Les Folies Dolle !

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Les jardins des Dauphins, carte postale du début du XXe siècle, collection Freneytique.

LES FOLIES  DOLLE !
Le projet fou d’une famille de colporteurs, marchands de l’Oisans
Remerciements à MM. Bernard François, Denis Veyrat et Gérard Dionnet pour leur aide et documentations. 

Source : Gallica
Journal « Les Alpes Pittoresques », parution du 15 décembre 1908

NOTA : Les DOLLE sont originaires d’Ornon en Oisans, où l’on retrouve leur trace dès le XVIIe siècle.
Marc DOLLE (le père) se marie une première fois avec Adrienne GAILLARD. Elle meurt en couche en mettant au monde Antoine (surnommé l’Américain) premier fils, né au Bourg-d’Oisans en 1728.
Antoine débarquera à Saint-Domingue en 1748. 
Marc DOLLE a ensuite deux fils de son deuxième mariage avec Justine-Françoise RABY (de Briançon). Marc et Jean-Baptiste, les frères DOLLE, sont les protagonistes de notre histoire.

Antoine DOLLE (l’Américain) est le pionnier de deux dynasties de propriétaires, sur l’île de Saint-Domingue, d’une très vaste plantation de canne à sucre à laquelle étaient attachés très précisément 243 nègres esclaves. La production de cette plantation était écoulée dans les maisons importantes qu’ils possédaient à Grenoble, Lyon, Beaucaire, Marseille et Bordeaux.
À la veille de la Révolution, la fortune des Frères DOLLE est estimée à 1,5 million de livres tournois*, dont la moitié investie à Saint-Domingue.

Entre 1786 et 1789, Jean-Baptiste DOLLE et son frère Marc font aménager aux pieds de la Bastille « Leurs jardins » très rapidement baptisés « Les Folies DOLLE » par les Grenoblois. Cet aménagement composé de 6 terrasses superposées, taillées directement dans le roc de la falaise par Louis LESSUEUR, architecte ingénieur-géographe du Roi, sera considéré comme la demeure la plus somptueuse de la ville (lire texte ci-après).

À la veille de la Révolution, « les fortunes des DOLLE et des RABY (deux familles apparentées par des liens matrimoniaux) comptent les biens parmi les plus considérables et les plus variés de Grenoble. Aux biens coloniaux s’ajoutent les immeubles dauphinois urbains et ruraux, les fonds de commerce, les créances, les capitaux liquides. »

En 1789 la révolution éclate.

En juillet 1790, les frères DOLLE organisent et offrent confraternellement, un incroyable feu d’artifice aux 20 000 concitoyens de la capitale des Alpes.
En 1791, menacé par la Terreur, Jean-Baptiste DOLLE lègue « volontairement » ses biens à la Nation.  
Malgré tout, son nom figure et reste sur la liste des personnes suspectées de comploter contre la révolution. Les mœurs débridées de cette famille, leur train de vie somptuaire et certaines relations connues de Jean-Baptiste ne passent pas.
J.-B. DOLLE s’exile alors à Saint-Domingue et perd, par là-même, la totalité de ses biens laissés en métropole.
Par la suite, de mauvais investissements, notamment avec l’affaire des Vazes, une importante plantation de l’île, achetée à prix d’or, qui se révèlera finalement un véritable gouffre financier, puis le climat politique instable et enfin la révolte des esclaves (entre juin 1793 et juin 1794 à Saint-Domingue)… autant d’évènements qui auront raison de la fortune considérable des DOLLE. En quelques années, ils vont tout perdre. 
Cette épopée est racontée dans le détail dans le livre de Pierre LÉON : Les Dolle et les Raby, marchands et spéculateurs dauphinois dans le monde antillais du XVIIIe siècle. Société d’édition « Les Belles Lettres », Paris 1963.

*À titre indicatif, sur la base du prix du gramme d’or, il faudrait multiplier par ± 15, cette somme pour connaitre la valeur en euros actuels. En 1780 le coût d’un bateau négrier partant pour St Domingue pouvait couter jusqu’à 300 000 livres tournois. La valeur d’un.e esclave varie selon l’âge et l’aptitude entre 150 et 3000 livres (femme), 4000 livres (homme) et 1800 livres (enfant jeune adolescent.e).

LES FOLIES DOLLE 

Le finissant automne 1908 nous réservait une sensationnelle surprise : la divulgation par le Syndicat d’initiative de son projet transformant les Jardins Dolle en lieu de plaisance et but de promenade pour nos hôtes étrangers.

