1878 : ÉTUDE SUR LA VOIE ROMAINE DE L’OISANS (Partie VIII)
Remerciement à M. Alain Pellorce qui nous a confié ce document.
Huitième partie du document découvert dans une maison de Clavans
Où il est question de voie secondaire des mines de Brandes de son passage par Auris, le hameau et le col de Cluy, du hameau disparu de Setérane et d’une colonie pénitentiaire et de l’existence sur le site de Brande d’un temple voué au paganisme.
VOIE SECONDAIRE DE BRANDES
De la bifurcation de la Voie Romaine que l’on a vue avoir lieu au PETIT-CHATAIN d’AURIS, naissait une voie secondaire, que les exigences de la stratégie et celles des grandes exploitations de BRANDES et des ROUSSES avaient rendue nécessaire pour les Romains à travers le pays des UCENI.
Tandis que la première avait sa direction à l’Ouest, la voie secondaire marchait presque constamment vers le nord où était son but principal.
Classée dans un rang inférieur à celui de la Voie principale, elle avait une largeur normale de 4 mètres.
Vers le point initial de la bifurcation et sur l’emplacement actuel du Petit-Chatain, devait se trouver le CASTELLUM également secondaire dont nous avons parlé, ayant comme poste militaire, une destination spéciale, pour les mouvements importants que la voie annexe avait à servir.
Partie de ce point, elle s’élevait le long du vallon ensuite sur les terres d’Auris, jusqu’au village des Cours ; de là, continuant à monter en pente régulière, à l’est et au nord, elle suivait cette dernière ligne sur les collines de la montagne, vers le village de CLUYS et jusqu’au col de ce nom. Les traces de cette voie, marquées au-dessous des Cours par le sentier qui circule sur les terres et par le chemin du village, se continuent avec le chemin rural qui des Cours monte sous la chapelle de ST GIRAUD et de là tourne au Nord, jusqu’au col de Cluys. Sous la chapelle on voit un reste de pavé de cette ancienne Voie, et en deçà et au-delà du Village de Cluys, des parties du chemin qui ont maintenu à peu près sa largeur régulière.
Avant d’arriver à Cluys, la Voie traversait une agglomération d’habitations aujourd’hui disparue, appelée Setérane. Cette localité paraît avoir eu quelque relation d’utilité publique avec la voie secondaire. Née du mouvement qu’imprimait sur ces collines la voie des Châtains à Brandes SETÉRANE a fini bientôt après elle, ne laissant à sa place qu’un nom de ruines pour tout souvenir.
Lorsqu’elle avait franchi le col de Cluys, la voie secondaire annexe descendait vers le torrent de Sarène, et le franchissait au Gua, puis s’élevait sur les collines de ce petit bassin, elle atteignait en peu de temps le plateau de Brandes.
En y arrivant, cette voie se divisait elle-même, pour fournir un embranchement à l’établissement métallurgique de Brandes, situé près de là puis, montant un peu vers le nord, elle suivait de là tout le haut du plateau dans la direction du N.O., sur une longueur de 3 ou 4 km. On la reconnait parfaitement aujourd’hui, dans tout ce parcours, sous le gazon qui la couvre. On voit qu’elle était creusée en tranchée sur le sol avec sa largeur de 4 mètres, et un léger petit talus pour bordure.
Avec quel sentiment d’intérêt on suit sur les pelouses de Brandes à une hauteur de plus de 1800 m cette voie ancienne si bien conservée.
Les habitants du pays gardent pour elle un souvenir mystérieux et confus, mêlé de grandeur et de reconnaissance, et par respect pour son origine, ils lui ont conservé dans leur idiome le vieux nom romain VIA DES BRANDES.
Cette montagne, qu’illustrait autrefois l’industrie romaine, est une immense et belle prairie à surface plane ou légèrement inclinée, couverte de riches pâturages appartenant à Huez et autres communes voisines.
Recommandable aujourd’hui par les seules beautés alpestres de son site elle l’était de plus, sous les Romains, par la productivité de son sol, sur lequel s’élevaient aussi des forêts dont on exhume encore quelquefois des restes.
