Sur la Petite Route d’Oisans en 1938

Cascade de la Pisse, route de Briançon, vers 1910.

SUR LA PETITE ROUTE D’OISANS EN 1938

Archive Retronews : Journal quotidien L’Œuvre, édition du 3 septembre 1938

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Plaidoyer pour La Petite Route.
La Petite Route de l’Oisans en 1752

L’OISANS
« Quel pays nous avons choisi !

Quel délice d’y voyager ! C’est un spectacle continuel et tout aussi varié qu’enchanteur ; on ne peut faire un pas sans être frappé d’un changement de scène… « Que tout homme curieux des grands ouvrages de la nature, soit minéralogiste, agriculteur ou botaniste, tout voyageur enfin n’aille rien chercher ailleurs sans avoir vu « l’Oisans » : ainsi s’exprimait en 1784. M. Colaud de la Salcette, conseiller au Parlement de Grenoble. On pourrait penser que ce dernier se laissait aller à un débordement d’admiration poussé par un sentiment bien naturel d’orgueil pour une région qu’il habitait depuis longtemps, mais nullement. La preuve en est qu’à la date où il écrivait ces lignes un intendant signalait dans ses livres qu’on voyait à peine « un estranger par an dans ces montagnes » alors qu’aujourd’hui l’Oisans est l’objet d’un des plus fréquentés, dés plus saisissants et des plus intéressants itinéraires de la région de Grenoble.

C’est de Vizille, « berceau de la Révolution » et résidence d’été des Présidents de la République, que nous partirons pour suivre ce torrent impétueux, la Romanche, presque jusqu’à sa source.

Après avoir quitté Vizille, « vestibule séculaire de l’« Oisans » entre dans un étroit couloir dominé à droite par la masse imposante du Taillefer et à gauche par celle de Belledonne, « rarement visité du soleil, menacé par les perpétuelles avalanches de pierres noirâtres que la pluie fait luire tristement ». C’est dans cette vallée sombre, misérable que vit toute une population d’ouvriers. En effet, pendant les quinze kilomètres que dure cet étranglement, les villages se succèdent aux villages, les usines aux usines. L’horreur de la grande industrie moderne, écrit M. Jean-Jacques Chevallier dans son dernier livre (M.Jean-Jacques Chevallier : Grenoble et ses montagnes. B. Arthaud Éditeur, Grenoble.), vient s’ajouter à la sauvagerie naturelle des lieux, et, comme on l’a dit, les brouillards de la chimie à ceux du climat… Non que ces énormes tuyaux noirs dévalant le long de la montagne et captant l’eau des chutes soient laid’s, ni ces centrales électriques si propres ou la « houille blanche » s’accumule, mais ce sont les agglomérations qui offrent un aspect pelé, terreux, incurable…

Heureusement cette pénible impression est de courte durée et bientôt, au sortir de la gorge de Livet, le décor a changé. Nous nous trouvons à sept cents mètres d’altitude devant une large plaine, toute baignée de soleil, entourée de montagnes qui paraissent s’écarter davantage pour l’élargir encore. Autrefois cette plaine était occupée par un lac, c’est ce qui explique que le Bourg-d’Oisans où nous arrivons s’appelait Saint-Laurent-du-Lac. Véritable nœud de
communications, le petit village aux innombrables boutiques est encombré par les nombreux cars des touristes en été, des skieurs en hiver.

La route suit pendant quelques kilomètres la Romanche, puis s’élève brusquement et on s’engage dans un défilé dont le seul nom rappelle son aspect diabolique : c’est l’Infernet. En bas le torrent, mince ruban d’argent, roule des cailloux énormes. Maintenant on redescend, puis après un brusque tournant au sortir d’un tunnel on se trouve tout à coup en présence d’un lac prodigieux dont la « grande nappe d’eau palpite lentement ». Un barrage magnifique retient cette masse formidable. C’est le lac Chambon. Lac artificiel qui s’accorde superbement avec la majesté du décor. On se prend alors à réfléchir, en voyant cet ouvrage fantastique, aux limites des possibilités humaines et on se trouve un peu effrayé par de telles réalisations.

La route quitte le barrage, s’élève au-dessus du lac, passe sous un tunnel long de sept cent cinquante mètres puis réapparaît au jour.

Le lac disparaît, c’est alors la gorge triste de Malaval, méchant vallon. Mais en montagne les paysages changent avec rapidité et on arrive, écrit Jean-Jacques Chevallier que nous suivons ici, au motif le plus éclatant de la symphonie de l’Oisans : la Meije. Du village de La Grave, la vue est magnifique : « Au-dessus de schistes noirs et luisants comme du charbon, d’énormes glaciers miroitent au soleil ainsi qu’une cuirasse. Coupés de crevasses, boursoufflés de séracs, ils montent à l’assaut d’une brèche splendide, pleine d’un violent azur, d’où partent de chaque côté des arêtes impérieuses : à droite les arêtes du vaste Rateau interminablement dentelé, à gauche celles de la Meije… En face de ces pics souverains dressés sur leur royaume glaciaire, l’homme le plus profane, celui qui ne sait pas ce que représente ces mots la « Meije », pour les alpinistes, ni quelles vies humaines et de quelle qualité furent sacrifiées à sa conquête, celui-là même s’incline obscurément devant le mystère de la haute « montagne ». Et alors devant cette grandiose manifestation de puissance de la nature on s’étonne de retrouver la même impression que l’on ressentait, il y a un instant, devant l’immense barrage du Chambon.

M. Colaud de la Salcette nous encourageait autrefois à aller voir l’Oisans pour y admirer « les grands ouvrages de la nature », aujourd’hui nous ajouterons, et pour y admirer aussi « les grands ouvrages de l’homme ».

– Y. R.

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