Les Jardins Dolle ! Qui donc, jusque-là, en avait entendu parler ? Tous, pourtant, nous connaissons cet éperon de rocher qui se détache du Mont Rachais, au-dessous de Rabot et se prolonge du nord au midi, presque jusqu’à la Porte-de-France, de laquelle il a été isolé il y a quelques années. Tous aussi, nous savions, que lors du dernier grand emprunt municipal, la Ville de Grenoble s’était rendue propriétaire de cette fraction de nos anciennes défenses, de ce rocher encore couronné des murailles que le Connétable y fit édifier dans les dernières années du XVe siècle.
Mais ce nom de Dolle, bien peu parmi nos concitoyens le connaissaient, malgré qu’un de nos plus savants archéologues grenoblois, M. G. Vellein, ait consacré une très complète et très documentée monographie aux « Jardins Dolle », sous ce titre suggestif : L’Habitation de plaisance d’un Grenoblois au XVIIIe siècle ».
À voir l’appareil guerrier de cette enceinte, avec ses échauguettes en encorbellement, ses embrasures, ses meurtrières, qui donc, sauf M. Vellein et ceux de ses amis qui eurent le plaisir de lire son intéressante étude, aurait pu se douter que le rocher stérile de la Porte-de-France servit, jadis, de cadre à la plus pittoresque des propriétés de plaisance ?
Ce site eut cependant son heure de vogue, à la fin du XVIIIe siècle, sous le nom de Jardins Dolle que le populaire, en son langage expressif et imagé, trouva plaisant de changer en celui de « Folies Dolle ».
Aujourd’hui, par un de ces retours imprévus de la destinée des choses, les Jardins Dolle se voient appelés à retrouver leur ancienne splendeur, et à concourir, cette fois, au plan d’amélioration et d’embellissement que poursuit, avec une admirable persistance notre Syndicat d’initiative, en vue de consacrer définitivement Grenoble comme capitale du Tourisme alpestre.
Quel plus pittoresque emplacement, plus ensoleillé et en face d’un merveilleux panorama, pouvait être choisi par notre Syndicat d’initiative, pour réaliser son rêve de retenir parmi nous les étrangers ?
Du haut de cette sorte de promontoire, orienté en plein Midi, l’on domine la ville et la vallée en une perspective ravissante, l’on découvre le massif du Villard-de-Lans, les sommets du Vercors, les deux croupes de Taillefer, et dans le lointain la cime neigeuse de l’Obiou. Au pied des dentelures argentées de Belledonne, les yeux se reposent sur les riches cultures du Graisivaudan coupées par les méandres capricieux de l’Isère et le cours torrentueux du Drac. Les beautés naturelles que l’on apercevait de la fameuse grotte de Calypso, dont Fénelon a fait une description devenue classique, ne sauraient surpasser celles que l’on peut admirer de ce site.
Admirable « Cagnard » exposé en plein Midi, abrité des vents du Nord et de l’Ouest par le rocher de Néron et les contreforts du massif de la Chartreuse, les Jardins Dolle sont appelés, en hiver, à faire une victorieuse concurrence à la Côte d’Azur et aux rochers de l’Esterel, avec un spectacle au moins plus enchanté que celui de la route de la Corniche de Monaco à Menton, où l’on ne voit que la mer, rien que la mer éternellement bleue.
Du nouveau « Jardin des Étrangers », le touriste exotique en voyage parmi nous, sans longues heures d’ascension pénible, aura à sa portée, à la portée de son rayon visuel, le détail de la splendeur naturelle de la terre dauphinoise montrant ses richesses exploitées, vivifiées par l’industrie, avec à ses pieds Grenoble, sillonné par ses voies de circulation multipliées.
Comment et par quel miracle de ténacité, notre Syndicat d’initiative est-il arrivé, avec le concours de tous les hôteliers de Grenoble, à concevoir, à organiser et à mettre sur pied, au point de vue artistique et financier, son projet de « Jardin des Étrangers », c’est ce que nous rappellerons brièvement tout à l’heure, les détails en ayant été déjà donnés par la presse quotidienne ?
Pour l’instant, que l’on nous permette de jeter un rapide coup d’œil sur le passé et de faire revivre en un court historique emprunté à la notice de M. G. Vellein, que nous ne pouvons, à notre grand regret, que résumer, — la splendeur relativement récente et aujourd’hui disparue des Jardins Dolle.

