Le Lauvitel et ses truites

LE LAUVITEL ET SES TRUITES
Une fois n’est pas coutume un article un peu long (que j’espère intéressant) sur le site du Lauvitel, avec un petit compte rendu de ma dernière promenade et deux textes du milieu du XIXe qui parlent de l’empoissonnement du lac à la fin du XVIII par le « bon curé Garden ».

Tous les Uissans vous le diront, pour une mise en jambe, la première promenade à faire c’est bien le Lauvitel.
Un panorama extraordinaire, un lac de montagne comme sur les plus belles cartes postales a à peine une heure de marche du hameau de la Danchère sur un chemin facile, bien balisé.
À 1500 m, le lac a une surface qui varie d’environ 35 ha à son niveau le plus bas et peut s’étendre à un peu plus de 38,9 ha à son niveau le plus haut (soit environ 20 m d’amplitude sur sa hauteur entre les deux niveaux). Il est profond de 65 m, mesure plus de 510 m sur sa grande largeur et plus de 970 m sur sa grande longueur.
Le Lauvitel (Lovitel sur d’anciens documents) veut dire littéralement Lac-d’eau ou  Lac-lac, selon Paul-Louis Rousset, dans le nom Lauvitel il y aurait aussi la racine « Lava » qui signifie avalanche.
En effet, il y a sans doute fort longtemps, un éboulement, venu des pentes du Rochail, fut à l’origine de la formation du Lac. D’ailleurs, quand on arrive au bout de la randonnée, un important monticule pierreux fait d’énormes blocs de roches occultant la vue sur le Lac. Il faut dépasser ce barrage naturel pour admirer ce trésor alpin dans son entièreté.
Le vallon qui se trouve dans le prolongement du lac, sur sa partie arrière, est classé réserve naturelle intégrale depuis 1995.

Par ce chemin de randonnée facile, un grand nombre de touristes est injecté sur les abords du lac chaque année. À la pleine saison, c’est souvent l’overdose.
Le site est malheureusement aussi victime de son succès, ou plus exactement il subit les dommages collatéraux de la bêtise d’une minorité, incapable d’apprécier et de respecter la beauté du lieu comme un cadeau divin, merveilleux, unique, fragile. Les rives et abords proches du Lauvitel sont souillés chaque été par des tonnes d’immondices, déchets, poubelles, déjections, emballages… parfois cachés sous les pierres ou balancés dans le creux profond des rochers. Périodiquement, des campagnes de nettoyage nécessaires pour la préservation du site sont lancées par des associations. Sans ces bénévoles et leur implication, ce joyau des Alpes Françaises serait devenu une décharge à ciel ouvert. C’est un bien triste constat.
Les marmottes du site, semi-apprivoisées ou conditionnées par l’omniprésence de l’homme se laissent docilement approcher, prendre en photo et même nourrir presque comme des animaux domestiques. Un article du Dauphiné du 11 juin 2011 relatait qu’une étude du CNRS révélait que les marmottes succombaient de diabète, victimes de ce nouveau régime alimentaire constitué de biscuits, cookies, barres de céréales ultrasucrées, et chocolat (imputable à la pub Milka) directement apporté par les touristes. Ces derniers, ne pensant pas mal faire et pour une belle photo, partagent leur confiserie avec le charmant petit animal. (Je pense aussi, pour l’avoir vu, que les poubelles abandonnées sur le site sont aussi un vecteur de ce nouveau mal, la marmotte gourmande et curieuse ne rechignant pas à fouiller dans les sacs d’ordures balancés par des sagouins.) Je ne suis pas parvenu à trouver le dossier du CNRS pour savoir exactement de quoi il en retournait. Je ne relègue cette dernière information qu’avec des pincettes, sans plus d’étonnement que la « mal-bouffe » qui tue les hommes, touche aussi les animaux soumis aux mêmes régimes, chiens, chats obèses, maintenant marmotte diabétique, pourquoi pas…
Je me contenterais juste de rappeler que la marmotte est un animal sauvage capable de vivre en parfaite harmonie avec son environnement. Son régime alimentaire est radicalement différent du nôtre. Notre attitude ne doit pas transformer ce rongeur emblématique des Alpes en « clochard des montagnes ».
Nourrir un animal sauvage sans connaître son régime alimentaire a de fortes chances de le rendre très malade, de l’empoisonner, ou de le tuer. Pensez-y avant de lui faire prendre la pose pour la photo.

Voici un premier texte sur l’empoissonnement du Lac. Le lac voit son altitude augmentée de 2000 m, il est considéré comme l’un de plus haut lac des Alpes. Le Vénéon adopte la graphie Vénéou. Les truites du lac atteignent 6 kg.