Par sa position au bas d’un versant de la chaîne des Rousses, si riches elles-mêmes en mines nombreuses et variées, et sur lesquelles ont eu lieu de grandes et immémoriales exploitations, Brandes était à proximité de toutes les entreprises minières de la chaîne.
La conquête avait mis tous ces trésors au pouvoir des Romains.
Entre les mains de tels maîtres, ils ne pouvaient rester improductifs et leur extraction fut résolue. Les gisements étaient multipliés sur la chaîne des Rousses et sur ses contreforts ; ils étaient distants les uns des autres quelquefois, de plusieurs km, on dut, pour les extraire et concerter les efforts, multiplier aussi les moyens d’obtenir les produits et organiser les exploitations sur la plus vaste échelle. Un établissement fut créé à Brandes, comme dépôt et premier laboratoire des minerais et comme centre de direction des travaux de la montagne. Mais un si vaste ensemble d’opérations exigeait, pour être exécuté, un nombre considérable d’ouvriers qui faisait défaut. Afin de suppléer au manque de bras, les Romains firent de Brandes une colonie pénitentiaire. Ainsi transformé, l’établissement fut placé sous la garde d’une force militaire suffisante pour contenir les criminels et commandée par un chef qui avait sa résidence dans une tour construite sur le rocher voisin.
Des preuves diverses sont venues, avec la tradition attester les exploitations attribuées aux Romains à Brandes et sur la chaîne des Rousses. Les ruines que l’on y voit aujourd’hui sont celles de constructions élevées postérieurement sur les débris des anciens édifices romains. Ces constructions ont été l’ouvrage des Dauphins, qui, impuissants eux-mêmes à créer un établissement aussi vaste que celui des Romains avait voulu reprendre les exploitations qu’ils avaient laissées, et mettre à profit dans ce but les restes de leur établissement primitif. Ils eurent du moins le mérite de l’avoir relevé et rétabli dans un état convenable. Mais, des documents certains que l’on possède sur les travaux de ces princes et publiés dans le Journal des mines par de savants minéralogistes qui ont exploré les exploitations des Rousses, qualifient d’ANTIQUES la plupart et les plus grandes des exploitations reprisent par les Dauphins. Ces qualificatifs indiquent assez que les premières avaient été l’ouvrage des Romains. Quelle autre nation eût pu en effet, dans ces temps reculés, avant les Dauphins, exécuter avec une telle puissance d’action des travaux semblables si étendus si nombreux et si gigantesques.
L’ existence de l’établissement métallurgique et pénitencier de Brandes, sous les Romains, a été aussi reconnue par les minéralogistes d’après l’analogie qu’ils ont observée entre ce pénitencier et un autre établissement de ce genre, fondé par les Romains à Cormaïeur , dans le Piémont, pour l’ exploitation des mines du Labyrinthe.
Ainsi qu’à Catorissium, les Romains firent régner avec eux à BRANDES les dieux de l’empire. Le paganisme s’y montra et y eut un temple près de l’établissement. Ce temple, après la prédication de l’Évangile fit ensuite place à une église qui s’éleva sur ses ruines, pour une paroisse appelée SAINT-NICOLAS DES BRANDES. La paroisse subsista jusqu’au 16e siècles et disparut à son tour avec la voie secondaire. A sa place, une petite chapelle, dédiée à St Nicolas, patron des petits enfants vint conserver le souvenir de l’une et de l’autre ; et c’est avec regret que l’on voit sur le point de disparaître ce petit monument si plein d’intérêt. Tant qu’elle subsista cette chapelle fut, jusqu’au siècle dernier, l’objet d’un pèlerinage fervent de la part des femmes veuves et des filles à marier et ce pèlerinage s’accomplissait chaque année en Juin, avec un cérémonial empreint de paganisme. Ces pratiques bizarres qui rappelaient exactement le culte d’un faux Dieu, sont des preuves certaines que Brandes a vu dans ses murs le paganisme, de qui elles sont émanées. Implicitement elles témoignent aussi de la présence et du séjour des Romains qui l’y avaient importé.