C’est étrange, en effet ; on marche longtemps dans les prairies pour atteindre la Fra, ce n’est que durant l’escalade que ta sœur a pu perdre cette montre à laquelle elle tient beaucoup. Voilà qui me donnerait meilleure opinion de l’espion, comme dit nounou.
— De l’espion ? contez-moi cela ? Et Mme Morvan répéta à son fils les commérages de la vieille femme, traitant d’ogre et de sorcier le jeune inconnu que l’on voyait depuis quelques jours errer dans les parages. On allait même jusqu’à le traiter d’espion, ce qui est l’injure suprême.
— En tout cas, c’est un espion honnête, répliqua Nicolas, il ne tenait qu’à lui de s’emparer de ce joli bijou.
— Mais quelle drôle de manière de le restituer !…
— Dame, il se méfie peut-être, on a dû lui faire la chasse et il craint d’être reçu à coups de fourche, s’il se montre ouvertement. Les événements donnèrent sans tarder raison à Nicolas. Une poule ayant été trouvée saignée au bord de la route, le fermier vint officiellement accuser l’inconnu de ce méfait.
— Ne serait-ce pas plutôt la fouine ? insinua tante Berthe. De tout temps vous vous êtes plaint de ses méfaits.
— Pas en plein jour, not’dame, ces vilaines bêtes ne sortent que la nuit.
— Mais ce malheureux n’aurait pas manqué d’emporter la bête pour la faire cuire ?
— Il n’en a pas eu le temps, il a dû être surpris ; si on le rencontre, gare à lui !…
— Adressez-vous d’abord au garde champêtre.
— Bah ! c’est un ivrogne, vaut mieux se faire justice soi-même.
— Ne tourmentez pas ce garçon avant le retour de ces messieurs, ordonna Mme Morvan, ils jugeront eux-mêmes de la conduite à tenir. Toutefois, pendant que le père Gachet parlementait avec not’dame, son fils et deux domestiques s’étaient mis à la poursuite de l’étranger, bien résolus à lui de mander raison de la poule tuée. Tous trois se partagèrent les champs, afin de ne pas le manquer. Mais on eût dit qu’il possédait le don d’ubiquité. De temps à autre on entrevoyait sa haute silhouette, on se précipitait, croyant le saisir et, crac ! il disparaissait.

Les trois garçons se retrouvèrent essoufflés, ayant fait buisson creux.
— Il n’y a pas à dire, c’est de la diablerie… Je l’ai vu de mes yeux, en guenilles, les cheveux au vent, il n’était qu’à quelques pas quand… frrrit !… le voilà qui s’envole !
— Et moi de même, il m’a glissé des doigts !
— Si nous détachions Fot, proposa le valet, il n’en mènerait pas si large. C’est un chien qui n’a pas son pareil pour attraper les gens. Seulement, faut se méfier, il a de bonnes mâchoires.
— On pourrait encore se mettre à l’affût cette nuit. Cependant, lorsque le père Gachet revint au logis, il mit à néant tous ces plans sanguinaires.
— Madame ne veut pas qu’on se mêle de ce garçon, dit-il d’un air bourru ; les messieurs verront à s’en occuper quand ils reviendront ce soir.

Toutefois cela ne faisait pas l’affaire de cette jeunesse qui ne rêvait que plaies et bosses. Le père avait parlé pourtant et cela suffisait, car il n’était pas tendre envers ceux qui se rebellaient. Chacun se défila en grommelant à part lui et, tout à coup, le hasard leur fournit l’occasion qu’ils cherchaient en vain depuis le matin. En allant faucher la luzerne, Justin découvrit, étendu à l’ombre d’une meule de foin, un jeune homme qui semblait exténué et ne faisait pas un mouvement, bien qu’il ne dormît pas. Il répondait de tous points au signalement du vagabond qu’on avait poursuivi en vain.

À suivre…

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