1928, un désastre au Bourg-d’Oisans

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La plaine du Bourg-d’Oisans inondée en 1928

1928 UN DESASTRE AU BOURG-D’OISANS
La dernière grande inondation de la plaine de l’Oisans

Archives : André Glaudas,
— Le Petit Dauphinois, édition du mardi 23 octobre 1928

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Une inondation oubliée en 1955
Le seuil de l’Aveynat

Un communiqué du P.-L.-M. Ligne du Bourg-d’Oisans,
— par suite inondation, tout trafic voyageur, bagages, grande et petite vitesse, est suspendu pour Bourg-d’Oisans (ligne de Jarrie-Vizille à Bourg-d’Oisans).
Ligne de Veynes à Briançon,
— Par suite éboulement entre Châteauroux et Saint-Clément, ligne de Veynes à Briançon, voie et route nationale coupées. Transbordement actuellement impossible.

UN DÉSASTRE AU BOURG-D’OISANS
200 hectares de terrain sont désormais impropres à la culture

(de notre envoyé spécial)

La nouvelle inondation de Bourg-d’Oisans, que nous avons signalée hier, a pris les proportions d’un véritable désastre pour les habitants de ce chef-lieu qui, malgré les travaux de défense entrepris, après la crue de la Romanche du 28 septembre écoulé, restent, dans l’avenir, à la merci du terrible fléau. La situation présente est tragique. Les éléments déchaînés se sont abattus sans pitié et sans arrêt, pendant plus de soixante heures, sur cette riante campagne. Émouvant spectacle qui comporte un bilan singulièrement alarmant si l’on constate, qu’après le retrait des eaux, plus de deux cents hectares de terrain resteront ou presque impropres à la culture qui était une des principales ressources de la population. On frémit à envisager l’étendue de cette ruine agricole dont les conséquences multiples peuvent entraîner, dans un avenir plus ou moins éloigné la désertion des habitants de cette vallée dont la grande richesse industrielle se trouverait de ce fait particulièrement compromise. S’il ne faut pas dramatiser une situation semblable, il est juste et opportun d’appeler la vigilante attention des Pouvoirs publics sur la détresse du Bourg-d’Oisans, tête de ligne et centre moteur d’une région qui peut se glorifier, à tous les titres, d’être une merveilleuse richesse nationale.

La Lignare rompt un barrage et s’étale dans la plaine des Sables

Hier. Bourg-d’Oisans était cerné par les eaux dans les mêmes conditions qu’il y a trois semaines, c’est-à-dire que la nappe s’étend, en aval, jusqu’au hameau de la Paute. Vers 16 heures, la température, s’était refroidie, depuis le matin, avait provoqué, sur les hauteurs, une chute de neige et la pluie s’était arrêtée. On enregistrait, à ce moment, un léger abaissement des eaux. Mais quelle nuit d’angoisse fut celle de dimanche tant pour les habitants du Bourg, qui, de nouveau, firent preuve d’un héroïsme au-delà de toute expression.
Dès 21 heures, dimanche soir la crue était effrayante. Le lac boueux, dans lequel depuis la veille le bourg baignait, s’élevait de minute en minute, grossie par une crue, plus grave, de la Romanche, le Vénéon coulant à pleine volée, et de nombreux torrents en amont, parmi lesquels celui de Combelonge qui sur son passage dévasta de nombreuses propriétés. À partir de minuit des bruits sourds provenaient de la montagne. Ils étaient dus à des éboulements dont le plus violent produisit vers 3 heures, et coupa sur une certaine longueur la route reliant le Bourg-d’Oisans au hameau du Vert, situé au pied de la montagne des Villars.
Mais tandis que l’eau montait rapidement dans les habitations du Bourg, un danger était signalé à MM. Faure, maire, et Bettou, président du groupement des syndicats de défense. Les eaux de la Lignare, affluant de la rive gauche de la Romanche, battaient violemment le barrage, construit sur son lit, au lieu dit la « Poya », hameau de la Paute. Il y avait là une situation critique pour ce hameau et celui des Sables et toute la plaine allant jusqu’à Rochetaillée si les flots furieux ne pouvaient être contenus.
On sonna le tocsin. Un peu partout dans les cafés on jeta l’alarme, si bien que vers minuit plus de cinquante citoyens se trouvaient sur les lieux. À l’aide de cubes de foin, pressé et bottelé, ils consolidèrent le barrage et les rives du côté de la Paute. Mais sous l’impétuosité des eaux toujours grossissante, le barrage céda. Grâce cependant aux travaux de protection sur la rive gauche. Le hameau de la Paute fut préservé et la Lignare s’étala dans les champs de la plaine des Sables jusqu’à Rochetaillée. On devine l’émoi chez les habitants de cette localité qui transportèrent aux étages supérieurs de leurs habitations, mobiliers, récoltes, voire même une certaine partie de leur bétail.
Au matin, cependant la Lignare était rentrée dans son lit, mais toute la plaine des Sables était encore sous les eaux.

