1878 : Étude sur la voie romaine de l’Oisans (VII)

1878 : ÉTUDE SUR LA VOIE ROMAINE DE L’OISANS (Partie VII)
Remerciement à M. Alain Pellorce qui nous a confié ce document.

Septième partie du document découvert dans une maison de Clavans

Où il est question de La Garde, ses tours, ainsi que la remise en question de la Voie Romaine en encorbellement de Rochetaillée et la position d’une station à Gavet.

Près de l’emplacement appelé les Châteaux, qui est le même que le lieu occupé par l’ancienne citadelle romaine, on remarque une très vieille chapelle en ruines, dédiée à Ste Madeleine, et objet d’une antique vénération dans la paroisse de la Garde.
Divers motifs portent à croire que toute modeste qu’elle est, cette chapelle a été bâtie sur les ruines d’un temple Romain.
On sait que l’idée de la Divinité dominait toutes les entreprises de ces conquérants, et que partout où ils étaient forcés de résider, un temple avait toujours sa place. La population militaire de la forteresse, ainsi que celle de la station, probablement plus nombreuse que la commune actuelle, imposaient la convenance d’un édifice de ce genre. Le lieu choisi pour son emplacement, à proximité de la citadelle, mais assez distant de la station, au-dessus d’un escarpement élevé et solitaire, était de nature à inspirer le respect par son isolement.
D’un autre côté le druidisme des Gaules qui régnait en maître avant la conquête romaine, ne cessait de conspirer contre les nouveaux dominateurs. Il fallait pour ceux-ci réprimer la conspiration, anéantir un culte si hostile à leur cause et y substituer celui des dieux du Capitole ce qui fut fait pour la station de Catorissium, comme partout ailleurs.
Plusieurs fois, et à des époques diverses, les défrichements du sol, près de cette chapelle, ont mis à nu quantité d’ossements épars et en grande partie consumés. La présence de ces sépultures anciennes et nombreuses sur un point éloigné de plus de 1000 mètres des habitations, peu accessible et solitaire, serait en quelque sorte inexplicable si on ne pouvait les attribuer aux morts de la garnison de la citadelle romaine, ensevelis là près du temple et sous l’égide de la divinité du lieu.  Vers la fin de la domination romaine et après l’ établissement du christianisme sur le pays, la chapelle en question aurait été construite au même endroit, des débris du temple, afin d’effacer ainsi le souvenir de la divinité païenne au culte de laquelle il avait servi.  Un peu au-dessus de la chapelle, on aperçoit une butte artificielle de terre de 3 à 4 mètres de hauteur sur 7 ou 8 mètres de longueur. On ne saurait dire si c’est là un ouvrage romain. La croyance du pays est qu‘elle a été élevée sous les Dauphins, dans le but de montrer de là des signaux au moyen desquels les Châteaux de la Garde, lors des visites que leur faisaient les Dauphins » correspondaient avec une autre tour châtelaine située au-dessous, sur un coteau de la plaine.
Quand aux deux tours contemporaines de la forteresse, et qui paraissent avoir rempli l’une et l’autre le rôle de Castellum, elles se trouvaient la première sur la rive droite du torrent, la seconde sur la rive gauche. Les ruines de la 1ere, dignes de leur origine romaine par la dureté de leur cimentation, sont encore parfaitement visibles dans le quartier de la Garde appelé la Salle. Celles de la seconde ne sont plus représentées que par des restes de murs également très solides, mais comme témoignage de son existence, le nom de la Tour est resté aux terres au milieu desquelles elle s’élevait elle-même. Le village voisin aujourd’hui formé de quelques maisons, était à l’époque romaine la principale agglomération du lieu; il a conservé cette priorité longtemps après, ainsi que le prouve le nom de ville qu‘il a toujours porté jusqu’ici , en dépit de la diminution de ses habitants .
