Topographie historique du Haut Dauphiné 7/7

NOTES SUR LA TOPOGRAPHIE HISTORIQUE DU HAUT-DAUPHINÉ 7/7
par Henry Duhamel

Source : Gallica/BNF

Article connexe 
Aux conquérants de l’inutile

1re partie 2e partie3e partie4e partie5e partie6e Partie – 7e Partie

NOTES SUR LA TOPOGRAPHIE HISTORIQUE DU HAUT-DAUPHINÉ
Lien vers : la carte des environs du Bourg-d’Oisans

Pour répondre au désir exprimé par mes excellents collègues du comité de rédaction de la Revue Alpine, je me fais un plaisir d’ajouter quelques notes sur les moyens que j’ai employés pour lever ma carte du Pelvoux.
Au retour d’une mission scientifique à laquelle j’avais été attaché, en 1875, en Algérie, j’avais résolu de m’exercer, en haute montagne, à des levés topographiques analogues à ceux que j’avais dû effectuer au cours de ce voyage. Un soir du mois d’août de cette même année, je bivouaquais au Rocher de l’Aigle et je cherchais, en attendant l’arrivée de la nuit, à me repérer à l’aide de la carte du Club Alpin en face des hautes parois rocheuses dominant le glacier de l’Homme ; je ne pus y parvenir malgré la proximité des deux points signalés situés à proximité, le Bec de l’Homme et la Meije.
Quelques semaines plus tard, j’avais formé le projet d’entreprendre le levé de ce massif et, comme je parcourais le plateau du Mont-de-Lans, dans la pensée d’y trouver un emplacement favorable à l’établissement d’une base pour le réseau de triangulation que je voulais entreprendre, le signal du Jandri attira mon attention. Après mûre réflexion, je crus devoir me borner à adopter, comme base, une ligne ayant ses deux extrémités limitées par le sommet du Jandri et par l’Aiguille du Plat de la Selle, également signalée, dont la situation admirable, au centre du bassin du Vénéon, facilita grandement ma tâche. D’autre part, j’avais quatre points sur la position desquels je pus compter d’une façon extrêmement précise après avoir procédé à leur contrôle ; c’étaient la Meije et les Écrins, mais surtout la Pyramide Durand du Pelvoux et le Goléon. avec leurs signaux se détachant fort nettement au regard.

Les pyramides érigées par les touristes sur les sommets me rendirent souvent grand service pour mes visées. Tel, notamment, le signal construit, en 1877, par le baron Boileau de Castelnau, au sommet de la Meije, de façon à être vu des environs de la Bérarde. Je parvins ainsi à établir une chaîne de triangles fondamentaux qui, entourant le bassin du Vénéon, vint rattacher les signaux de la Coche, que je dus rétablir, et celui du Diable à ma base Jandri-Aiguille du Plat. Enfin, par le Vaxivier Occidental et le signal du Lauzon, je pus relier la chaîne du Sirac au pic Jocelme, pendant que M. Pilkington publiait dans l’Alpine-Journal une esquisse topographique de cette région du Sirac.

Je crois inutile et fastidieux de donner ici des détails sur les procédés d’opérer. Le lecteur, que les études de cette nature intéressent, ne peut mieux faire que consulter l’article consacré à ce sujet par le colonel Goulier, dans l’Annuaire du C. A. F. de 1882, page 643. Il pourra encore consulter avec fruit : la Topographie, par le lieutenant-colonel Moessard (Paris, Gauthier-Villars) ; les Éléments de la Topographie, par le commandant Crouzet (Paris, Nony) ; le Cours de Topographie et de Géodésie, par Salneuve (Paris, Dumaine).

Un petit théodolite et une boussole tranche-montagne, de Secretan, sont les deux principaux instruments dont je fis usage pendant les sept années que j’employai à effectuer ce travail avec mes modestes ressources financières et le seul secours de braves guides, tels que Roderon, Pierre Gaspard et le dévoué Giraud-Lézin. Souvent, pendant plusieurs jours de suite Giraud-Lézin, tout spécialement, accepta pour un salaire fort modéré, qui n’était plutôt qu’une très juste indemnité, de bivouaquer sous le même plaid que le mien, n’ayant dans nos sacs pour se réconforter qu’un approvisionnement très restreint par suite de la surcharge et de l’encombrement occasionnés par le transport de mes appareils. Je ne saurais oublier la bonne humeur avec laquelle je vis, par exemple, certain jour, un de ces vaillants compagnons qui sont demeurés pour moi de véritables amis, abandonner son unique litre de vin sur la table d’une auberge du Villard d’Arène plutôt que de renoncer à emporter quelques boîtes supplémentaires de glaces photographiques dont je pouvais avoir besoin au cours d’une semaine de bivouacs.

J’ai pu également utiliser un orographe que son inventeur, le savant et sympathique auteur c’e la carte des Pyrénées françaises et espagnoles, M. Fr. Schrader, a bien voulu mettre à ma disposition. Comme appareil photographique, je me suis servi de chambres 1/4 et 1/2, fabriquées par Jonte et munies d’une série de trois excellents objectifs Ross qui m’ont donné les meilleurs résultats. Par un dispositif fort simple, mes chambres étaient rapidement montées sur le trépied à l’aide d’une planchette mobile qui me permettait d’obtenir un panorama circulaire sans déformation et de faire aussi, à volonté, des vues stéréoscopiques avec écartement variable.