Le sauvetage des habitants isolés par les eaux

Après toute, une nuit passée à combattre le fléau, les sauveteurs s’employèrent, hier, à dégager les locataires des immeubles complètement isolés. Munis de barques, ils purent, au prix des difficultés que l’on imagine, évacuer les familles Bosse et Sylvain, au Plan ; Rampuis, au quai de la Rive et les Dames communales, du même quartier, qui la veille avaient refusé de quitter leur demeure et refusé de monter dans la voiture qui leur avait été envoyée à cet effet.
Ce même refus, au quai de la Rive, fut opposé par les époux Pichoud, deux braves vieillards, dans la soirée de dimanche. Hier matin, lundi, cependant, devant la durée de la crue qui continuait à s’aggraver, le sympathique maire du Bourg, M. le docteur Faure, prit l’énergique décision d’évacuer les époux Pichoud dont la maison baignait dans 2 mètres d’eau. Cette opération périlleuse, qui se termina vers midi, fut à un moment particulièrement tragique.
Elle commença d’abord à l’aide d’un autocamion gracieusement prêté par M. Jouttey et conduit par un de ses employés, M. Arnaud, et sur lequel avaient pris place MM. Faure, maire ; Gonthier, maréchal des logis de gendarmerie ; Papillard, gendarme et Marcel Maqueret.
Le lourd véhicule habilement conduit par M. Arnaud s’engagea dans l’eau, mais après avoir parcouru un certain parcours, la magnéto submergée cessa de fonctionner. Les sauveteurs, encore loin, de la maison des époux Pichoud, durent alors avoir recours à un radeau de fortune de dimensions assez restreintes. À ce moment l’opération devenait plus difficile et périlleuse. Ballotté par les flots, glissant lentement, le radeau que pilotait M. Arnaud atteignit enfin l’habitation.
Paraissant à la fenêtre, M. Pichoud enjamba et se laissa glisser dans les bras des sauveteurs et prit pied sur le radeau. On l’achemina ensuite sur le camion.
Puis l’équipage de l’Ilot flottant retourna vers la maison pour sauver Mme Pichoud. Aidé du gendarme Papillard, M. Arnaud, opérant de la même façon que pour le mari, saisit solidement la pauvre femme qui fut ainsi amenée sur le radeau. Mais alors, la vieille dame, prise d’une vive frayeur, perdit pied, tomba à l’eau entraînant avec elle M. Arnaud. Un cri d’effroi retentit parmi les habitants qui, à distance, assistaient à cette scène. Sur le radeau la minute n’était pas moins tragique. M. Arnaud se débattait, luttait désespérément, mais si héroïquement qu’il parvint, aidé du gendarme Papillard, en équilibre sur un mur, à sauver Mme Pichoud et non sans encombre ensuite à reprendre pied sur le carré de lattes. Ce moment d’émotion passé, le groupe regagna le camion qui put être ensuite dégagé par M. Bettou et ses fils et de vaillants citoyens. M. et Mme Pichoud ont été ensuite réconfortés et conduits au logement qui leur était destiné. À tous ceux qui montrèrent, en la circonstance, une si noble abnégation, MM. Arnaud, Papillard, Maqueret et Faure nous adressons nos bien vives félicitations et formulons l’espoir qu’une distinction viendra récompenser leur magnifique courage.
Dans l’après-midi, plusieurs équipes se sont dévouées pour dégager des eaux voitures et camions enlisés. C’est ainsi qu’au lieu dit la Bussé, une voiture automobile appartenant à l’entreprise Campenon et Bernard, put être retirée. D’autres aussi, une trentaine environ, travaillaient sans arrêt, au mas de l’Ordre, à mi-chemin de la Paute et des Sables, à consolider la rive gauche de la Lignare.

