
Massif des écrins, photo de René Rivière, début XXe, archives départementales de l’Isère, musée Dauphinois.
NOTES SUR LA TOPOGRAPHIE HISTORIQUE DU HAUT-DAUPHINÉ 6/7
par Henry Duhamel
Source : Gallica/BNF
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NOTES SUR LA TOPOGRAPHIE HISTORIQUE DU HAUT-DAUPHINÉ
Lien vers : la carte des environs du Bourg-d’Oisans
À la suite d’explorations effectuées autour de la Bérarde, en 1839 et 1841, le professeur Forbes publia en 1853 (Forbes. Norway and its glaciers, followed by Journals of excursions in the Alpes of Dauphine. Edinburgh, 1853), un récit de ses excursions dans le Haut Dauphiné, pendant que, cette même année, les capitaines Bourgeois, Courier, Cousinard et le lieutenant Meunier exécutaient dans le massif du Pelvoux les travaux topographiques nécessaires pour sa figuration sur la feuille de Briançon de l’État-Major, feuille qui, bien qu’éditée en 1866, avait été communiquée au moins à l’état d’épreuve au professeur Bonney. Ce savant voyageur avait exploré de la façon la plus remarquable, en 1860, 1862, 1863 et 1864, la chaîne du Pelvoux pendant que M. Tuckett la visitait en 1862 et que M. E. Whymper, après diverses courses entreprises dans le Dauphiné de 1860 à 1861, atteignit le 25 juin 1864, en compagnie de ses compatriotes, MM. Moore et Walker, le point culminant des Alpes Dauphinoises, la Barre des Écrins (haute de 4.103 mètres) gravie un peu plus tard, pour la seconde fois, par un français, M. Henri Vincent, qui en ignorait la première ascension. Les notes de voyage réunies par M. Bonney ont été l’objet d’une superbe publication (Bonney. Outline sketches in the High AlPes of DauPhine London, 1865.) accompagnée d’une carte copiée sur celle de l’État-Major et de dessins panoramiques du plus grand intérêt.
Déjà, en 1862, le second volume de la deuxième série des Peaks, Passes and Glaciers, organe des membres du Club Alpin Anglais, avait donné des comptes rendus d’excursions en Dauphiné par MM. Bonney, Blackstone (1855), Nichols (1858) et Whymper, avec gravures et esquisses topographiques.
À partir de cette époque, le nombre des visiteurs en Dauphiné ne cesse d’augmenter très sensiblement ; signalons entre autres Miss Brewoort et son neveu, le Rév. Coolidge, MM. Gardiner, les frères Pilkington et Pendlebury. Les touristes français suivant les traces de M. V. Puiseux et de M. C. Lory, l’éminent géologue dauphinois, commencent aussi à fournir un contingent sérieux de visiteurs qu’accroît sensiblement, en 1873, la vulgarisation, par la traduction française de A. Joanne, du volume aujourd’hui classique de Whymper, les « Escalades dans les Alpes », édité à Londres en 1871.
Également en 1873 ; Tuckett faisait publier à Leipzig ses « Hochalpenstudien » illustrées d’esquisses complétant merveilleusement celles de Bonney et d’une jolie carte en couleurs donnant au 1/60.000 une reproduction de la carte de l’État-Major, sur laquelle étaient indiqués les itinéraires suivis par Tuckett, notamment la traversée des cols du Glacier Blanc, des Écrins et du Sélé ; ce dernier, du reste, assez mal représenté, sans doute par suite de la figuration défectueuse du terrain dans cette partie de la carte officielle française.
Les annuaires des Sociétés Alpines, ainsi que diverses publications périodiques spécialement consacrées aux questions intéressant l’alpinisme, contribuent dès lors puissamment à propager la connaissance du Haut Dauphiné.
Avec le premier Annuaire du Club Alpin Français, une reproduction des minutes du massif du Pelvoux est publiée à leur échelle originale du 1/40.000 par les soins du distingué capitaine Prudent. Malheureusement aucun nom de col n’y figurait, sauf celui du col du Says malencontreusement gravé, d’après les indications erronées de la carte de Cassini, au sud du glacier du Chardon au lieu d’être placé à l’ouest du glacier de la Pilatte, ainsi que le faisait cependant très nettement figurer Raymond, en 1820, sur sa jolie carte topographique militaire des Alpes, au 1/200.000.
Les officiers d’État-major qui, pendant la seule année 1853, avaient dû relever entièrement le figuré du terrain de ce massif extrêmement tourmenté, n’avaient certes ni le temps matériel de faire œuvre plus parfaite ni même idée qu’il pût être utile, pour une carte avant tout militaire, de pousser plus à fond l’étude d’une région que, dix-sept ans plus tard, un des officiers connaissant le mieux nos montagnes, M. le général Borson, alors colonel d’État-Major, considérait de la façon suivante :
« La vallée de la Durance, aride et dénuée de ressources, n’offre d’ailleurs aucune voie commode pour pénétrer en France. Elle est séparée des bassins de l’Isère et du Rhône par le massif du Pelvoux, surnommé le Mont-Blanc du Dauphiné, qui est couvert de glaciers et de neiges éternelles, et qui forme, entre les provinces françaises de ses deux versants, une barrière plus haute et plus abrupte que la grande chaîne des Alpes qui lui fait face (Étude sur la frontière du sud-est, par le colonel Borson). »
Bourcet avait eu cette même conviction en parlant d’une armée partagée en deux corps, l’un campé aux environs du Bourg-d’Oisans, et l’autre du côté de Mont-Dauphin :
« Ces deux armées ne pourraient se communiquer qu’en faisant plus de quinze grandes lieues, à cause de la chaîne de montagnes qui est rendue absolument impraticable par les glaces éternelles ou glaciers dont elle est remplie depuis le col de l’Echauda, vis-à-vis le Monestier, jusqu’au Bourg-d’Oisans (Bourcet. Plan de campagne pour empêcher le roi de Sardaigne de pénétrer de Piémont en France, 4″ Mémoire sur les frontières de France. Paris, an X.) »
Le guide des Alpes Françaises publié par Adolphe Joanne en 1877, remplaça avantageusement la deuxième partie de son itinéraire du Dauphiné édité en 1863, quoique les indications fournies s’y présentassent souvent d’une façon inégale, le travail de rédaction où excellait le regretté auteur des anciens itinéraires ayant été trop souvent remplacé par d’insuffisantes compilations.