Cette réunion de monuments romains à la Garde établit les présomptions les mieux fondées en faveur d’une station romaine en cet endroit, vainement des explorateurs ont voulu chercher ailleurs que là, cette station de Catorissium, que reconnait la table théodosienne sur l’ancienne Voie romaine de l’Oisans. Aucune localité voisine ne pourrait sérieusement disputer à la Garde ce titre, que d’autres circonstances à connaître venaient encore confirmer. Toutes les probabilités sont en sa faveur, et, jointes à l’opinion prépondérante de d’Anville , elles ont presque la valeur d’une certitude.
Tant que dura la possession romaine, Catorissium conserva ses avantages, ils s’éclipsèrent ensuite, lorsque la station eut disparu d’abord et que la voie eut ensuite définitivement abandonné le trajet de l’ Armentier ; Catorissium perdit bientôt jusqu’ à son nom qui fit place à celui de la Garde de ce que le gardien ou intendant des domaines des Dauphins en Oisans avait là sa résidence. La fonction avait imposé son nom au lieu même.  Après avoir desservi la station de Catorissium et ses intérêts divers la Voie Antique descendait en contour sur les collines et marchait vers la plaine. Bientôt elle y rencontrait la Romanche, l’accompagnait quelque temps sur sa rive droite, puis, après l’avoir franchie au bas de la plaine elle suivait sa rive gauche dans la vallée de Livet et Gavet jusqu’auprès de Séchilienne ; sa trace, parfaitement reconnaissable sur deux ou trois points de sa descente de la Garde, principalement au-dessus de ESSOULIEUX et de BASSEY, se continue ensuite avec certaines parties du chemin vicinal, de Vieille Morte jusqu’au carrefour de Châtillon. Au delà, les traces de la Voie ont été détruites par les eaux du lac de SAINT LAURENT, dans la partie inférieure de la plaine. La rupture du lac, en 1219, les a rendues également méconnaissable dans toute la vallée de Livet et Gavet et jusqu’à Séchilienne où elles se retrouvent sur les coteaux.
Outre les vestiges laissés sur le sol par le passage de la voie jusqu’à Châtillons, des documents publics aux archives d’Oz et du Bourg d’Oisans viennent encore le constater sur divers points de la rive droite de la Romanche, tantôt comme ancien voisinage, tantôt comme une limite etc.  Dans les archives du Bourg d’Oisans, on lit une reconnaissance, en latin vulgaire, du 24 septembre 1405, faite par les consuls et procureurs de la communauté, pour la délimitation de ses terres. Parmi les limites assignées par cette opération, l’acte cite comme telle un point du côté de Châtillon où le rocher a été coupé pour le passage de l’ancienne route, UBI SCISSUM EST ITER ANTIQUUM ainsi que s’ exprime l’acte lui-même. Et ce document n’ est pas le seul que l‘on pourrait citer à l’appui de ce fait (ces documents pourront servir de réponse à des esprits peu réfléchis, qui ont prétendu que le chemin taillé  sur la rive gauche de la Romanche à ROCHETAILLEE est un tronçon de la Voie Romaine. Une simple comparaison aurait suffit pour écarter cette erreur. La Voie romaine avait une largeur régulière de 5 mètres elle était carrossable. Le chemin de Rochetaillée à 2 mètres à peine et n’est pas carrossable. On peut se demander, du reste, par où aurait passé la Voie pour venir du Châtelard jusqu’à Rochetaillée. La descente par la Rivoire et la rampe des Commères lui étaient interdites, puisque, selon les géologues, la gorge de la Romanche était à l’époque romaine, fermée au-dessus du Pont de Sainte Guillerme. Comment d’ailleurs aurait elle pu traverser la plaine, qu‘une tradition constante représente, à cette époque comme couverte par les divagations de ses nombreux cours d’eau.
Le chemin de Rochetaillée a été ouvert après le premier écoulement du lac St Laurent entre 1220 et 1225 , sous le Dauphin GUIGUES-ANDRE, dans le but de rétablir par là les communications de ST LAURENT DU LAC avec GRENOBLE, que la catastrophe avait complètement fermées d’abord et que le lac inférieur restant après ce 1er écoulement tenait encore interceptées sur le tiers de la plaine).