Par la Société scientifique du Dauphiné, Société de statistique des sciences naturelles et des arts industriels du Département de l’Isère, Société scientifique de l’Isère — 1838 — Volume 1

Vers le sud, en Oisans, on remarque les torrents appelés la Romanche et Véneou, le lac Lovitel et la cascade de la Pisse.

La Romanche est un torrent considérable dans l’Oisans ; elle prend sa source à 6000 mètres, au sud-ouest, du Villard d’Arène, au pied d’un vallon de glace qui communique au Valgaudemar, dans une traversée de deux heures de chemin. Ce torrent, qui roule ces eaux avec fracas, fournit des truites saumonées jusqu’au Bourg-d’Oisans, et la truite commune, salmo fario, L., depuis le Bourg-d’Oisans jusqu’au Saut-du-Moine, au-dessous de la Basse-Jarrie, où elle fait sa jonction avec le Drac.

Le Véneou est un autre torrent aussi volumineux, plus bruyant et plus rapide dans son cours que le premier ; il prend sa source dans les glaciers de la Bérarde, et vient se jeter dans la Romanche, au Bourg-d’Oisans ; il est également poissonneux et donne la truite saumonée.

Le lac de Lovitel, situé dans la commune de Venosc, est un des plus élevés dans les Alpes ; placé à l’est de la montagne de Lafond, il a près de 3400 mètres d’élévation au-dessus du niveau de la mer.

Ce lac fut empoissonné pour la première fois, il y a environ quarante ans, par un ancien curé de Venosc, encore vivant, nommé Garden, homme de mérite, et livré par goût à l’histoire naturelle ; les truites qu’il y apporta à cette époque ont si bien réussi et tant multiplié qu’on en pêche du poids de un jusqu’à six kilogrammes; mais la pêche n’y est praticable que pendant les mois de juillet et d’août.

Deuxième texte, plus de trente ans après, avec quelques précisions supplémentaires sur le lac et notamment sur sa superficie de 50 ha (qui me semble exagérée même pour l’époque, car physiquement impossible en raison du dépassement du niveau du trop-plein).
La technique de pêche au fusil me semble tout simplement incroyable, je n’ai pas trouvé de texte qui explique avec plus de précision cette pêche (chasse). J’avais pensé à une technique proche de la pêche à la dynamite qui consiste à blaster le poisson par onde de choc. Mais là il est question de tirer le poisson hors de l’eau, au moment où il bondit pour saisir un insecte.
Si vous avez des informations sur cette pêche au fusil, je suis très intéressé. On parle déjà de pollution vénéneuse du lac. Les truites du lac n’atteignent plus que 3 kg.

Par la Société scientifique du Dauphiné, Société de statistique des sciences naturelles et des arts industriels du Département de l’Isère, Société scientifique de l’Isère — 1867 — Volume 1

Le plus grand de nos lacs élevés, le Lovitel, dans la commune de Venosc, en Oisans, voit, comme les Sept-Laux, décroître aussi sa population depuis quelques années. Ce beau lac est alimenté par cinq ou six courants provenant des glaciers qui le dominent et qui lui apportent en outre, pendant le printemps et l’été, les produits de la fonte des neiges. Ses eaux remplissent, à cette époque de l’année, tout le fond du vallon qui lui sert de bassin et couvrent alors une surface de plus de 50 hectares, mais, à mesure que les ruisseaux affluents, diminuent ou tarissent, les eaux du lac décroissent graduellement, se réduisent en étendue et arrivent à leur minimum pendant l’hiver (le plan cadastral donne au Lovitel une surface moyenne de 34 hectares 9 ares). Dès le mois de novembre, il est entièrement couvert par la glace, et elle acquiert une telle épaisseur pendant l’hiver, que des avalanches énormes, parties de plusieurs centaines de mètres au-dessus ne peuvent, par leur chute, rompre la glace sur laquelle elles s’entassent et séjournent jusqu’au printemps. Le dégel commence ordinairement dans le courant d’avril, mais il n’est jamais complet qu’en mai, et c’est alors seulement que la pêche devient possible; mais la profondeur des eaux, et surtout leur grande étendue, la rendent difficile et infructueuse pendant encore deux mois, et elle n’est utilement exploitée qu’en juillet et août. On y emploie la nasse, la ligne de fond, la ligne volante et des filets de diverses sortes et dimensions. De plus, on y pêche la nuit au flambeau, et enfin, on tue le poisson au fusil. Le chasseur profite des belles matinées d’été et du lever du soleil; à ce moment, des milliers d’insectes voltigent à la surface du lac et les truites s’élèvent à fleur d’eau pour saisir ceux qui sont à portée de leur attaque. C’est le moment que choisit le chasseur pour tirer sur le poisson. Quand il n’est que blessé, il plonge d’abord, mais pour reparaître bientôt flottant à la surface.

