Les Balcons de l’Oisans

Promeneurs au Plateau d’Emparis, Eugène Charpenay, deuxième moitié du XIXe siècle. Collection du musée Dauphinois.

LES BALCONS DE L’OISANS

L’ACTION FRANÇAISE
29 juin 1932
TOURISME

NOTA : « Les Balcons de l’Oisans » s’inscrivent dans une dynamique touristique de l’entre-deux-guerres, ce projet, mené tambour battant par MM. Chaix et Auschier, président et vice-président du Touring Club de France, soutient la création d’un parcours alpestre vertigineux, « incomparable série de belvédères » d’une haute route reliant Le Bourg-d’Oisans au Lautaret en passant par : Huez, Clavans, Besse, le plateau d’Emparis et le Chazelet…

Une œuvre grandiose
Suivant une coutume, devenue maintenant une tradition, le Touring Club de France a reçu la presse à déjeuner. J’entends tous ceux qui, sans distinction de couleur ou d’importance des journaux auxquels ils collaborent, s’intéressent aux questions touristiques. Au cours du déjeuner donné, suivant une autre tradition, dans un restaurant des Champs-Elysées, le président Edmond Chaix fit un exposé des travaux accomplis par le T. C. F. au cours de ces douze derniers mois, ainsi que de ceux qu’il projette pour l’avenir. On se doute que ce fut un peu long ; aussi la conférence commença-t-elle aux hors-d’œuvre pour ne se terminer qu’au café. De cette copieuse et glorieuse énumération, je ne veux retenir aujourd’hui qu’un projet, mais un projet gigantesque, grandiose, qui ajoutera au domaine touristique de la France, déjà si riche, un inestimable joyau. Il en faut parler tout de suite, car son exécution demande tant de temps et d’argent qu’il convient que tous, dans notre sphère et selon nos moyens, nous venions aider ceux qui ont eu l’audace de l’entreprendre. Il s’agit de là route du Balcon-de-l’Oisans. Je crois bien en avoir parlé incidemment ici, mais ce n’était alors qu’un projet en l’air, sans jeu de mots — jeu excusable pour un tel balcon — mais, maintenant, le projet prend corps. Que dis-je, il est là, sous mes yeux, dans la superbe plaquette, luxueusement éditée, magnifiquement illustrée et présentée avec un goût parfait, qui nous a été remise à l’issue de ce déjeuner. Le fervent alpiniste qu’est M. Maurice Paillon, rédacteur en chef de la Montagne, qui en est un peu le père, nous le développe avec un enthousiasme qui n’exclut pas la précision. Il s’agit, abandonnant, ou plutôt, doublant la route de la vallée, qui remonte le cours de l’impétueuse Romanche, et, par la Grave et Villar-d’Arène, relie le Bourg-d’Oisans au col du Lautaret, d’établir une nouvelle route qui s’élèvera sur les hauts plateaux, dominera la vallée et, pendant une cinquantaine de kilomètres, se maintiendra à 2.000 mètres d’altitude. Un balcon. Mieux, une succession de balcons. Et quels balcons! Le balcon d’Huez, sur la plaine de l’Oisans et devant le Grand Rochail ; le balcon de Sarennes, ses vues dominantes sur Clavans et le Grand Ferrand, ses vues lointaines sur le glacier du Mont-de-Lans; le balcon d’En-Paris, son lac, son, panorama des cimes de l’Oisans et, plus belle que toutes, la Meije, dressée sur son glacier comme sur un dôme éblouissant; le balcon du Chazelet suspendu au-dessus de La Grave, celui de l’Aiguillon avec la vision de la Montagne des Agneaux et du géant du massif, la Barre-des-Écrins. Région magnifique, presque inconnue à l’heure actuelle, route admirable que celle qui permet, comme le dit si bien le président Chaix, d’embrasser d’un seul coup d’oeil, l’altier profil de la Meije et l’impressionnant alignement des aiguilles d’Arve. Les Romains, qui sont restés nos maîtres en matière de voirie, comme en certaines autres, avaient précisément adopté, du moins en partie, pour un but stratégique, ce parcours, afin d’éviter les marécages de la vallée. Il fut utilisé jusqu’au moyen âge où fut tracée, sur la rive gauche de la Romanche, le chemin des Dauphins, auquel Napoléon devait substituer la route actuelle. Ce parcours en rocade servit, au début du XVIIIe siècle, au maréchal de Berwick pour son plan de défense des Alpes.
Tout n’est pas à créer dans ce tracé. On utiliserait, d’abord, la route tracée par le Touring Club pour atteindre l’Alpe d’Huez; de même, après le col de Sarennes, on trouve à Clavans d’en haut une bonne route qui conduit à Besse, vieux village, avec une curieuse auberge et auquel il faudra se garder de toucher. Plus loin après avoir franchi à 2.362 mètres le col du Souchet, on joindra au Rivet-du-Pied, la route du Chazelet qui, remontant le vallon de Maurian, mène à Valfroide. Enfin, la dernière partie du tracé, par le Collet de Golèfre, le lac du Pontet; se maintenant toujours à une altitude moyenne de 2.000 métrés, rejoindra la nouvelle route du Galibier à son premier coude au-dessus du Lautaret. On voit quelle perspective s’ouvre pour les touristes et quelle joie de travailler dans ce terrain nouveau, pour tous ceux qui ont à cœur de faire connaître les beautés de la France. Seuls les égoïstes regretteront que de tels trésors ne restent pas réservés à une élite. Mais le temps est passé où la montagne était considérée comme un sanctuaire ouvert aux seuls initiés qui se gardaient bien d’en soulever le voile. Naturellement, une route d’une telle splendeur ne se comprend pas sans quelques hôtels qui permettent au touriste de s’arrêter ou de séjourner. Outre l’hôtel de l’Alpe d’Huez, qui figure déjà et indépendamment du nouveau tracé, dans les projets de première urgence du Touring Club, un grand hôtel serait à prévoir sur le plateau d’En-Paris, au bord du lac Lérie, à 2.400 mètres; un autre, plus modeste, pour rait s’élever au Rif-Tord. Tous trois, points de départ de courses agréables en été seraient, en hiver, placés au milieu des meilleurs champs de neige qu’on puisse rêver. Toutes nos stations de sports d’hiver, en effet, sont, en France, à une altitude trop basse. À 2.400 mètres, au contraire, les skieurs trouveront, dans un air très sec, sous un ciel très pur, cette neige aux aiguilles cristallines qu’ils rencontrent si rarement dans les vallées. Ils auront à leur disposition les champs de neige infinis et les courses magnifiques, aux difficultés graduées permettant de dépasser 3.000 mètres. Pourquoi aller chercher en Suisse ou en Autriche quand nous avons, aussi bien, sinon mieux, en France ? Tous ces grands projets demandent, comme je le disais plus haut, beaucoup d’argent. Mais ils peuvent entrer dans le plan d’outillage national et avec l’appui des départements, des communes, du P.-L.-M., intéressé au développement de cette région, les grandes associations, ils peuvent être menés à bien. Le tout est de donner le premier coup de pioche. Souhaitons qu’il ne se fasse pas trop longtemps attendre.

Marcel VIOLLETTE

 

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