Étienne Félix Berlioux : Géographe

Croquis d’une carte de l’Afrique orientale par E. Félix Berlioux, édition 1884, Source Gallica

ÉTIENNE FÉLIX BERLIOUX : GÉOGRAPHE

Archives : André Glaudas 

Étienne Félix Berlioux Géographe moderne (1)
Né au Bourg-d’Oisans le 22 septembre 1828 (Nota : sur différentes publications il est indiqué la date erronée de 1827, le registre d’état civil de la ville de Lyon indiquant son décès (consultable en ligne) rappelle sa date de naissance précise. Il est mort le 2 juin 1910, à Lyon où, presque toute sa vie avait été consacrée à l’enseignement et où, entre 1873 et 1890, il s’était adonné, avec une ardeur que n’ont pas oublié ses auditeurs, à la divulgation de la science géographique.
D’abord professeur d’histoire dans les collèges, puis au lycée de Lyon, il était devenu, en 1874, professeur de géographie à la faculté des lettres de cette ville.
C’est à ce moment qu’il commença à faire un cours de géographie au palais Saint-Pierre ou des auditeurs toujours trop nombreux pour les places qui leur étaient destinées, suivaient presque avec passion l’enseignement d’une science alors nouvelle.
Berlioux avait deviné les voies dans lesquelles devait s’engager la géographie moderne et « on assista, au cours de sa carrière, à un progrès certain qui est digne d’inspirer le respect et l’admiration pour la conscience qu’il apportait au perfectionnement de sa méthode et par l’ardeur juvénile avec laquelle il ne cessa jamais d’apprendre de nouveau […] Au cours de géographie qu’il professait au Palais Saint-Pierre, la salle était trop petite pour la foule des auditeurs, et l’on reste surpris aujourd’hui (1910) du durable souvenir et de l’impression profonde qu’ont gardés les hommes de cette génération de la parole énergique, pittoresque et presque mystique du vieux maître(2) ».

La méthode Berlioux(3)
Avant d’aborder la carte d’État-Major, d’une lecture assez difficile, l’étudiant doit s’initier à la topographie sur des cartes simplifiées. Comme aucun matériel pédagogique n’existe dans ce domaine, Berlioux a forgé lui-même l’outil indispensable. Il s’agit d’une carte de France en courbes de niveau et à l’échelle de 1/1 000 000e environ ; cette carte est divisée en 20 feuilles séparées vendues chacune 20 centimes, de façon à ce que les auditeurs n’apportent au cours que la feuille qui concerne la région étudiée. Le but de la lecture de la carte, selon Berlioux, est de retrouver « la physionomie vivante d’une contrée ». Pour cela l’exercice passe par trois phases successives :
1/Examen des faits.
2/ Recherche des causes.
3/ Exposition des conséquences.
C’est le triomphe, on le voit, de la méthode positiviste. Le géographe décrit une région comme l’anatomiste étudie une partie du corps humain. Toutefois, il ne faut pas se contenter d’une « collection de faits » ; il faut découvrir les rapports entre les faits et dans ce but la description du relief sera explicative grâce à la géologie.

Berlioux et l’Atlantide(3)
Vers la fin de sa carrière, Berlioux revient à ses premières amours, la géographie historique, et il donne en 1883 son célèbre travail sur l’Atlantide. Après avoir passé au crible les textes des Anciens et les interprétations innombrables proposés par les historiens, il parvient à des conclusions qui ne manquent pas d’originalité : Non, l’Atlantide n’est pas une terre qui s’est effondrée dans l’Atlantique à la suite d’un cataclysme. « Cette première recherche nous a montré que l’Atlantis n’était ni une île, ni un continent perdu dans l’Océan, mais simplement la terre de l’Atlas… ». Loin d’avoir été engloutie dans les flots, l’Atlantide a, au contraire, émergé et s’est trouvée rattachée au reste de l’Afrique par assèchement progressif du lac Triton. De là à imaginer que l’on découvrira l’Atlantide au cœur du Sahara, il n’y a qu’un pas que le vieux maître ne franchit pas, mais qui sera franchi une quarantaine d’années plus tard par un brillant agrégé d’histoire, plus connu comme romancier… Pierre Benoit. Dans l’étrange palais d’Antinéa, Morhange et Saint-Avit rencontrent l’extravagant professeur Le Mesge (sans aucun doute un clin d’œil à la Meije) qui se fait gloire d’avoir été le disciple de Berlioux à Lyon… C’est ainsi que le géographe lyonnais est passé à la postérité par un de ces chemins détournés dont la Providence a le secret…

Berlioux fut un des fondateurs de la Société de Géographie de Lyon et de la section Lyonnaise du Club Alpin Français.

