L’Oisans, pays de « lavanches »

L’OISANS PAYS DE « LAVANCHES »

Source : Archives André Glaudas, Contribution à l’étude des coutumes des hameaux du canton de La Grave (Hautes-Alpes). Édition 1952
Par Mme Rivière-Sestier, Dr en pharmacie
(Voire procès-verbaux mensuels de l’Ethno No 215-217)
Extrait du Chapitre III, Haut-Oisans, terre d’infortune : Le Climat

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L’épouvantable avalanche du Freney-d’Oisans
L’avalanche de Clavans en Haut Oisans de 1981
L’avalanche de Clavans en Haut-Oisans de 1981 en couleur.

Au relief tourmenté, recouvert d’une mince couche de terre cultivable s’ajoute pour augmenter les difficultés de la vie cette région de Haut-Oisans la rigueur d’un climat inhumain.
Climat terrible qu’aggrave l’altitude, cortège d’éléments déchaînés, tragédie d’un enneigement sans fin qu’orchestre à grand fracas le déluge des pluies, la colère des vents.

La neige d’abord. C’est la durée de l’enneigement qui conditionne le mode de vie des habitants du canton de La Grave. En octobre, nous l’avons vu, elle commence à recouvrir le sol. Au mois de mai, parfois des toits sont encore blancs de neige et l’envers de la montagne « est encore un manteau d’hiver ». De telles quantités de neige accumulées constituent un danger permanent : l’Avalanche, « la lavanche » comme disaient les anciens. Aussi peut-on se demander quelle sublime inconscience pousse les gens du Haut-Oisans à continuer à bâtir leur demeure dans des endroits si dangereusement exposés.
L’avalanche, il est vrai, n’est pas forcément meurtrière. Elle suit le plus souvent une dépression de terrain, le lit d’un torrent, la profondeur d’un ravin, si bien que plusieurs fois au cours d’un même hiver, la coulée d’avalanche peut se produire sans danger et sans dégât. Parfois son volume est plus important que de coutumes, parfois le lit habituel de la coulée d’avalanche étant déjà obstrué, la masse neigeuse déviée de sa voie normale sans que l’on en connaisse la raison, une avalanche se forme sur un terrain nouveau. Une sorte d’instinct guide les habitants de ces hautes régions.

« L’avalanche, disait Berthieux, des Hières, elle m’a pris vingt-trois fois, et je suis toujours là. La Neige, c’est traitre. L’avalanche, c’est comme l’eau ! On voit, on entend, mais on ouvre la bouche et on ne peut pas respirer. L’aire ne va pas jusqu’à l’estomac… Quand l’avalanche vous prend, il faut tout lâcher et avec les mains libres, faire de grands moulinets. Comme cela l’avalanche vous entraine tantôt dessus, tantôt dessous, et on a plus de chance de s’en tirer. »

L’Oisans, terre d’avalanche. En 1428, les habitants du Fresney (Freney) se plaignaient d’avoir perdu plusieurs des leurs. En 1447, à Ornon, une avalanche tua 14 personnes, en 1450, à Venosc, une avalanche tua 5 habitants et engloutit 75 têtes de bétail (Allix, La Montagne, 1925 T.21). En 1458, c’était le tour du Villar-d’Arène qui exposait ses doléances « à cause des avalanches qui tombent chaque jour dans les chemins de telle sorte que chaque année dans leurs couloirs des hommes sont trouvés morts pour avoir voulu sortir de la paroisse » (Révision de feu B. 2749, année 1458).

Plus près de nous, l’hiver 1922, 1923 fut particulièrement meurtrier. Successivement, les routes du Bourg-d’Oisans de Vaujany, du col du Glandon, furent bloquées. Le col du Lautaret fut obstrué, quatre chalets du hameau de la Madeleine furent écrasés. Trois mois après, dans la nuit du 2 au 3 mars, une masse de neige de 200 mètres de long, plus haute qu’une maison de cinq étages et dont le volume était à peu près celui d’un grand transatlantique (Revue Géographie Alpine 1923, Allix), tombait près de Rioupéroux au hameau des Roberts. Toujours au Freney, et, au hameau de la Rivoir, une avalanche plus forte cette fois que les coulées habituelles, recouvraient une maison d’où les sauveteurs, grâce à une galerie creusée dans la neige, galerie de dix mètres de long, sommairement étayée, purent retirer à demi-asphyxiés, mais vivants les deux occupants.