En 1879, la carte du Pelvoux, éditée par le C. A. F., fut reproduite photographiquement au 80.000e avec des légendes de M. P. Guillemin, indiquant les désignations des sommets, cols, refuges et vallons omises sur les cartes. Au mois d’août de la même année, l’Alpine Journal publiait une première esquisse orographique des massifs de la Meije et et de la Grande-Ruine, donnant quelques résultats du levé général du massif du Pelvoux que j’avais entrepris depuis 1875, en présence des erreurs considérables constatées dans cette partie de nos cartes françaises. De même, l’Annuaire de 1882 du C. A. F. donna l’esquisse du contrefort méridional de la chaîne des Écrins, et l’Annuaire de 1885, une petite carte rectifiée de la Meije et de ses abords, pendant qu’en 1882 le service des reboisements de l’Isère publiait au 40.000e, sous la direction de M. Charlemagne, une carte du bassin de la Romanche reproduisant la carte de l’État-Major à laquelle étaient ajoutés des noms de torrents secondaires et divers tracés de sentiers. De son côté, le service géographique, après avoir édité sa carte de la frontière des Alpes en couleurs et avec courbes de niveau, mais avec les mêmes erreurs que la carte en hachures, mit en vente des tirages zincographiques avec légendes un peu mises à jour.
En 1887, un guide du Haut-Dauphiné, dû à la collaboration do MM. Coolidge, Duhamel et Perrin, et destiné particulièrement aux Alpinistes visitant le massif du Pelvoux, donna la description de toutes les courses qui y avaient été effectuées jusqu’à ce jour, et fut suivi en 1890 d’un supplément, et, en 1892, d’une réédition anglaise.
L’éditeur français de ce volume, M. Gratier, de Grenoble, accepta de publier en même temps une réduction au 100.000e d’une reproduction des minutes au 50.000e de ma carte, en attendant qu’il me fût possible de faire graver les minutes elles-mêmes sur lesquelles j’ai pu faire l’application d’un principe permettant l’estimation immédiate (et sans recourir à aucun calcul ni aucun accessoire) des distances réelles à parcourir, quel que soit le sens dans lequel un parcours soit effectué, même en pays de montagnes.
Grâce à la bienveillante intervention de l’ancien agent voyer en chef de l’Isère, M. Dutey, et au gracieux accueil de M. Anthoine, ingénieur chef du service de la carte de France éditée par le ministère de l’Intérieur, les résultats de mes levés furent utilisés pour la rédaction de cette carte.
D’autre part, le général Perrier, le regretté directeur du service géographique de l’armée, après m’avoir demandé de faire contrôler mes levés, les fit adopter pour la mise à jour de la carte de l’Etat-Major. Je lui dois une profonde reconnaissance ainsi qu’à M. le général baron Berge, ancien gouverneur de Lyon, à M. le colonel Prudent, et à toutes ; ces personnes qui, en contribuant à faire prendre cette détermination, ont bien voulu, par leur précieux appui donner cette sanction à une œuvre résultant de longues années de travail.
Je ne crois pouvoir mieux terminer cette notice qu’en rappelant un récent événement alpin.
L’an dernier, contrairement à toutes les prévisions des anciens auteurs, nos chasseurs alpins du 12 c et du 30 c bataillon qui, par petits groupes, avaient déjà franchi des cols tels que le Clos des Cavales, la brèche du Râteau et la brèche de la Meije, ont en grand nombre traversé les cols du Sélé et de la Temple, sous la conduite de leurs commandants MM. Pouradier Duteil et du Pouget de Nadaillac, pendant que des mulets montaient ravitailler loin de tous sentiers, à plus de 2.850 mètres d’altitude, au pied du glacier du Mont-de-Lans, 325 officiers et chasseurs du 12e bataillon qui, venus de Vallouise par le col de la Temple, regagnaient La Grave et le Monestier-les-Bains en s’élevant à une altitude de 3.543 mètres, au col de la Lauze, sans laisser le moindre traînard.
Un splendide album consacré à cette traversée des glaciers du massif du Pelvoux et de l’Oisans a été édité à Grenoble en 1896. Les détails les plus circonstanciés sur ce véritable exploit alpestre y sont accompagnés de nombreuses photographies d’un intérêt exceptionnel.
Ainsi, nos officiers qui, les premiers, au siècle dernier, explorèrent le Haut-Dauphiné, ne cessent de se maintenir à la tête de tout progrès, faisant leur là fière devise inscrite sur la porte de Briançon : « Le passé répond de l’avenir ».
À suivre…