(1) Petite Revue des bibliophiles Dauphinois, 1910 P.104-106
(2) Zimmermann — Bulletin de la société de Géographie de Lyon.
(3) Il y a un siècle : Etienne-Félix Berlioux (biographie très complète), de Numa BROC, dans la Revue de géographie de Lyon, vol. 50, Année 1975, pp. 167-170

Principales publications de Étienne Félix BERLIOUX :
– La Traite orientale, 1870
– André Brue et l’origine de la colonie française du Sénégal, 1874
– Les Anciennes explorations et les futures découvertes de l’Afrique centrale, 1879
– Le Jura. Lecture de la carte de France, 1880
– Les Atlantes, 1883
– « La Terre habitable vers l’équateur », par Polybe, 1884
– À la recherche de la Nation et de la Cité des Hyperboréens, 1890
– Le Tibet et le champ géographique du bouddhisme, 1905

Discours prononcé aux funérailles de M. Étienne Félix Berlioux
Le 3 juin 1910, par M. Canat De Chizy président de l’Académie des Sciences Arts et Belles-Lettres de Lyon

En venant au nom de l’Académie des Sciences Arts et Belles-Lettres de Lyon adresser un dernier adieu au collègue éminent qui fut pendant plus de trente années, fidèlement assidu à ses séances, et les remplit si souvent par ses attachants récits, je devrais vous rappeler que M. Berlioux a eu dans notre cité une célébrité qui en a largement dépassé l’enceinte et qui lui survivrait aujourd’hui, s’il n’avait préféré le labeur modeste isolé à la gloire et aux applaudissements des hommes. Je n’ai malheureusement ni la compétence ni l’autorité nécessaire pour célébrer, comme il mériterait de l’être, l’éloquent professeur qui attirait autour de sa chaire une foule empressée d’auditeurs fanatiques, ni pour apprécier à leur juste valeur ces brillantes conférences qui bouleversaient tous les errements de l’enseignement géographique contemporain. C’est du savant seul que je m’occuperai, car c’est lui seul que l’Académie a connu ; M. Berlioux avait en effet, quitté le professorat actif au moment où il entra dans ses rangs. C’était bien un vrai savant et son érudition était prodigieuse. Il avait pour sa science une passion absolue, dominatrice, vivant en elle et pour elle : elle le transportait dans les lieux qu’il décrivait, aux époques dont il fouillait l’histoire. Il avait compris que pour connaitre la surface de note planète telle qu’elle est aujourd’hui, il faut d’abord savoir ce qu’elle était dans le passé et cette conviction, qui devrait être le fondement de la science géographique, mais dont bien peu ont poussé aussi loin que lui les conséquences, le conduisit à une étude remarquablement féconde te tout ce que l’antiquité nous a laissé sur la description de la terre. Avec une puissance de déduction qu’on est quelquefois tenté de qualifier d’illumination, tant paraissent hardies certaines de ses affirmations, il a fait sortir des écrits des géographes grecs et latins des conclusions que personne n’avait jamais entrevues, et dont les découvertes récentes on démontrer la déconcertante et remarquable exactitude. C’est cette curieuse révélation de la Géographie antique qui rend si attachante la lecture de ses études sur la première école de Géographie astronomique et la prochaine découvert du pays des Garamantes et surtout sur la doctrine de Ptolomée au sujet du Nil et du Niger.

Ce qu’il y avait de surprenant dans la science de M. Berlioux, c’est que sans quitter son cabinet de travail il arrivait à acquérir sur les régions les plus reculées de l’Afrique équatoriale ou du centre de l’Asie des notions plus précises que les explorateurs qui les avaient parcourus en tous sens. C’est ainsi que son ouvrage, paru en 1872, sur la traite des esclaves en Afrique contenait des détails si inédits si complets et en même temps si empreints d’exactitude et de vérité, qu’un Premier ministre anglais, au moment où la suppression de la traite était une des principales préoccupations de la diplomatie britannique, lui écrivit personnellement pour lui demander des renseignements et des conseils. C’est au même ouvrage que la Commission internationale réunie en 1876 à Bruxelles, sous la présidence du roi des Belges, pour l’étude de l’abolition de la traite, emprunta l’exposé des motifs qu’elle plaça à la tête de ses décisions.