Pareil désastre se produisit en 1852 et dura une année.

Signalons en terminant l’examen de la situation à Bourg-d’Oisans que les dégâts causés par cette nouvelle inondation sont évalués au minimum à un million de francs. Ils comprennent dans leurs grandes lignes, les terrains ravagés, des centaines d’arbres fruitiers, les récoltes détruites dans les caves, les dégâts aux immeubles qui après la crue du 28 septembre, avaient déjà été réparés ; et enfin — détail qui est tout à l’honneur des robustes outils vapeur de l’Oisans, une importante superficie de terrains qui, depuis le 28 septembre, avaient été aménagés et rendus propres aux semences d’automne qui avaient été faites ces jours derniers.
Décrire la détresse qui se lit sur les visages de ces habitants rudement éprouvés et qui conservent malgré tout une stoïque attitude devant cette nouvelle ruine est chose difficile. Nous retiendrons simplement cette réflexion, de l’un d’eux, faite sans le moindre découragement.
« Les événements actuels sont en tous points semblables à ceux qui se produisirent en décembre 1852. Songez, Monsieur, qu’à cette époque où le Bourg-d’Oisans et ses hameaux comptaient 3 000 âmes de plus, ce désastre dura plus d’une année. Vous aurez ainsi une idée du caractère catastrophique du fléau qui sévit aujourd’hui et sous la menace duquel nous demeurons malgré tous nos efforts. »

MM. Paganon et Desmars sont attendus ce matin

Quand nous avons quitté Bourg-d’Oisans, la pluie avait cessé. Le refroidissement de la température laissait prévoir un retrait des eaux assez sérieux. Aujourd’hui, M. le Préfet Desmars et M. Paganon, député die l’Isère, sont attendus au chef-lieu qui est privé d’eau potable depuis hier.

DE LA PAUTE À GAVET

De la Paute, où nous quittons M. Faure, maire, mandé d’urgence auprès d’un malade, pour rentrer a Grenoble, il y avait encore beaucoup de choses à voir. La première halte a lieu à Rochetaillée. Là nous apprenons que l’Eau d’Olle est sortie de son lit, dans la nuit de dimanche, vers 23 heures submergeant la route et les propriétés riveraines. Toutefois, une heure plus tard, le torrent rentrait dans ses rives. Il n’en est pas de même dans la plaine qui s’étend entre Rochetaillée et Allemont, qui ont été inondées à une grande partie et où la route a été coupée, jusqu’à hier midi, au Pont Rouge, par les eaux débordantes de la Romanche. Partant de Rochetaillée pour Grenoble, nous trouvons ; au kilomètre 39, au lieu dit la Ferney, une équipe de terrassiers occupée à, percer un éboulement de 40 mètres cubés de matériaux sur la voie ferrée et qui a perturbé toute la journée le service des trains sur les V.F.D.

