Plaidoyer pour La Petite Route de l’Oisans

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Col du Lautaret, Auguste Villaret, début XXe, collection Musée Dauphinois.

PLAIDOYER POUR LA PETITE ROUTE DE L’OISANS

Source : Archives André Glaudas

Sur le même sujet : La Petite Route de l’Oisans en 1752
Livret (PDF) de conférence sur la petite route de Denis Veyrat 
Film conférence sur la Petite Route du XIe au XVIIIe siècle

Au XVIIIe siècle, deux routes mettaient en relation Grenoble et Briançon : l’une, « la Grande Route », par le col de Lus et Gap, exigeait de huit à neuf étapes, — l’autre, « La Petite Route », par Vizille, le Bourg-d’Oisans et le Lautaret, était beaucoup plus courte, mais toute la partie comprise entre la montagne du Mont-de-Lans et la Madeleine, était impraticable aux voitures. Dausse, ingénieur des Ponts et Chaussée, avait déjà, dans un mémoire du 9 ventôse an XI (27 février 1803, Arch. Bibl. Municipale Grenoble R. 7235), proposé l’achèvement de cette route. Ce projet, dont la réalisation devait faire de Grenoble le point de départ de la route la plus courte vers l’Italie, fut repris et défendu avec opiniâtreté par le Préfet Fourier, qui sut gagner à sa cause les Périer, installés à Vizille, mais qui dut combattre l’hostilité des Chambériens, intéressés à l’aménagement du Mont-Cenis et du Conseiller d’État, Directeur des ponts et Chaussées. Finalement il fit offrir par le Conseil Général une subvention égale au tiers de la dépense (500.000 fr.), et reçut l’autorisation demandée, le 29 février 1804.
Entre-temps, il faisait distribuer aux membres du Conseil général au ministre de l’Intérieur, au Directeur des Ponts et Chaussées, et à d’autres personnages politiques, un copieux mémoire, rédigé sur son ordre par Aug. Bardel, accompagné de plans et de devis, dont voici les passages principaux.

Thèse pour le doctorat présentée en 1920 à la Faculté des lettres de l’Université de Paris par Marcel Blanchard :
Les routes des Alpes occidentales à l’époque napoléonienne

Le projet de communiquer de la France en Piémont par la Petite Route de Briançon et le Mont Genèvre, avait été conçu sous l’ancien régime, mais il était impossible alors d’y songer sérieusement ; jamais les rois de Sardaigne n’auraient consenti à ouvrir les montagnes entre Briançon et Turin ; l’intérêt de leur sûreté leur faisant une loi de restreindre et de rendre très difficiles les communications avec une puissance qui leur était si supérieure ; et l’on doit aussi remarquer que la route du Mont Cenis parcourait sur leur territoire, un espace trois fois plus grand que celui qu’aurait traversé celle du Mont-Genèvre.
Les premiers instants de cette communication, et ce fut l’expérience qui en démontra la nécessité.
On vit alors de quel intérêt il eût été de pouvoir, en quatre jours porter une armée de Grenoble dans les plaines du Piémont ; de pouvoir, en cas de défaites, se retirer sous les places fortes de Briançon et de Mont-Lion, pour, de là reprendre le chemin de la victoire.
Bonaparte avait ordonné l’ouverture du Mont-Genèvre, et si cet ordre avait été exécuté, l’Armée française ne se fut pas trouvée en l’an VII dans la position la plus horrible ; elle ne dut alors son salut qu’au zèle et au courage extraordinaire des habitants de Briançon.
On fut souvent forcé, pendant cette guerre, d’user de la Petite Route, et d’y conduire des transports militaires, malgré la difficulté de quelques passages qu’il s’agit d’améliorer aujourd’hui.
Tous les sentiments fléchirent devant ces épreuves ; il n’y eut qu’un cri dans les administrations, dans l’armée, et c’est une opinion universellement reçue, que si la route eût été ouverte avant la guerre, le gouvernement en eût regagné les frais en une seule campagne.

