Hiver 1940, Allo La Grave !?

Photo d’illustration : Dans la célèbre Rampe des Commères, au-dessus de Bourg-d’Oisans, le chasse-neige des Ponts et Chaussées déblaie la route. On aperçoit au second plan la voiture des envoyés spéciaux du « Petit Dauphinois » qui conduira ceux-ci jusqu’au Freney-d’Oisans, d’où ils commenceront leurs randonnées audacieuses.
Photo Albert Ramus.

Hiver 1940, ALLO LA GRAVE !?

Source Archives Freneytique : 
Le petit Dauphinois, le vendredi 13 décembre 1940

Dans le moutonnement fantastique de la neige et sous le bombardement des avalanches…
… deux de nos collaborateurs Jean Perquelin et Albert Ramus ont pu atteindre La Grave hier soir
Depuis trois jours ce village et Villar-d’Arène étaient isolés du reste du monde.

Dans la journée d’hier, deux de nos collaborateurs, Jean Perquelin et Albert Ramus, ont relié le Freney à La Grave, réalisant ainsi un exploit dont il est à peine besoin de souligner la généreuse témérité, quand on sait dans quelles circonstances, souvent dramatiques, fuit tenté cette liaison.
Partis à l’aube en voiture de Grenoble avec l’intention de porter des médicaments aux enfants de La Grave éprouvé pan une épidémie de rougeole et de scarlatine, Jean Perquelin et Albert Ramus se frayère d’abord un chemin derrière le chasse-neige, jusqu’au Freney-d’Oisans par la célèbre Rampe des Commères.
Leur auto étant bloquée par la neige, c’est alors que commença pour eux la plus redoutable des épreuves que puissent affronter les skieurs. Malgré l’extraordinaire densité de la neige, les éboulements et la menace des avalanches, ils entremirent leur périlleuse ascension, forçant l’admiration des montagnards les plus éprouvés. Les équipes parties à leur rencontre depuis La Grave furent obligées de rebrousser chemin ; mais à 20 heures, un coup de téléphone nous apprenait que Jean Perquelin et Albert Ramus avaient rempli la mission qu’ils s’étaient assignée.
On lira ci-dessous l’article de Jean Perquelin. Bien qu’il ne fasse pas allusion à son exploit ni à celui d’Albert Ramos, nos lecteurs n’en apprécieront pas moins la valeur de leur geste et l’humanité de leurs mobiles.

(De notre envoyé spécial Jean Perquelin, par téléphone).

La Grave, 12 décembre, — Cela a commencé par un grondement sourd puis, le but s’amplifiant soudain, fut celui de deux express se croisant sur un pont métallique. Enfin dans une fumée grise, l’effort de l’avalanche apparut comme un torrent noir, un torrent pour ainsi dire explosif, où crépitaient détonations et projectiles.
Comme il faisait bon sur la route de la Grave, quelque part au-dessus du hameau démantelé des Dauphins, de sentir le tonnerre et les éclairs, la protection d’un énorme bloc et le rideau tutélaire d’une escouade de bouleaux…
Personne n’est passé aujourd’hui sur la route. Le Tapis souvent semé de blocs de neige et de pierre qui a une tendance fâcheuse, pour un cœur peu entraîné, à faire les montagnes russes et même le tapis roulant même grondant, et vierge de toute empreinte humaine. Le Facteur et ses coadjuteurs — sa garde de corps si vous voulez — ne se sont pas aventurés. Et pourtant, ce sont de fiers lapins de montagne et ils en ont vu de rudes ! Il y a trois jours que la Grave et Villar-d’Arène sont isolés du reste du monde. Le Lautaret est, bien entendu, infranchissable et, l’autre jour, une avalanche a réduit à quelques bouts d’allumettes dispersées dans la neige les 130 m de galerie de bois de la Marionnaise.
Je n’ai jamais vu ça, me dit le bon guide qui en compagnie du champion skieur Mauthanet (sic [Mathonnet]) est allé à notre rencontre. Je n’ai jamais vu la neige tomber avec une telle profusion, atteignant souvent deux mètres de hauteur. Je n’ai jamais vu un tel bombardement d’avalanches, seigneur ! Qu’il y en a !
Il n’y a que cela sur la route et dans le crépuscule de la nuit calmante pénètrent déjà leurs rumeurs que l’écho amplifie, leur plongée confuse, leur moutonnement fantastique, leurs troupeaux fantômes qui ne laissent pas que d’être impressionnants.
À la hauteur de la plateforme de la Pisse, et surtout à droite et à gauche du tunnel des Grands Clots, les flots heureusement figés de l’avalanche s’étendent sur plusieurs centaines de mètres. On traverse un peu à l’aveuglette, et je dois dire l’injure à la bouche, un paysage convulsionné. Que de chaos dans la nuit ! Il n’y a pas besoin de grande imagination pour se croire revenu aux temps bibliques, affolé par la colère de Dieux.
Les fleuves remontent vers leur source et les montagnes bondissent comme brebis que pique la guêpe.
La hauteur des avalanches atteint parfois la hauteur de 12 mètres et de 8 à 10 mètres sur la piste. On dit piste, car la route n’est plus qu’un symbole, une illusion que souligne bien qu’il n’ait pas été réservé, le point d’exclamation d’un poteau télégraphique.
Il faudra que les chasse-neige luttent avec leurs vaillants équipages plusieurs jours pour que la route de La Grave puisse être ouverte. Il faudra que des équipes de montagnards « pèlent » et peinent longuement et souvent. Je vous prie de croire — ce n’est pas la galéjade — au péril de leur vie, avant que le courrier n’arrive et que le médecin puisse accourir aux côtés de ses malades. Qui dira la vie errante des conducteurs de chasse-neige, des montagnards auxiliaires qui, pour quelques francs risquent leur vie avec une simplicité étonnée ?
Et le rapporter, heureux d’avoir atteint le havre chaud et hospitalier de La Grave, qui pensait en être fier, n’aurait pas cru que ce qu’il a fait une fois dans sa vie les hommes de la route « tonnante » le font chaque hiver, sans tirer orgueil, ni profit !

Jean Perquelin.

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