À Gavet, un éboulement monstre cause 200 000 francs de dégâts

À Gavet, les ravages de l’eau sont plus sérieux. La partie aval de l’agglomération qui, comme on le sait, est une section de la commune de Livet-et-Gavet a été sérieusement éprouvée par une trombe d’eau suivie d’un éboulement de rochers et de terres qui s’est produit au plus fort de la pluie, samedi, vers 23 heures.
À cette heure, le torrent qui descendu lac Poursollet, où se déversent, les torrents du massif du Taillefer, s’enfla rapidement, puis déborda et s’étala dans la partie basse de la localité, envahissant la place du lavoir public. Les habitants, qui étaient sur le qui-vive depuis l’a veille, organisèrent promptement des travaux de défense, grâce auxquels on put maîtriser, en partie, les flots impétueux.
À l’aide de grosses moises en sapin les propriétaires, dent voici les noms : MM. Lucien Achard, adjoint spécial ; Josserand, garde champêtre ; Désiré Jaime, Eugène Perrin, Joseph Fiat, Noël Gros, Pierre Fiat père et fils, Muzet, Eugène Carron, Maurice Rivoire, Jean Potelin et Auguste Grand, conseillers municipaux, réussirent, au bout de 3 heures d’efforts tenaces, à dévier les flots du torrent qui avait emporté, sur cinq mètres environ, une épaisse digue en maçonnerie, construite il y a trois ans. Aussi, vers 4 heures du matin, le torrent coulait dans son lit. Au pied de la montagne, il avait emporté une petite turbine hydraulique appartenant à M. Étienne Pinel, scierie à Rioupéroux, ainsi qu’une baraque en planches. Dans les caves, cuisine, chambre des habitations, il y avait environ 60 centimètres d’eau. Citons celles de MM., Fiat Pierre, Fiat Joseph, Fiat Emile, Julitta, Moulin, D. Jayme, Eugène Perrin, Vve Gassagne. D’autre part, deux maisons ravinées à la base de leurs fondations couraient un certain danger. C’étaient celles d’abord de Mme Vve Cassagne-David, au long de laquelle un petit sentier, le chemin des chèvres, a été complètement emporté, mettant à nu les racines d’un haut mûrier, dont, le pied surplombe maintenant le lit du ruisseau, d’une hauteur de 7 à 8 mètres. Ensuite, celle occupée par Mme Pierre Grand et ses deux fils, qui, plus sérieusement menacée, a dû être entièrement évacuée. L’œuvre dévastatrice de cet énorme éboulement, qui a amassé là où prospéraient de jolis jardins, flots de vase et de gravier, s’étend depuis la route jusqu’au confluent du torrent avec la Romanche. Ce dernier, d’une largeur normale de 3 mètres, en mesure actuellement 25.
Dans cette partie, le pont en maçonnerie où passait la nouvelle route desservant, les propriétés, a été tronqué à ses deux extrémités. La route qui reliait l’aval du bourg à la passerelle, elle-même fauchée sur la moitié de sa longueur, établie sur la Romanche, n’exista plus. Les dégâts, qui ont été constatés hier après-midi, par M. Bory, maire de Livet-et-Gavet, accompagné de son adjoint M. Achard, et de M. Rimet, agent-voyer, sont évalués à 200 000 francs. De mémoire d’habitant à Gavet, on ne se souvient pas d’avoir vu le torrent aussi redoutable. Et l’on se souviendra de cette angoissante nuit au cours de laquelle la rupture de deux poteaux en ciment de la ligne d’énergie électrique de l’Eau d’Olle provoqua un immense court-circuit qui, pendant quelques secondes, illumina le ciel d’un arc éblouissant. Enfin, dernier détail.
Un peu avant Séchilienne, à l’usine du lieu dit Noyer-Chu, un bloc énorme, d’au moins deux cents kilos, est venu, après, une course folle dans la montagne, s’échouer au bord de la voie du tramway, sans causer, heureusement, dans sa chute, aucun, accident.

— Roger Sylvère.

Dans le Valbonnais
LA ROUTE OU COL D’ORNON EST COUPÉE

Le Périer, 22, octobre. – À la suite des pluies, les deux torrents le Tourot et la Malsane, démesurément enflés, ont emporté deux ponts et une partie de leurs digues. Aux alentours de la commune, de nombreux chemins, des prairies et des cultures ont été ravagés.
À la Barrière, la route départementale de La Mure au Bourg-d’Oisans, par le col d’Ornon, a été obstruée sur une longueur de 50 mètres, par un éboulement. L’amas des alluvions déversé sur la route atteint une hauteur de 3 mètres, et par conséquent, toute communication est impossible. À Serpatier (?), la route est coupée par un torrent ; les dégâts sont importants et les travaux de déblaiement ne peuvent être entrepris en raison de la pluie qui tombe toujours avec violence.
Par suite de ces diverses inondations, la commune du Périer est complètement isolée.

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