Le 9 février 1950, la neige accumulée provoqua une avalanche que rien ne faisait prévoir aux mines de Charbon de l’Herpie, dans les Grandes Rousses. Au premières heures du matin, une cabane de mineurs fut emportée. Quatorze hommes y dormaient, douze furent tués dont neuf appartenaient au village de Besse. Trois étaient de la même famille. La catastrophe fit seize orphelins.
Le canton de La Grave, est, de tout l’Oisans, le plus exposé. Chaque hiver, la combe de Malleval voit couler les avalanches de neige, les chutes de rochers. Dans la nuit, du 2 au 3 mars 1923, elle compta, à elle seule quarante coulées (Revue Géographique Alpine, 1923, Allix).

La zone des Ardoisières qui sépare La Grave du Villar-d’Arène est sujette, elle aussi, aux éboulements et aux avalanches. En 1806, le Villar-d’Arène fut éprouvé : « Pendant le mois de mars, une avalanche épouvantable prit naissance au-dessus des tufs, au levant de la route de l’Alpe et descendit avec une force épouvantable, entraîna avec elle toutes les montaignes ou maisons du Selate quelle emporta jusqu’au Chasal des Mançons près de la Romanche, là tout les débris desdites maisons y étaient mélées. On y fit le triage des bois qui pouvaient se reconnaître, mais presque la totalité fut brisée et hors d’état de pouvoir servir à la charpente. Cette avalanche n’était connue d’aucun de nos anciens et d’un temps immémorial on n’avait jamais vu semblable spectacle (Répertoire des principaux fait arrivé sur le commencement du siècle tenu par Maître Bret, notaire). »

Si l’agglomération de La Grave semble être à l’abri des avalanches, il n’en est pas de même du hameau des Hières et du chemin qui, de là, se dirige vers Valfroide. Ce coin, disent les habitants, est, de tous, le plus « avalancheux », si bien que, maintenant, les chalets de Valfroide ne sont plus occupés durant la belle saison.

Ce versant qui domine le Maurian subit la catastrophe la plus effroyable et la plus spectaculaire qui soit. Un oratoire, dédié « aux 22 victimes », en conserve le souvenir. La tradition orale se perpétuant de génération en génération apporte les détails de ce désastre relaté par plusieurs manuscrits locaux.
En 1926, jean-Laurent Berthet, écrivait dans son recueil que « un vieux manuscrit conservé dans les archives de l’église paroissiale signale qu’en 1405, une avalanche ensevelit 22 hommes qui se rendaient à Valfroide ». Ce manuscrit est probablement le recueil appelé Livre Vert, car voici ce que l’on peut y lire : « … ici, aux Hières, en l’année mille quatre cent cinq à la Traverse et chemin allant a Valfroide depuis le premier oratoire du Ruisseau du Queyrel, qui est entaillé dans le roc lequel est appelé vulgairement en langage du pays Boucherette auquel endroit 22 hommes ont demeuré morts ensemble dans la neige par une lavanche ou amas de neige venu de la cote du dessus du chemin entre lesdits deux oratoires, et ayant été trouvé ont été portés enterrés à La Grave… »

Jacques Henry Mallein dicta, en 1846, à son fils Hippolyte le résumé suivant : « En l’an 1405, il périt à la Boucherette depuis l’Oratoire de Ste-Marie jusqu’à celui du Rif du Querel, vingt-deux hommes qui furent portés et enterrés à La Grave… J’ai toujours entendu dire que parmi ces 22 hommes deux étaient allés à Valfroide et furent pris par une avalanche et que le lendemain, 20 autres étant allés les rechercher furent pris tous 20 par une autre avalanche tout comme cet évènement dut faire 22 veuves, mais aucun des écrits n’en parlent. »

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