Pour les levés de détail, en dehors des services considérables que m’a rendus la photographie, j’eus à me féliciter de l’emploi d’une grande planchette se pliant en deux de façon à être portée sur le hâvre-sac : deux verrous permettaient de la rendre parfaitement plane, et son pas de vis, semblable à celui de mes appareils photographiques, me permettait de la monter sur mon trépied et d’y fixer commodément ma chambre claire. Je dois signaler aussi la chambre obscure portative de M. Ferd. Schrader ; dans les vallées surtout, cet instrument très pratique, mais un peu volumineux pour mes faibles moyens de transport, mérite d’être très recommandé aux topographes comme aux peintres de montagnes.

Dans les levés rapides, je n’ai guère cessé d’employer le portefeuille de topographie du capitaine d’état-major Henri Hue ; il me parait difficile d’imaginer une chose plus simple, plus solide et plus aisément serviable que cette petite planchette pourvue d’une boussole, d’un décimètre, etc. ; suspendue au cou par une courroie-support, elle ne gêne en rien la marche même au milieu des escarpements, et demeure toujours à portée de la main et à hauteur convenable pour dessiner. Pourvu de cette planchette, jamais je ne me suis séparé de deux parfaits baromètres holostériques Goulier construits par Naudet et ayant sept centimètres de diamètre. J’ai toujours cru prudent d’être muni de deux de ces instruments facilement contrôlables l’un par l’autre, de façon à éviter des surprises parfois fort pénibles quand, à la suite de quelque choc, les indications d’un baromètre se trouvent faussées au cours d’une reconnaissance.

Enfin, l’alidade nivelatrice du colonel Goulier et le niveau-lyre à collimateur du même inventeur m’ont rendu de tels services que je crois positivement qu’il m’eût été impossible de mener à bien mes levés de détail sans leur emploi. Le regretté colonel Goulier a donc droit à ma plus vive gratitude pour les bons conseils qu’il a bien voulu me donner à ce sujet.

Je n’aurai garde d’oublier de remercier ceux de mes collègues qui m’ont offert leur précieux concours en mettant à ma disposition leurs collections photographiques ; je signalerai principalement M. V. Sella pour son incomparable série de panoramas pris du sommet de la Meije, des Écrins, du Pelvoux, de la Grande-Ruine, des Rouies, etc. ; M. Eugène Charpenay, pour ses grands panoramas dauphinois formés d’une seule épreuve embrassant 180° ; M. J. Mathieu, pour sa merveilleuse collection stéréoscopique permettant d’interpréter exactement les moindres replis de terrain ; M. F. Perrin, en particulier, pour son panorama du Pic Coolidge ; M. P. Guillemin, pour un panorama du col de Vallon-pierre et une vue prise du pic d’Olan ; M. E. Piaget, pour ses magnifiques panoramas du Grand-Galibier, du Pelvoux, etc.

En terminant, je dois signaler les précieux conseils que MM. le colonel de Rochas, l’abbé Guillaume et Roman, les savants philologues, ont bien voulu me donner au sujet de l’orthographe à adopter pour les noms de lieux et qui m’ont permis, grâce à leurs avis autorisés, de rectifier certaines orthographes fautives, telles que :

Aupillous, Au lieu de Opillous.
Aiglière, – Eyglière.
VaJgaudemar, – Valgodemar.
Tête Moute, – Tète Mouthe.
Tête de l’Aure, – Tête de l’Or.
Pié Bérarde, – Pied Bérarde.
Pié de Barri, – Pied de Bary.
Clot-Châtel, – Clochâtel.
Vaure, – Vaurze.
Lauranoure, – Loranoure, etc.

D’ailleurs plusieurs de ces noms de lieu, dont nous avons en apparence ainsi modifié l’orthographe, figurent régulièrement sous cette dernière orthographe dans les documents locaux. Citons, entre autres Valgaudemar écrit Valgodemar par Montannel dans ses mémoires et par suite sur la carte du Haut-Dauphiné de Bourcet, et celles de Cassini et de l’État-Major, alors que les anciens documents, depuis 1224 au moins, ont toujours observé l’orthographe Valgaudemar, du reste actuellement conservée dans les publications officielles relatives au département des Hautes-Alpes, comme dans les publications des Sociétés savantes ou alpines locales, telles que la Société d’Études des Hautes-Alpes, la Société des Touristes du Dauphiné, etc.

H. DUHAMEL.

Si vous avez trouvé une faute d’orthographe, une erreur ou si vous souhaitez ajouter une précision,
veuillez nous en informer en sélectionnant le texte en question et en appuyant sur les touches [Ctrl] + [Entrée] .

Ce contenu a été publié dans ARCHIVES, CARTES, HISTOIRE, TÉMOIGNAGE, TEXTE, VILLAGE, avec comme mot(s)-clé(s) , , , , , , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.