Malgré ces nombreux moyens de pèche, la truite avait prospéré jusqu’à ces dernières années dans le Lovitel, garantie qu’elle était pendant huit ou dix mois, soit par les glaces, soit par les grandes crues du lac, trouvant d’ailleurs en abondance pour se nourrir la bouvière qui, elle aussi, habite le Lovitel, et des quantités incroyables d’insectes qui sont attirés par les grands troupeaux de moutons qui paissent pendant tout l’été sur les bords du lac. Mais depuis quelques temps, une pratique désastreuse s’est introduite dans le pays : comme aux Sept-Laux, on a jeté à diverses reprises de la coque du Levant dans le lac, et les coupables auteurs de ces méfaits avouent eux-mêmes que, depuis lors, il y a eu un dommage notable sur le poisson. Mais ils prétendent aussi que les truites de grande taille sont nombreuses dans les profondeurs du lac où on ne peut pas les atteindre, et qu’elles sont la principale cause de la destruction des jeunes. Il paraît qu’en effet on prend dans le Lovitel plus de truites de 1 à 3 kilog. que de celles d’un poids inférieur ; quelques-unes arrivent même à de très grandes dimensions.

Bien ou mal fondée, l’explication donnée par les habitants de Venosc ne change rien à l’exactitude du fait principal, savoir, que l’on prend dans leur lac plus de truites de moyenne grosseur que de petite: or, il serait très possible de rétablir l’équilibre et de faciliter le développement des jeunes: il suffirait de n’employer pour la pêche que de gros hameçons, des filets à grandes mailles et des nasses à larges claires-voies.

Le moyen primitif, qui est aussi le plus simple, est connu de tout le monde ; c’est de jeter dans l’eau que l’on veut empoissonner un certain nombre d’individus de l’espèce ou des espèces à propager. Mais on a prétendu que le poisson transporté d’une eau dans une autre s’y acclimate difficilement, que souvent il crève, que presque toujours il devient stérile et qu’au contraire cette même localité sera facilement empoissonnée si on y dépose, avec les précautions convenables, des œufs fécondés suivant le procédé dit Gehin. […]

[…] Ces affirmations sont-elles motivées ? sont-elles appuyées sur des faits bien observés, sur des expériences bien faites ? Les exemples de réussites par le procédé ordinaire ne font pourtant pas défaut. C’est par ce procédé que vers 1770 le curé Garden, de la paroisse de Venosc en Oisans, empoissonna de truites le lac Lovitel. Le succès fut complet et d’autant plus prompt que le lac est couvert de glace pendant six à sept mois par an, nous l’avons déjà dit, et que la pêche n’y est facile que pendant deux mois. Les truites s’y multiplièrent donc rapidement et arrivèrent bientôt à la limite maximum fixée par les ressources alimentaires qu’elles trouvent dans ce bassin et par les difficultés locales de la pêche qui, réduite aux moyens ordinaires, n’a pas d’influence appréciable sur la colonie.

Toutefois, la richesse du Lovitel augmenterait certainement, si d’une part on cessait d’y jeter des matières vénéneuses, et si d’autre part on parvenait à y introduire des poissons d’espèces non carnassières, telles que le goujon, la vandoise, le meunier et autres espèces non piscivores, qui trouveraient pour se nourrir les débris provenant des herbes qui croissent en abondance sur une partie des bords du lac pendant l’été, et les innombrables petits mollusques et autres animaux qui y pullulent comme dans toutes les eaux douces. Ces poissons fourniraient à la truite une pâture abondante qui tournerait au profit de cette espèce. Parmi un bon nombre d’autres cas de réussites d’empoissonnements directs que nous pourrions citer, nous en mentionnerons encore un qui a beaucoup d’analogies avec celui du Lovitel, dû à un magistrat éminent de la Cour impériale de Grenoble, qui a obtenu par le procédé Garden autant de succès que le bon curé de Venosc.

Pour conclure, je vous invite à vous replonger dans le Guide du Voyageur dans l’Oisans, page 66-68, le Dr Roussillon parle de « berger gondolier » du lac et des traversées en barque pour le touriste.

Vous pouvez aussi voir la visite du site du Lauvitel par les enfants de l’école du village du Freney d’Oisans.
Le diaporamaLes Chemins du LauvitelSur le Forum

Sources :
Guide du voyageur dans l’Oisans, Docteur Roussillon
Noms de lieux quelle histoire, Pierre Barnola
L’Oisans – Recherches historiques, Louis Cortès
Google Book : Société scientifique du Dauphiné V1  Ed. 1838 – Société scientifique du Dauphiné V1  Ed. 1867
Parc National des Écrins
Wikipedia

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