Suit l’exposé et le commentaire du projet de Dausse.
(Joseph Henri Christophe DAUSSE, ingénieur des Ponts et Chaussées, naissance : 13 février 1745, mort : 13 mars 1816)

… Pour apprécier exactement les avantages d’une route, il convient d’abord de se fixer sur les pointes de communications.
Ici, Lyon et Turain s’offrent naturellement à la pensée comme point de départ des routes de France et d’Italie, soit d’après les rapports commerciaux qu’ils ont entre eux, soit enfin d’après les rapports militaires qui sont si importants et également décisifs.
À Juger par l’état actuel des deux communications, la Petite Route de Briançon représente sur celle du Mont Cenis un raccourci de 25.000 m
Les hommes de l’art estiment qu’en améliorant les rampes du Mont Cenis, d’après les tracés actuels, ce développement augmentera la distance d’environ 3.000 m.
Au contraire, le changement des rampes de la Petite Route produira encore un Raccourci de plus de 3.000 m.
Total, environ 30.000 m de différence sur la distance : différence essentielle, surtout dans un pays de montagnes.

Suit une étude détaillée de la route du Mont Cenis.
… Les nouvelles rampes du Mont Cenis auront, dans la plus grande partie, 8 et 9 cm par mètre.
Tout le monde sait que, jusqu’à présent, on est obligé de démonter les voitures sur cette montagne.
On connait la fameuse voûte sous lequel passent les voyageurs ; on n’avait trouvé que ce moyen de se garantir des lavanges (l’avalanche).
Sur le sommet du Mont Cenis, le plateau a 10.000 m de longueur.
Une voiture ne pourra jamais traverser cette montagne en moins de 10 à 12 heures.
Cependant un obstacle plus insurmontable est dans les vents qui y règnent ; lorsqu’on est arrivé au pied, les voyageurs consultent les hommes accoutumés à le passer ; ceux-ci jugent aux nuages s’il l’on doit attendre ; mais la traversée est maintenant très courte, et le danger ne sera-t-il pas plus grand, lorsqu’une voiture sera forcée d’y rouler pendant 10 à 12 heures ?
Ceux qui connaissent le Mont Cenis assurent qu’il sera toujours impraticable aux voitures pendant sept mois de l’année ; ce qui n’est que trop vrai, c’est que pendant ces trois dernières [années], nous avons à déplorer la perte d’un nombre considérable de nos défenseurs qui y ont été engloutis sous les neiges.

Puis l’auteur expose les avantages de la route du Lautaret.
… Les hommes à pied ou à cheval passent communément toute l’année par la Petite Route… Et on ne cite pas de malheur qui y soit arrivé ; on ne parle pas même de séjour forcé des voyageurs.
En un mot, les ingénieurs des Ponts et Chaussées ont assuré, comme une vérité constante, que si les projets de cette route étaient exécutés, elle présenterait bien moins d’obstacles que celle de Lyon à Grenoble, une des plus fréquentées de ce département.
Sur les deux tiers de sa longueur, qui est de 107,430 m, elle est praticable aux voitures ; on peut juger par cette partie, de ce que serait la totalité.
Par exemple, on va aujourd’hui de Vizille au Pied du Mont-de-Lans en suivant la pente de la Romanche ; la presque totalité a 3 et 6 centimètres par mètres ; une seule est difficile ; et l’on évalue à 1.500 frs la dépense nécessaire pour la réduire à 3 et 6 centimètres.
Cette route une fois faite, son entretien ne serait pas considérable.
Il est vrai qu’après avoir passé le Mont Genèvre, on peut aujourd’hui, en venant d’Italie, prendre la route de Gap, pour se rendre également à Grenoble ; mais ici la comparaison est encore extrêmement favorable à la Petite Route.

La distance de Grenoble à Briançon par Gap est de 178.572 m
Par la Petite Route, elle est de 107.403 m
Différence 71.142.