LES « FOLIES »
Le créateur de ces jardins, Jean-Baptiste Dolle. était le plus jeune d’une famille de négociants, originaire de l’Oisans, qui, vers 1750, vint s’établir à Grenoble d’où elle fit avec toute la France un commerce important de denrées coloniales, sous la raison sociale Dolle frères.

La famille Dolle possédait dans l’île de Saint-Domingue, en 1785 une plantation sucrière d’une superficie considérable, et à laquelle étaient attachés 243 nègres et 129 mulets. La prospérité de cette exploitation était telle que son rendement avait dépassé trois cent mille livres ; mais la célèbre insurrection des nègres vint, en même temps que la fortune de beaucoup d’autres colons, anéantir celle de la famille Dolle dans l’île de Saint-Domingue.
En 1790, nous retrouvons les deux frères. Jean-Baptiste Dolle et Marc Dolle officiers de la garde nationale, faisant acte de zéles promoteurs de la Fédération grenobloise du 11 avril, qui réunit, en une patriotique manifestation, plus de 8.000 gardes nationaux au Champ-de-Mars.
Devenu suspect, malgré ses déclarations démocratiques, Marc Dolle n’hésita pas, au moment où le parti montagnard prit le pouvoir, à se faire terroriste et dénonciateur.
Quant à Jean-Baptiste Dolle. le jeune, il resta fidèle à la politique modérée, et par crainte de sa liberté et peut-être de sa vie, il émigra dès qu’il vit Robespierre faire de la guillotine un instrument de despotisme.
Comme l’émigration entraînait la perte des biens, les riches propriétés de Dolle passèrent à titre de confiscation dans le domaine de la Nation, et avec elles les jardins qu’il avait créés à grands frais sur la roche de Château-Feuillet.

Au XVe siècle, ce rocher, surmonté d’un castel délabré, faisait partie des biens importants que le Chapitre de Notre-Dame possédait dans ce quartier. Il passa ensuite entre les mains de divers acquéreurs, pour finalement être vendu, en 1785, au prix de 2.400 livres, par Prunelle de Lières, à Jean-Baptiste Dolle.

À ce moment, la tour, sentinelle imposante des temps féodaux, qui dominait au moyen-âge la chapelle de la Porte-de-France, dressait encore à une grande hauteur ses épaisses murailles : de nos jours, ses ruines dépassent à peine la crête du rempart.
Jean-Baptiste Dolle résolut de transformer la roche de Château-Feuillet et d’y créer des jardins qui devaient rappeler à plus d’un Grenoblois ceux, si fameux, que les despotes de Babylone faisaient construire à grands frais dans leur capitale. Les plans en furent établis par Lescurre, ingénieur — géographe du roi — et les travaux, commencés en 1787, furent à peu près achevés deux ans plus tard.
Les remparts furent restaurés ainsi que les quatre guérites d’angle encore existantes, la tour fut munie de créneaux et aménagée de deux chambres. On disposa en terrasses les aspérités et la déclivité du rocher. Les plantations vinrent ensuite, et la roche disparut sous les vignes, les arbres fruitiers, les pins, les sapins, les charmilles, les massifs d’ombrages, les tonnelles, les corbeilles de roses et de fleurs odorantes.
Les balustrades à hauteur d’appui des terrasses offraient aux yeux des promeneurs une collection d’objets d’art, statues, urnes et vases, aux formes élégantes reposant sur des socles de marbre blanc.
Enfin une maison, dite « Maison romaine », s’éleva dans la partie élevée avoisinant le rempart du côté de Rabot, et fut meublée avec un luxe inouï pour l’époque. Tout près de là un merveilleux pavillon chinois faisait l’admiration des Grenoblois.
Une vaste serre prêtait, l’hiver, son abri aux plantes exotiques les plus rares et les plus précieuses tirées des pays du soleil, et durant la belle saison le jardinier disposait sur les esplanades les orangers, les lauriers-roses, les grenadiers, les palmiers, les bananiers, les myrrhes dont la végétation et les fleurs donnaient à ce coin de roches l’aspect, plein de contraste, d’un jardin des côtes méditerranéennes transporté au pied des Alpes dauphinoises.

