ÉLOGE DU PÈRE GASPARD DE LA MEIJE
Source : Les Alpes illustrées, édition du 20 février 1892
Sujet connexe :
– À l’assaut de la Meije…
– Au travail sur le Grand Pic de la Meije
LE PÈRE GASPARD
Nous devons à l’obligeance de la Direction centrale du C.A.F. de pouvoir publier dans nos colonnes le portrait du père Garpard, le fameux guide de l’Oisans. Détachons, à cette occasion, d’une excellente brochure de M. Aristide Albert, Un coin de la Vallouise, le passage suivant dont quelques lignes concernent le père Gaspard : ce sera ainsi double profit pour les lecteurs des Alpes illustrées.
« C’est vraiment une épopée hautement héroïque, que l’histoire des ascensions des Alpes. Rien n’égale l’indomptable fermeté de ces audacieux grimpeurs, si ce n’est leur modestie comme narrateurs des choses accomplies. Plus modestes que le héros troyen, le quorum pars magna fui (la part presque toujours réservée à la vanité) est à peu près bannie de leurs récits.
C’est l’impression qui m’est restée de ma lecture dus monographies de Paul Guillemin, de Félix Perrin, d’Henry Duhamel.
Le Camoëns de don Alonzo de Ercilia ont eu recours à la langue rythmée et ont invoqué la muse pour dire les hauts faits dont ils avaient été les acteurs aussi bien que les témoins.
Les ascensionnistes ont, avec la plume retrouvée de Victor Jacquemond, raconté simplement, sans emphase, d’un langage français, spirituel et clair, les incidents, les péripéties d’une lutte aussi formidable que celles des fictions homériques, aussi difficile et réelle que les plus hardies entreprises des conquistadores.
Qui eut vu le guide Pierre Gaspard, Boileau du Castelnau, Guillemin, Henry Duhamel escaladant le gradin terminal de la cime de la Meije, eût pu s’écrier comme les guerriers astiques à la vue du saut d’Alvarado : ceux-là sont vraiment les fils du Soleil.
Parmi ces vaillants on peut citer, outre ceux que nous venons de nommer, l’américain Coolidge, les Français Félix Perrin, Salvador de Quatrefages, le quorum pars magna fui, Joseph Jullien, Pierre Puiseux, Henri Vincent, Émile Viallet, Lucien Bourron, etc. J’en passe et de très courageux.
Mais sur ce riche fonds de vaillance maintes fois déployée, se détache en singulière vigueur la grande figure du guide Pierre Gaspard, de Saint-Christophe-en-Oisans. Gaspard en qui deux races semblent avoir marqué l’empreinte de leurs traits distinctifs, le Sarrasin, le teint basané, la noire chevelure, le regard profond et calme, le Burgonde, la charpente solide et développée, Pierre Gaspard demeurera comme un type de courage surhumain, de force, d’exquise bonté, de dévouement absolu.
L’alpinisme sera un jour ou l’autre pour un poète de haut vol, né ou à naître, une intarissable source de divine inspiration. Ce sera le romancero de l’Europe occidentale aux six siècles ; car l’anglais précurseur, l’italien, le Suisse, le Belge et l’Autrichien ont aussi de glorieuses pages à revendiquer dans l’histoire des ascensions. »
Aristide Albert