La route par Gap a des rampes plus longues et plus difficiles que n’aura la Petite Route. Il n’y a qu’un mot à dire sur ce point, les troupes qu’on dirige par la Petite Route n’ont que trois étapes ; on donne neuf à celles qu’on dirige par Gap.
Ces avantages ont constamment été reconnus par le département des Hautes-Alpes, dont le vœu est aussi pour la Petite Route.
… Les Hautes-Alpes communiquent avec le Midi par la route de Gap au Pont — Saint-Esprit. Mais la Drôme ne peut aller prendre cette route au Pont-Saint-Esprit, pour franchir les Alpes. Elle utilisera la route du Lautaret…

Elle (la Petite Route) réunit tous les vœux ; le commerce de Lyon, qui sait en apprécier l’importance, la réclame hautement, et ce suffrage seul serait décisif.
Il entraîne nécessairement celui du Piémont, puisque, sous les rapports commerciaux, les intérêts des deux pays sont nécessairement les mêmes.
Le Piedmont, cette nouvelle est intéressante portion du territoire français, occupe sans doute la pensée du gouvernement ; elle a des droits signalés à ses bienfaits ; mais que deviendra-t-elle, lorsque l’Italie sera ouverte au nord, par le Simplon, et au midi par la Corniche ? Au centre, le Piedmont ne sera-t-il pas abandonné ?
C’est donc sur ce point qu’il faut encore appeler, multiplier les communications.
Au surplus, il est sensible que ce n’est point là qu’est borné l’intérêt de notre commerce, il s’étend à toute l’Italie, à une parte de l’Allemagne, etc.

Vient enfin l’étude des avantages militaires que présente la Petite Route.
On ne perd pas de vue la différence des trois à neuf étapes de Grenoble à Briançon, sur 44 lieux de poste.
Parlerait-on maintenant d’obstacles ? Nous osons dire le temps en est passé ! Qu’est-ce que ce travail en comparaison de ceux du Simplon et du Mont Cenis ? Le Mont Genèvre est ouvert ; tous les ingénieurs s’accordent à penser que sur le Lautaret qui n’est qu’une pelouse, les rampes ne seront ni chères ni difficiles à établir.
Il reste le Mont-de-Lans, c’est là qu’il faut escarper les roches sur 3.900 m ; mais cette opération n’effraie aujourd’hui personne, et il est plus aisé de l’apprécier, de l’exécuter, que d’établir peut-être une chaussée sur un marais…

L’intérêt particulier à quelquefois dit encore : La Maurienne serait ruinée, si l’on ouvrait cette communication.
D’abord ce serait trop lui accorder la supériorité, ce serait lui assurer une préférence absolue du commerce et des voyageurs.
Mais ces alarmes même sont exagérées ; le Mont-Blanc jouira toujours des communications que le gouvernement lui assure, et qu’il améliore à si grands frais, et ses habitants reconnaîtront bientôt une erreur qui produisit l’opposition violente de leurs députés à la route du Mont Genèvre, opposition dans lequel ils ne pourraient persévérer, sans une extrême injustice.
Et s’il fallait parler de perte ! le département de l’Isère n’en a-t-il pas essuyé ; n’en éprouve-t-il pas chaque jour de considérables ?
C’est là guerre qui a soutenu ce pays par le grand nombre de troupes qui y ont été versées ; mais il est certain que dans l’état de paix, s’il demeure sans communications avec l’étranger, ses propriétés diminueront de valeur, et sa ruine est inévitable.
Qu’on daigne jeter sur lui un regard de justice ! Fermé entre les départements du Mont Blanc, des Hautes-Alpes, de la Drôme, il voit les mains protectrices du gouvernement s’étendre sur tous ses voisins et lui seul n’aurait point de part à ses bienfaits ! Par où aurait-il mérité cette humiliante exhérédation ? Nous ne craignons pas de le dire, le département de l’Isère a fait ses preuves, et il le disputera toujours avec aucun autre de zèle et de dévouement.
Il vient encore d’en offrir un hommage éclatant dans cette circonstance ; malgré tout ce qu’il a souffert l’année dernière de l’intempérie des saisons, le conseil de l’arrondissement de Grenoble a voté de contribuer pour le tiers de la dépense de la route qu’il réclame.
Plein de la confiance la plus entière dans les principes du gouvernement, le département de l’Isère se repose sur sa justice ; tous les objets d’utilité publique sont dans la pensée du Premier Consul, et nous avons l’assurance que celui qui nous occupe y tient aussi une place.

Tiré du Mémoire sur la Route d’Italie par Grenoble, et le Lautaret et le Mont Genèvre.
Bibliothèque Municipal Grenoble V. 4682.

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