Inutile d’indiquer que d’éblouissantes fêtes furent données en ce séjour par Jean-Baptiste Dolle, avec de féeriques illuminations, des feux d’artifice et des embrasements de la montagne.
Toutes ces folies se traduisirent par une note de travaux à payer, et qui s’éleva à 62.366 livres*, somme qu’il faudrait tripler pour apprécier ces dépenses suivant la valeur de l’argent à notre époque.
Après six années d’efforts et d’argent dépensés en embellissements, Jean-Baptiste Dolle avait la douleur d’apprendre que le génie militaire faisait figurer Château-Feuillet dans un tracé rectificatif des fortifications de Grenoble, dressé sous la direction du général de Beylié, et de voir, malgré ses démarches au Ministère de la Guerre, ses jardins condamnés à disparaître.
Dans cette fortune adverse, il finit par montrer grand cœur, et le 10 novembre 1791, il alla au-devant de la possession et offrit au Directoire du département son immeuble pour la défense de sa ville natale.
Cette libéralité, toutefois, ne l’empêcha point d’être porté sur la liste des suspects et de prendre le chemin de l’exil quand il vit sa liberté menacée. Ainsi que nous l’avons dit plus haut, ses biens furent alors confisqués et les jardins disparurent sous les terrassements, les parapets et les ouvrages militaires que nous voyons encore aujourd’hui.

VERS L’AVENIR
Les fameux jardins qui firent l’émerveillement des Grenoblois d’avant la Révolution, vont donc retrouver, dans un avenir peu éloigné, quelques vestiges de leur ancienne splendeur.
En effet, la Ville ayant, sur les fonds du dernier emprunt, acheté ces terrains du Génie militaire, le Syndicat d’initiative, d’accord avec les hôteliers, propose à la Municipalité de les utiliser pour y créer un « Jardin des Étrangers ».
Le projet, mûrement étudié, est aujourd’hui prêt. Au cours de la réunion tenue le 4 décembre par le Syndicat d’initiative, le dévoué et sympathique président, M. Paul Michoud, en a exposé l’économie et les multiples avantages dans un lumineux rapport dont voici la conclusion adoptée à l’unanimité :
« Frappé de l’insuffisance de nos distractions pour les étrangers, le Syndicat d’initiative a étudié la création d’un jardin des étrangers, et estime que le « Jardin Dolle » remplirait admirablement le but recherché.
« La distance qui le sépare de la place Grenette est de 600 mètres ; c’est à partir du centre de la ville un trajet de dix minutes à peine.
« L’accès en est facile, de larges boulevards tabou tissant au Pont moderne de la Porte-de-France y conduisent ; une ligne de tramways, avec arrêt à son entrée même, y passe.
« L’étendue du terrain (parties inférieures et supérieures) », sa configuration, ses différences même de niveau, la présence de murailles, de tours anciennes, donnent au visiteur une impression particulièrement heureuse ; mais, surtout, le panorama immense que l’on découvre est inoubliable.
– Aménagé en jardin planté d’essences alpines, en terrasses superposées, avec kiosques permettant de servir les thés, gâteaux, etc., petit orchestre au besoin l’après-midi, complété par les terrains de jeux dans lesquels six tennis tiendraient à l’aise avec terrasses spéciales pour assister à ce jeu, etc., le Jardin Dolle constituerait une attraction unique en Europe et donnerait à notre clientèle le lieu de repas rêvé et la retiendrait parmi nous.
« Le Jardin Dolle, par les plantations qui y seraient effectuées, deviendrait en outre une sorte d’exposition des plantes des Alpes, d’un intérêt capital pour le touriste : les edelweiss et les reines des Alpes s’y trouveraient réunis aux jolis myosotis bleus, aux gentianes et aux rhododendrons et lui donneraient ainsi l’aspect original d’un véritable jardin alpin. »
Ajoutons que la dépense d’installation est évaluée à 25.000 francs ; elle sera couverte par le produit des tennis et les entrées payantes (0 fr. 25 par personne). Les travaux seront commencés dès que le Conseil municipal aura donné son approbation au projet et que les formalités administratives auront été remplies, toutes choses qui ne sauraient tarder, car le dévoué Président du Syndicat d’initiative, ainsi que son actif Secrétaire, M. Roux, ont bien voulu donner l’assurance que le Jardin des Étrangers serait ouvert à nos hôtes dès l’été de l’année 1909.
Nous ne saurions, en terminant, trop féliciter le Syndicat d’initiative et les Hôteliers de notre ville, d’avoir su, sans rien demander à personne, unir leurs efforts pour assurer le succès d’un projet qui, selon le mot de M. Michoud, constitue un premier pas dans la transformation de Grenoble en véritable capitale des Alpes françaises.

Historius.

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