Depuis la station de CATORISSIUM ou la Garde, la table théodosienne ne signale plus d’autre station, sur la Voie romaine de Turin à Vienne, jusqu’à Cularo ou Grenoble. Plusieurs érudits géographes & d’Anville, avec eux, qui ont fait cette remarque, présument que c’est un oubli de l’auteur. En effet, la station de CATORISSIUM étant séparée par un intervalle de 48 Km de celle de Cularo, cette distance était trop disproportionnée avec celle des stations précédentes, pour qu’on pût supposer qu’il n’y eût point, entre elles de halte intermédiaire. Le village de Gavet, situé a une distance à peu près égale de l’une et de l’autre, pouvait utilement servir à cet effet. De vieilles cartes de la Gaule, interprétant l’oubli probable de la table de Peutinger, placent à Gavet une station romaine appelée CATORISSIOCUM comme diminutif de celle qu’on venait de quitter.
Cette interprétation géographique semble trop rationnelle pour ne pas être adoptée.
Le village de Gavet pouvait d’autant mieux être choisi pour station qu’il est d’une origine fort ancienne et antérieure à la domination des Romains. Placé au bas de forêts considérables et séculaires, peut-être était-il, au temps des vieux Gaulois, un centre pour le druidisme de la contrée.
Ainsi le feraient croire certains vieux monuments d’apparence celtique, existants dans son voisinage. Comme tels, on peut citer une pierre d’un M2 de surface, grossièrement sculptée et présentant sur sa face supérieure des têtes de gallinacés, des fers à cheval, etc. Cette pierre qui se voyait à l’entrée du village des Clavaux, il y 30 ans, a disparu à la suite d’une rectification de la route. On remarque aussi, comme ayant un caractère semblable, un bloc de rocher, sur les bords de la même route, entre Gavet et les Clavaux. Haut de 3 mètres, avec 4 de largeur ce bloc aux formes frustes, porte sur sa face supérieure qui est horizontale, des empreintes étranges représentant des objets naturels divers, des vases, etc. Ces empreintes pouvaient avoir au quelque rapport symbolique avec le culte druidique. Ce culte n’avait pas de temples ; les tombeaux étaient ses seuls monuments ; il s’adressait à la nature et voulait que l’histoire fût confiée à la mémoire seule. Peut-être ce bloc racontait-il ainsi la vie de quelque personnage dont il recouvrait la tombe. L’expression sombre et funéraire de ce bloc, sa position près d’un chemin public, fait supposer qu’il ne serait en effet qu’une pierre tumulaire colossale dont la sépulture, dans l’hypothèse druidique, remonterait aux premiers siècles de l’indépendance gauloise.
Ce bloc porte un nom particulier, qui, avec son ensemble et les sculptures de sa face supérieure, le recommande à l’attention des archéologues.
Longtemps, la légende l’entoura d’une auréole à la fois mystérieuse et terrible, qui ne laissait pas d’effrayer les passants. Une croix plantée au-devant, sur le bord de la route, vint opposer les consolations de la foi aux terreurs de la légende. Actuellement ces terreurs ne sont plus qu’un souvenir.
Tel qu’il est supposé, ce monument confirmerait le témoignage de la tradition relative à l’ancienneté préhistorique de Gavet.
Sa position impliquerait l’existence d’un grand chemin, sur le bord duquel il était posé, selon l’usage; et ce chemin justifierait lui-même celle de la station romaine présumée à Gavet, pour le service de la grande Voie.
Le dernier vestige de cette Voie en Oisans serait, au rapport de la tradition, dans les restes de murs d’un pont sur lequel passait la Romanche, non loin de Gavet. La solidité excessive de ces restes, qui depuis des siècles bravent les chocs les plus furieux de la Romanche, prouve l’origine romaine qui leur est attribuée. Le pont qu’ils rappellent formait, de ce côté, la limite de la peuplade ucénienne dont la Voie venait de parcourir le pays.

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