Cette vision à distance des régions qu’il étudiait est évidemment le résultat d’une assimilation parfaite de tout ce qui avait été écrit sur elles avant lui, mais d’une assimilation remarquablement intelligente qui savait par une intuition presque inexplicable discerner le vrai du faux, rattacher les uns aux autres des auteurs qui avaient vécu séparés par des milliers de lieux ou des centaines d’années et d’un ensemble de données en apparence indépendantes et éparses former par un admirable enchainement une doctrine dont les faits ultérieurs démontraient toujours la parfaite exactitude. En 1879, au moment où les Stanley, les Brazza, les Rohlfs, commençaient à fouiller le continent noir dans ses replis les plus inaccessibles, M. Berlioux, dans son ouvrage sur les anciennes explorations et les futures découvert de l’Afrique centrale, leur traçait leur voie, car seul au monde, il possédait assez bien les récits des explorations anciennes, seul il en avait assez approfondi et coordonné les résultats pour deviner sur la carte alors encore blanche de l’Afrique centrale tout ce qu’allait y inscrire les modernes explorateurs. Cet ouvrage est un véritable recueil de surprenantes prophéties, dont nous pouvons aujourd’hui vérifier la réalisation, en admirant l’inépuisable science ainsi que la meilleure logique de leur auteur.

Ce qui a fait le succès de l’enseignement de M. Berlioux ce qui constituait le principal attrait de ses communications à l’Académie, c’est qu’il infusait à son auditoire un peu de sa propre passion géographique, c’est qu’il lui communiquait la conviction dont il était pénétré, c’est qu’il s’identifiait si bien avec les voyageurs dont il contait les exploits qu’il semblait les avoirs accomplis lui-même et avoir vu de ses yeux les contrées qui en avaient été le théâtre. Et ce ne sont pas seulement les explorateurs modernes dont il révélait ainsi le personnage. Lorsqu’il venait nous rencontrer les pérégrinations d’Hercule dans l’Atlas ou reconstituer l’histoire de l’Atlantide, ne semblait-il pas avoir été un des compagnons d’armes du héros grec, avoir été un des citoyens de la nation disparue ?

Si l’Afrique, par les mystères dont elle était encore enveloppée, avait particulièrement séduit M. Berlioux, il ne faudrait pas croire qu’il en faisait l’objet exclusif de ses études. Tous les problèmes géographiques l’attiraient, mais tandis que la plupart des géographes modernes en cherchent la solution dans les années des explorations les plus récentes, il commençait toujours par les étudier dans le passé. Qu’il s’agît de pays européens comme le Danemark ou des régions les moins connues de la Chine du Nord, c’est dans les plus anciennes relations géographiques qu’il va chercher la lumière ; je puis citer comme exemple son étude sur la Recherche de la cité des hyperboréens ou celle qu’il a écrite sur Les premiers Voyages des Européens au pays des Sères.

Oui, M. Berlioux était un savant de tout premier ordre, et c’était aussi un conteur merveilleusement attachant, non par son style qui était ni très élégant ni très fleuri, mais par la passion qu’il apportait à convaincre son auditoire et par la poésie dont il revenait ses descriptions et ses récits sans pour cela en voiler les détails ni en atténuer l’exactitude. Tous ceux d’entre nous qui l’ont entendu n’oublieront pas les séances délicieuses pendant lesquelles ils étaient suspendus à ses lèvres sous le charme de sa parole. Ils n’oublieront pas non plus son exquise bonté, son affabilité simple et bienveillante qui lui gagnaient l’estime et l’affection de tous. C’était un modeste et un sage ; jamais il n’ambitionna ni ne rechercha les honneurs qu’aurait dû lui valoir son exceptionnel mérite ; sa seule ambition a été de faire autour de lui le plus de biens possible ; sa charité guidée par sa foi chrétienne et ses fermes convictions attiraient à lui les petites et les humbles. Si j’ai la persuasion que la grande valeur des écrits à M. Berlioux lui garde parmi nous un souvenir qui ne s’effacera pas, je suis non moins convaincu que ses vertus lui ont assuré dans un monde meilleur la récompense si bien méritée par une longue vie de travail opiniâtre et de devoir modestement et consciencieusement accompli.

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